Il a arrêté la voiture devant une brèche qui donne sur le maquis. Un étroit sentier s’allongeait au milieu des chênes verts, des genévriers, des ronces, des lentisques, des salsepareilles.… Après deux-cents mètres, nous avons vu les caselle surgir dans une clairière ensoleillée, débarrassée de toute végétation.
Les cabanons de pierres sèches édifiés sans mortier se rencontrent là où des roches calcaires sont faciles à débiter en plaques.. Ce sont les bories de Provence, les trulli des Pouilles. On en voit aussi là où il y a des carrières éloignées des villages comme les abris de carriers à Fontainebleau (passagedutemps.com/2021/10/16/dans-les-archives-de-pierres-de-la-foret-les-carriers-de-fontainebleau/). Les ressemblances de style sont dues au matériau et non à une influence historique. La superposition des pierres à sec est une technique simple, mais qui demande un admirable sens de l’assemblage.
Comme leurs pareils, les barracuns de Bonifacio ont l’air de venir de temps immémoriaux. En fait, ils remontent pour les plus anciens au 17eme siècle au moment où l’accroissement de la population a contraint les habitants à développer l’agriculture. Les hectares du plateau calcaire de Bonifacio, tellement sec, étaient incultivables, mais dans les vallons où coulaient des sources, les paysans ont créé de minuscules jardins en ôtant les pierres. Avec ces pierres, ils ont bâti toutes sortes d’édifices :
Ils ont construit des murs hauts de plusieurs mètres (les tramizzi) pour délimiter les champs, peut-être pour les protéger des animaux, mais surtout pour atténuer le vent fou qui souffle ici 190 jours par an, parfois à plus de 150 kilomètres par heure. L’épaisseur de ces murs atteint couramment un demi-mètre. Ils sont parfois pourvus de marches d’escaliers enfoncées entre deux rangées de pierres qui permettent d’atteindre le faîte sans faire de détours

Les rivillin autour des oliviers conservaient l’humidité autour des arbres et fixaient la terre en cas d’orages ;

De nos jours, les cultures se meurent. Des lianes étouffent peu à peu les oliviers qui ne sont plus taillés et qui font du bois mort. Non entretenus, les rivilins se désagrègent.

Les paysans ont édifié des baracuns qui servaient d’abris de jardin. On pouvait y entreposer des outils, faire un feu. Ils ont d’habitude une forme ronde, ce qui permet de fabriquer des toits coniques en faisant déborder les pierres jusqu’à ce qu’elles se rejoignent.

Les barracuns étaient de simples abris de jardins, mais dans la clairière où nous sommes, les constructions ont un étage et sont reliées entre elles par des couloirs, ce qui laisse penser qu’elles ont été habitées. Pour les préserver – car le lieu n’est pas protégé pour le moment – je n’indique pas le chemin de ces caselli perdues dans le maquis et ignorées des passants.

Un escalier intérieur permet de monter sur le toit, ce qui paraît une fonction inutile à la profane que je suis, à moins qu’il ne s’agisse de profiter du frais quand l’air était trop chaud et qu’il y avait un peu de brise.



Au fond de la propriété un abri a été ménagé dans un mur. S’agit-il d’un endroit ombragé pour converser tranquillement, d’un ancien oratoire ?

L’implacable avancée du tourisme a condamné l’agriculture traditionnelle et les baracuns. Pourquoi faire des kilomètres dans la chaleur pour cultiver un lopin de terre, quand vendre du prêt-à-porter, des « souvenirs » fabriqués en Chine, des colliers de corail ou louer des villas rapporte dix fois plus et vous libère du travail manuel ?
Mais puisque que le propriétaire a trouvé utile de faire resurgir ses caselle du néant, on peut penser que la Corse aura à cœur de préserver ce patrimoine.
Féraud G. et GauthierA., 2011, Les Pierres du patrimoine bâti (Corse du Sud) : le terroir calcaire du Piale et son écrin granitique. Rapport final BRGM , RP-59112-FR http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-59112-FR.pdf
Christophe Moufflarge me signale l’exposition Trà mare è monti architettura è patrimoniu à Corte (jusqu’au 22 septembre 2022) qui présente une maquette permettant de voir combien le site est imposant.
(à titre de comparaison : https://carrieresetcarriersdegresdumassifdefontainebleau.wordpress.com)
Merci pour cette visite surprise ! Cela fait penser en effet aux trulli. J aime beaucoup l idée des murets autour des oliviers.
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Dans la montagne ariegeoise on trouve aussi sous le nom d’ »orris » des cabanes en pierres sèches qui servaient d’abris aux bergers qui, l’été, montaient à l’ »orri » pour s’occuper des bêtes et faire le fromage.
Même si certaines font l’objet d’une restauration , au titre du patrimoine rural,ces cabanes d’estive sont pour la plupart à l’abandon.
Ici aussi les changements de paysages suivent les changements de vie.
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J’ajoute « orris » à ma collection d’appellations… Les orris paraissent relativement élaborés. Si je comprends bien, ce sont de vraies cabanes, comme on en trouve aussi dans les montagnes corses.
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