L’harmonie mélancolique des toits parisiens : gris clair, gris sombre… cheminées où perchent les mouettes, les goélands et les corneilles qui se substituent peu à peu aux pigeons. Leurs cris aigres remplacent les incessants roucoulements. En termes sportifs, nous avons gagné au change car devant les fenêtres ce sont des piqués, des glissements acrobatiques dans le ciel du matin, bien plus vigoureux que l’envol des pigeons.
Je suis repassée devant le magasin calciné qui fait l’angle Picpus rue du Rendez-vous : les mauvaises langues disent que le commerce marchait mal et que la prime d’assurance était une solution. Le matin on passe et on sent l’odeur de brûlé qui ne s’en ira qu’avec la démolition. Un peu plus loin la boutique de produits de la Baltique. Elle était tenue par une Polonaise venue en France, sans doute parce qu’elle aimait Victor Hugo et Zola. Elle n’aimait pas vendre les harengs et elle a fait faillite. Derrière la vitrine, on voit les dernières bouteilles de vodka dont les étiquettes se décollent et un papier peint beige sale encore plus triste que les planches qui masquent l’intérieur du magasin brûlé. Le verre de sa vitrine a la couleur de la poussière.
L’imposteur et les employés
Samedi, à la bibliothèque, deux employés du vestiaire, un frisé et un rouquin, discutaient de l’affaire Fillon en distribuant les valisettes transparentes où il faut glisser son ordinateur avant d’accéder aux salles de recherche :
– C’est des enfants différents des autres, tu vois. Eux, ils ont besoin de 3800 euros d’argent de poche par mois…
– J’aurais bien voulu avoir cet argent. Résultat je me retrouve comme un con à bosser dans ce vestiaire. Ça n’aide pas beaucoup pour avancer ma thèse !
– Oui, mais eux, ils sont habitués à mener la grande vie. Pauvres châtelains, ils sont obligés de puiser dans la caisse. Et puis, dans leur milieu, il faut un diplôme américain et ça coûte cher l’université en Amérique.
– Aussi ils feront des carrières juteuses comme leur papa.
– Moi, je veux bien travailler 39 heures payées 35 pour cette somme, reprenait le frisé.
– Dire que c’est cette face de triste chrétien qui nous parlait de servir la France et les Français. Pour nous, les coupes budgétaires et les 35 heures payées 39. Pendant ce temps-là, lui il se servait !
– Tous des Ripoublicains.
– Tu crois que ça irait mieux si on se débarrassait de la droite. J’en crois rien. C’est la Ripoublique
Ce que les jeunes gens ne supportaient pas c’était d’abord l’inégalité : au peuple, les sacrifices ; aux puissants, l’argent volé avec naturel. Mais l’imposture ajoutait à la colère. Fillon avait vendu l’image de sa probité ; il s’était réclamé du général de Gaulle ; il avait dénoncé les magouilles de Sarkozy et on l’attrapait à faire pareil. Je me disais que le plus démoralisant c’était la façon dont son parti minimisait la faute, comme s’il voulait persuader les Français qu’il n’y avait rien à faire contre la corruption.