Personnes-à-la-rue

Notre émotion a duré le temps d’une photo : nous avons dit : « Jamais plus Aylan. Jamais nous n’oublierons l’enfant mort sur la plage de Bodrum ». Puis notre compassion s’est refroidie.

« Il faut les accueillir, a dit le gouvernement, et lutter contre les passeurs qui les aident à partir ». Qu’est-ce à dire ?  Il faut les accueillir parce qu’on ne peut pas faire autrement dès lors qu’ils sont là, mais gardons-nous d’envoyer des bateaux récupérer ceux qui cherchent à fuir… Il faut les accueillir, disent les fils des Albanais, des boat people, des Arméniens, des Juifs, des Espagnols, comme nous avons été accueillis. Nous nous sommes promis que nous ne laisserions pas se répéter un meurtre de masse sans rien faire. Parfois les mêmes disent à mi-voix ou à voix très haute que des questions culturelles se posent, et qu’ils ne veulent pas le changement de société qui s’annonce.  « Combien sont-ils d’ailleurs (23 000 ? 200 000 ? Et ceux-là qui vivent dans les gaz d’échappement du périphérique d’où sortent-ils ?).

campement des Syriens Saint-Ouen

Ils attendent sur le trottoir près de la porte de Saint-Ouen, le long du canal Saint Martin, quai d’Austerlitz, sous le métro de La Chapelle. Grondement du périphérique. Le bruit résonne sous le pont tout proche. On voit les tentes Quechua et les déchets qui s’accumulent. Ils attendent des papiers, la possibilité de partir en Angleterre ou bien ils ne savent pas ce qu’ils attendent. Leurs envies, il y a bien longtemps qu’ils les ont oubliées, jusqu’à n’avoir plus que de pauvres rêves, une soupe chaude pour le soir, un peu d’argent pour du tabac ou pour un café. Et c’est une douleur supplémentaire d’échouer là quand on a quitté le pays en emportant avec soi l’espoir de toute une famille.

camp des Syriens Point d'eau

camp des Syriens Point d’eau

Et nous passons en voiture, vitres baissées, en regardant les Syriens mendier au carrefour de Saint-Ouen. Ils sont sales. Leurs femmes sont voilées. Ils tendent la main. Leur groupe fait peur. Nous usons de notre droit à l’indifférence. Nous donnons quelques pièces ou nous ne donnons rien. « Nous voulons bien que vous soyez là, mais ne demandez rien ». Et au feu vert, nous démarrons le plus vite possible.

« Mais réfléchissez un peu, écrivent les maires : la France appauvrie ne peut accueillir ces réfugiés supplémentaires. S’occuper des arrivants, c’est léser ceux qui sont à la rue. » Aux épaves de la rue, nous tournons aussi le dos. Nous détournons le regard. Nous passons. Nous partons. L’homme qui sent l’urine et qui habite dans une cabine téléphonique reste là comme un grabataire. Peut-être qu’il n’attend rien. Tout ce qu’il fait, c’est dire « non » aux gens du Samu social qui le visitent de temps à autre et nous, nous n’avons pas le courage de parler à cet homme. Et nous pensons : « Qu’on l’emmène pour nous débarrasser de ce spectacle. Nous ne voulons pas que nos villes deviennent sordides.  Mettez-le à l’écart ». Cette misère nous effraie. Elle nous suggère que notre prospérité est fragile et qu’un jour viendra peut-être où nous serons nous aussi inertes et sales sur l’asphalte. SDF la cabine téléphonique

Pendant plusieurs mois, un homme a élu domicile dans la cabine téléphonique de la place de la Nation. Ses affaires sordides occupaient de plus en plus d’espace et les gens faisaient un détour chaque fois plus grand pour prendre le métro. Avec ses dernières forces, l’homme disait « non » aux gens du SAMU social qui lui proposaient de quitter l’endroit. Alors, on a commencé à démonter la cabine téléphonique. Pendant quelques jours, l’homme est venu dormir sur le banc, puis il a disparu.  Place de la Nation, les ramasseurs d’ordures ont embarqué le matelas, le fauteuil et les sacs, puis l’arroseuse municipale est venue. La place est nette.

Cabine téléphonique démontée. Place de la Nation

Cabine téléphonique démontée. Place de la Nation

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