Bercy au printemps

Du Palais omnisports de Paris-Bercy à l’AccorHotels Arena

Est-ce que Bercy est encore Bercy depuis que l’AccorHotels Arena a imposé sa marque sur le fronton de la salle polyvalente dédiée au sport et aux spectacles ?

D’habitude, je lis dans le métro. Il y a deux jours, je rêvassais pendant que s’égrenait le chapelet des stations, National, Chevaleret, Quai de la Gare et que les wagons de la ligne 6 glissaient sur le viaduc. Voici les tours de la bibliothèque, les lumières qui scintillent sur la Seine, la masse sombre du Ministère des Finances. Et soudain, j’ai remarqué les grandes lettres lumineuses AccorHotels Arena. C’est d’abord ce choix du global english qui m’a énervée, puis, la présence incongrue du nom, comme si on me privait de tout ce qu’évoque pour ma génération le « Palais Omnisports de Paris-Bercy ».

Je n’ai jamais mis les pieds dans le stade aux parois recouvertes de gazon, mais le nom  flotte dans ma mémoire. C’est là qu’a eu lieu le concert de Jean-Michel Jarre dans les années 2010 et de grands concerts de chanteurs qui attiraient des milliers de spectateurs et les tenaient en haleine pendant des heures. Je voyais aussi, les affiches placardées sur les murs du métro, où alternaient l’annonce des tournois de tennis et l’annonce des tournois de handball. Et puis Bercy, c’est tout un quartier.

Toutes les notices sur l’histoire du lieu disent qu’il s’est appelé d’abord Percy, nom qui apparaît au 12e siècle dans un acte de donation du roi Louis VI le Gros  aux moines de l’abbaye de Montmartre. Puis il y eut la « Grange de Bercix » et, en 1415, l’établissement de la première Seigneurie de Bercy. La fortune de Bercy est liée au commerce parce que la zone était située en bordure de Seine, à l’extérieur de la barrière d’octroi de la Rapée, ce qui permettait de ne pas payer de taxes. En 1810, le ministre des Finances de l’époque acquit  des entrepôts de vins qu’il fit remettre en état. En 1869, les entrepôts devenus trop petits furent agrandis jusqu’à occuper quarante-deux hectares. Bercy était le centre mondial du négoce des vins. D’énormes chais accueillaient barriques et tonneaux jusque dans les années 1960 quand les consommateurs ont commencé à acheter les vins mis en bouteilles à la propriété et ont abandonné les  assemblages proposés par les négociants. Après un siècle d’existence, le lieu déclina jusqu’à sa reconversion autour du Palais Omnisport (1984), du Ministère de l’Economie et des Finances (1990), du Parc et de la zone commerciale de Bercy-Village

Je suis fâchée qu’on fasse mourir un nom familier. Qui ? Pourquoi ? De retour à l’appartement, j’apprends en fouillant sur Internet, que la municipalité a passé un accord avec le groupe hôtelier, ce qui a  permis la rénovation gratuite du lieu en échange de de sa location comme support de publicité (www.lemonde.fr/sport/article/2015/…/au-nom-du-fric_4799516_3242.html). Sourds aux pleurnicheries des gardiens de la mémoire, les jeunes énarques qui font les comptes se frottent les mains.

Je suis peu sujette à l’indignation et je me dis: « C’est un détail. De toute façon, les noms de lieu changent depuis toujours et ceux qui demeurent n’ont pas le même sens pour les parents et les enfants. » Par exemple, pas un Marocain ne pourrait aujourd’hui parler de Port-Lyautey qui est redevenu Kenitra après l’indépendance du pays. Nous connaissons tous des noms de rues débaptisées au rythme des élections. A Sartrouville, qui faisait partie de la banlieue rouge dirigée par les communistes, la rue Marx a été remplacée par une rue de Tocqueville après un changement de majorité. Et ce n’est pas la seule.

Bon ! ce changement est un détail. Oui, mais infime ou non, un changement de nom n’en reste pas moins un acte d’identité et nous savons bien qu’en  Bretagne ou en Corse, on se bat même autour de leurs transcriptions. Les noms écrits « à la française » par les cartographes voisinent avec des transcriptions fidèles à la prononciation locale. Sur les pancartes, Sartène est souvent  rageusement rayé au profit de Sartè ; l’Ospedale (où un locuteur d’une langue  latine autre que le corse reconnaissait sans peine « hôpital ») laisse place à U Spidali, qui met en avant la langue de l’île.

Un haut-lieu parisien est à présent porteur d’un nom de marque. Depuis longtemps, les commerciaux ont convaincu leurs clients d’arborer des vêtements qui les transforment en hommes sandwichs, Levis, Adidas, Mango… Il est un peu triste qu’un lieu de mémoire se transforme en support de publicité.

