Il y a le train-train de la semaine qui aide à supporter les images de guerre, la montée du désintérêt pour le vote, les sondages électoraux. Nous allumons l’ordinateur. Je travaille un peu.
Mais la parenthèse du dimanche est l’occasion de quitter Paris, d’éteindre les écrans, d’échapper à la brutalité des nouvelles.
Je mets les grosses chaussures, je ramasse le bâton de marche qui désormais assure mon pas dans les descentes ; je remplis le sac à dos avec l’opinel qui jamais ne quitte la poche droite, une salade de riz, des clémentines, la tablette de chocolat que je partagerai avec les copains. Cette fois, c’est du côté de Bouligny et du rocher d’Avon, près de Fontainebleau, mais ça pourrait être n’importe où dans la forêt. Après les tourbillons de neige de vendredi, le soleil revenu a séché l’herbe en un jour.

Chaque printemps, nous nous émerveillons de la poussée de la vie qui met du vert aux branches.

Pour quelques heures, les apparences nous suffisent : les carriers qui travaillaient dans la forêt n’avaient sans doute pas le temps de la regarder. Nous qui n’avons rien d’autre à faire, nous transformons tout en images : les jeux de l’ombre avec les boules de grès…

les jeux de l’eau avec des touffes d’herbes comme dans un tableau japonais

Tout est à la fois pareil et particulier dès qu’on s’arrête.
Le plus beau, c’est de voir la lumière réveiller les couleurs en commençant par le jaune.

Dans cette forêt, si quadrillée, chaque rocher biscornu a un nom et c’est vrai que des mufles, des carapaces, des gueules se rencontrent partout. Voici une tête aplatie de crocodile avec ses mâchoires puissantes qui avancent :

… deux têtes géantes :

Même une branche noircie fichée dans le sol devient facilement un lézard voyageur en route pour son heure de marche nordique.

Nous étions préhistoriques, nous voici pré-romantiques devant le médaillon qui orne un abri naturel, le manoir d’Oberman. C’est à raison qu’on célèbre le personnage créé par Senancour car il est un des premiers à avoir célébré Fontainebleau :
J’aime ici l’étendue de la forêt, la majesté des bois dans quelques parties, la solitude des petites vallées, la liberté des landes sablonneuses (Oberman par de Senancour, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56959455.texteImage#)

Et justement, il se promène du côté du Mont Chauvet… Perpétuellement seul, et déplorant le vide de son existence :
Fontainebleau , 14 août, II.. Je vais dans les bois avant que le soleil éclaire; je le vois se lever par un beau jour ; je marche dans la fougère encore humide, dans les ronces parmi les biches, sous les bouleaux du mont Chauvet : un sentiment de ce bonheur qui était possible m’agite avec force, me pousse et m’oppresse. Je monte, je descends, je vais comme un homme qui veut jouir; puis un soupir, quelque humeur, et tout un jour misérable. (LETTRE XVII.)
Le vent a cessé. Dans le petit vallon l’air est tiède. Les tas de feuilles mortes ne sont pas encore recouvertes par les fougères. Les marcheurs ralentissent. C’est l’heure des histoires. Ivan évoque son frère, le plus doué des fils de la famille, capable de tenir tout le monde en haleine, sous le charme de récits qui se prolongeaient tard dans la nuit. Un voyage déglingué devenait l’aventure fabuleuse qu’on aurait aimé vivre. Mais c’était une sorte d’Oberman aussi désespéré que le premier ; Un 31 décembre, il était entré dans un étang glacé dont il ne voulait plus sortir. Le bistrotier désemparé avait appelé Ivan. Une fois le frère sorti de l’eau et réchauffé, il a fait signe qu’il voulait un papier : « Je ne parlerai plus ! » Bien sûr, il n’a pas tardé à reprendre le fil de son discours.
Et le soir, le groupe dîne ensemble, chacun apportant quiche, gratin, fromages ou mousse au chocolat. On parlera de nourriture et pas seulement des catastrophes du monde.
Senancour (de) Obermann, 1804, nvlle éd 1852, préfacée par George Sand, Paris, Charpentier
passagedutemps.com/2020/05/18/le-chemin-des-25-bosses-a-partir-du-cimetiere-du-vaudoue-fontainebleau/
passagedutemps.com/2020/06/13/croix-daugas-et-rocher-cassepot-des-metiers-dans-la-foret/
J irai bien faire un tour à Fontainebleau !merci pour la référence
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C est part inopinément donc merci pour la référence d Obermann que je ne connais pas. A propos mes croûtes sur le nez sont tombées je peux ressortir
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