Disparition de Jean-Claude Chevalier

 

Je viens d’apprendre la disparition de Jean-Claude Chevalier. A vrai dire, si j’étais raisonnable, je verrais cette mort comme une délivrance car la fin de sa vie a été dure. Il se survivait, diminué, mais trop conscient. Il ne lui restait qu’à s’étonner d’être encore là quand tous ses collègues proches avaient disparu.

Mais je ne peux m’empêcher d’être très triste, pour moi, pour la linguistique française dont il était une des grandes figures, pour l’utopie de l’université Paris VIII où je l’ai rencontré en 1969, car c’est aussi ce passé que j’irai enterrer mercredi.

Jean-Claude Chevalier a été une sorte de père, ironique et attentif, quand je me suis retrouvée orpheline à 19 ans.

Il a été un formidable éveilleur d’idées. Son séminaire d’histoire de la linguistique de Paris VIII était un lieu ouvert au débat, au plaisir des idées vives. L’histoire de la grammaire française et l’épistémologie de la linguistique nous faisaient faire un grand pas de côté. Tout à coup, nous comprenions que les catégories grammaticales de notre enfance ne se confondaient pas avec le réel, qu’elles étaient seulement une des façons de représenter la langue. Les formalismes de la grammaire générative de Chomsky avec sa recherche d’unités de base combinables entre elles, (le fameux P –> SN-SV), devenaient une des façons d’aborder les structures de base de la langue, qu’on pouvait confronter avec la proposition de Port-Royal, en observant les différences et la même fascination pour le langage. La grammaire apparaissait inséparable de l’organisation de la pensée et de l’art de la persuasion, la rhétorique. A étudier les relations entre Grammaire, Logique et Rhétorique à travers les âges, on situait mieux ce que signifiait le retour de l’énonciation et de la prag­ma­tique pour la linguistique des années 70. Plus tard, autour de la figure de Ferdinand Brunot, Jean-Claude Chevalier s’est intéressé surtout à l’ancrage social  de sa discipline, au lien  entre la grammaire scolaire et la production des savoirs universitaires.

Ce Jean-Claude Chevalier-là était sans doute trop sceptique pour avoir construit la grammaire structuraliste des années 70. Mais sa Grammaire Larousse du Français contemporain était tout de même un livre qui permettait de prendre du recul par rapport au catéchisme des grammaires en usage.

Après s’être, désabusé, autant qu’usé, retiré de la communauté des linguistes, Jean-Claude Chevalier parcourait avec un peu de désenchantement les parutions récentes. « As-tu trouvé quelque chose de neuf en linguistique ? ». Il ne voulait plus être que le survivant d’un siècle déchirant, où les intellectuels s’étaient beaucoup trompés, ce qui l’amenait à se défier de l’esprit de sérieux, n’être plus qu’un homme d’une culture encyclopédique qui réfléchissait sur le renouvellement des idées, et le premier lecteur des romans qu’ écrivait sa femme, Anne-Marie Garat.

Aujourd’hui, nous sommes de l’autre côté de sa mort. Mais il est inséparable du mélange d’explosion de liberté et d’intelligence collective qu’a représenté l’université de Vincennes. Il m’est difficile de penser « jamais plus. Jamais plus ! ».

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