Les décisions d’une majorité municipale échouent parfois à modifier les habitudes. La place Charles de Gaulle est restée  place de l’Etoile. Voyons ce qu’il en sera de Bercy.

 

Balade verte : le parc et la passerelle Simone de Beauvoir

Hier après-midi, l’orage tournait sur Paris. Le ciel avait la couleur du plomb. Soudain une grande bourrasque et la pluie a tout trempé en quelques minutes. Le magnolia a perdu ses pétales qui sont tombés sur la pelouse.

Le printemps hésite encore sur la place, mais depuis quelques jours les bourgeons dorés des marronniers sont devenus des feuilles. Comme chaque année c’est un miracle : la veille, ils luisaient comme de petites lampes. Le lendemain ils s’étaient déployés.

Les jours allongent et j’ai envie de balades vertes. Le nom de Bercy flotte encore dans ma mémoire et je repars par le métro jusqu’à la station Bercy. Les travaux de rénovation ne sont pas finis et je me faufile  entre l’arrière de l’hôtel Novotel  et la palissade qui masque l’entrée du parc.

Bercy n’a rien à voir avec le grand jardin à la française que l’on associe à l’image de Paris. Il est composé de façon à faire varier sans cesse les points de vue.

Au premier plan, la prairie rythmée par les platanes aux troncs puissants. Ce matin, elle sent encore la terre mouillée.

Bercy. Les sportifs

Bercy. Les sportifs

Des jeunes gens s’agitent encouragés par un moniteur invisible.

Certains font des étirements, d’autres redescendent la butte qui monte jusqu’à une terrasse qui domine le fleuve et le parc. Depuis ce belvédère, la vue embrasse la rive droite jusqu’au-delà du quartier Jeanne d’Arc ; on peut aussi suivre la coulée du fleuve jusqu’aux tours de Notre-Dame.

 

Une fois montée la pente abrupte, si on va vers la droite, on arrive royaume des skateurs.DSC_0010.JPG

Si l’on poursuit droit devant soi, on trouve la passerelle Simone de Beauvoir qui relie la rive droite au parvis de la Bibliothèque Nationale de France. Interdite à la circulation, elle est suffisamment large pour que les sportifs, les familles et les flâneurs coexistent sans se gêner.

Dans un paysage fluvial où dominent les lignes droites, ce pont sans pile (construit en 2006 par l’architecte berlinois Dietmar Feichtinger) frappe par ses courbes élégantes, son allure élancée. Il forme un entrelacs très allongé, dont le niveau supérieur est assez élevé pour offrir une vue en surplomb sur la Seine et le pont de Bercy tout proche. Là où les branches se croisent, au centre, un espace couvert est souvent occupé par des groupes qui répètent des chorégraphies mystérieuses ou par des lecteurs qui cherchent un abri intime et un peu protégé. Les lecteurs y sont en paix, à l’écart des passants. Rien ne les distrait, sinon le lent mouvement du fleuve et la fuite des nuages chassés par le vent. Le temps se ralentit.

Pont de Bercy depuis la passerelle Simone de Beauvoir

Pont de Bercy depuis la passerelle Simone de Beauvoir

Retour vers la deuxième partie du parc, conçue comme une série de petits jardins très différents les uns des autres, séparés par des buis ou par des boqueteaux d’arbrisseaux touffus. Il est  facile d’y trouver une place intime.

Bercy. La taille en espalier

Bercy. La taille en espalier

La roseraie et un plan de vigne, qui rappelle la vocation de Bercy, ne sont pas encore sortis de l’hiver, mais près du coin des jardiniers, les espaliers sont fleuris et le « potager pédagogique », qui permet aux écoliers de cultiver de minuscules parcelles, déborde d’herbes et de légumes.

Pas de touristes, mais des oiseaux dans les bosquets et des jeunes gens sur les bancs. Plus loin, des ponts «  à la chinoise »,  dont l’arche élevée enjambe la rue Joseph Kessel, et qui mènent au «  Jardin romantique». Romantique, je ne sais pas, mais il comporte des bassins entourés de roseaux qui abritent des poissons, des tortues et des oiseaux d’eau. Les  familles y emmènent des petits enfants fascinés,  d’autant que les œufs ont éclos et que les canes promènent leurs canetons.

La couvée

La couvée

Bercy n’est  sans doute pas le « plus beau » parc de Paris, ni le plus majestueux, mais les merveilleux jardiniers de la ville ont su faire tenir plusieurs mondes dans quelques hectares et chacun peut trouver sa façon d’y faire halte avant de retrouver le temps de la ville.

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