A propos des migrations

Aquarius et Exodus

Les deux vieilles dames étaient à la terrasse d’un café ; elles parlaient suffisamment fort pour qu’on entende leur propos, sans paraître trop indiscret.

  « Ce qui m’a marquée, ce sont leurs histoires. Lorsque je les lis dans le journal, je me souviens du film Exodus qui me faisait pleurer quand j’avais 15 ans

Je trouvais ça insupportable, que des Juifs qui avaient subi tellement restent coincés en Allemagne, alors qu’arriver en Israël était leur unique espoir. Aujourd’hui, ce sont les Africains qui cherchent à fuir leur vie insupportable. Comment leur en vouloir ?

– Oui, tu as raison ; et en 1947, les Européens parquaient déjà les sans-visas dans des camps. Pour l’Exodus, c’était à Chypre, et puis on voulait les renvoyer en Allemagne.

Mais ce qui a changé quand même, c’est le nombre des gens à secourir.

Il y a des quartiers de Paris où on se croirait au Mali, par exemple. Ils sont plutôt sympathiques ces Maliens, mais il y aura 4 milliards d’Africains à la fin du siècle. Ça m’obsède. Comment imaginer que notre culture puisse résister à cette pression. Ce n’est pas la couleur de peau ou des bêtises du même type qui me préoccupe, mais l’écart culturel. Je serais moins inquiète si l’Etat était fort, s’il cherchait encore à construire un monde commun, s’il donnait des raisons d’aimer la France. Mais j’ai l’impression que la culture dans laquelle j’ai baigné va se dissoudre.

– Bah ! Ce monde commun, tu l’inventes. Tu sais, moi, je ne suis pas allée au lycée, mais au collège d’enseignement général. On disait CEG. Ta culture, je ne l’ai pas connue et quand j’ai quand même obtenu le bac et que je suis arrivée à la fac, j’ai bien vu que je n’avais pas les clés du discours universitaire.

Et puis, nous ne sommes pas les propriétaires de la France. Nous en sommes seulement les locataires ».

Cette conversation n’était pas âpre. Il n’y avait pas d’enjeu car aucune des vieilles dames attablées autour d’un Perrier citron n’était vraiment engagée. Elles pensaient surtout à leur santé, à la santé de leurs compagnons et elles ne voulaient surtout pas menacer leur amitié pour une divergence d’appréciation, d’ailleurs pas si énorme.

– Il fait trop chaud sur cette terrasse. Rentrons à l’intérieur.

Ici, s’est arrêtée la conversation qui m’a frappée parce qu’elle répartissait entre deux personnes, les questions et les réponses qui hantent beaucoup d’Européens en ce moment.

Couffin, cabas et caddie vont au marché

marché

–  Oh le joli cabas !

– Ce n’est pas un cabas, c’est un sac de plage. Un cabas, c’est pour le marché !

– Un cabas, ou bien un couffin.

– Non un couffin, on y met des bébés.

– Des bébés ou des figues.

– Pour les figues, on prend un panier.

 

– Non un panier c’est dur, A Nice, à Aix, quand j’allais au marché, j’emmenais un couffin de paille tressée souple.  De toute façon, à Paris on a des caddies, personne ne va au marché avec un panier.

Quel plaisir, ces petites discussions autour du lexique. Elles rappellent qu’un collectif fabrique toujours de la différenciation. La divergence si minime soit-elle, est au service de l’identité. Même si l’usage est instable (l’emploi de couffin et de cabas varie beaucoup en fonction des modes transmises par les magazines et les publicités), il me semble qu’en disant couffin, je reviens au lieu de ma jeunesse ; je (me) rappelle que j’appartiens aussi au sud.

 

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