Napata et ses rois nubiens à la conquête de l’Egypte

L’exposition Napata du Louvre a le grand intérêt de montrer les liens étroits de l’Egypte et du royaume de Kouch (situé en Nubie, l’actuel Soudan), liens commerciaux, culturels et guerriers. Elle s’inscrit donc dans le mouvement critique du discours européen qui a minoré l’apport des Africains à l’histoire universelle.

La 25ème dynastie (-720, -663)

Des siècles de domination égyptienne sont évoqués par exemple par des tablettes où des captifs noirs, plume d’oiseau fichée dans la chevelure, défilent, garrotés par le cou, devant le pharaon.

Nubien prisonnier. Musée du Louvre

Peu à peu, le royaume de Nubie devient indépendant et attaque à son tour l’Égypte. Le roi de Napata, Piânkhy, et son frère et successeur, Taharqa, parviennent à unifier le Soudan et l’Égypte et créent la 25e dynastie. J’ai suivi l’épopée guerrière de ces Africains qui, pendant 50 ans, ont régné sur les deux royaumes (à l’exception du delta du Nil) avant d’être défaits par les Assyriens. Les statues monumentales de Doukki Gel (au nord du Soudan) témoignent de l’importance de cette civilisation égypto-africaine : l’exposition présente les copies des représentations monumentales de 7 souverains du royaume kouchite qui avaient été brisées, ensevelies, et sont restées cachées jusqu’à leur redécouverte en 2003.

Les commissaires ont choisi également d’évoquer le rôle des égyptologues, et même l’opéra Aïda, auquel l’archéologue Mariette a contribué, tant pour les costumes que pour le scénario qui met en scène les amours contrariés d’une princesse éthiopienne captive et d’un général égyptien. Ils montrent aussi le magnifique travail de Michel Ocelot  autour de son film d’animation Pharaon (un pharaon kouchite), le Sauvage et la Maitresse des Roses.

Cinq statues

Mais je viens au Louvre moins pour m’instruire que pour m’abandonner à la séduction qu’exercent sur moi quelques œuvres. N’est-ce pas la force des expositions d’ajouter de nouvelles images aux images qui nous accompagnent tout au long de la vie ?

La petite statuette du roi Taharqa (19cm) agenouillé devant le faucon sacré, qui sert d’affiche à l’exposition, est certainement une des plus belles œuvres présentées.

Taharqa faisant l’offrande du vin au dieu faucon Hemen (Musée du Louvre)

… ainsi que la déesse-vautour, protectrice du royaume du Sud, sculptée dans un granit gris, avec son bec extrêmement dur et ses ailes prêtes à se déployer quand se présentera une proie.

Statue de  Nekhbet, déesse vautour protectrice du pharaon et de la royauté du Sud (Oxford)

La sculpture monumentale d’un bélier réunit tout ce que j’aime de l’Egypte ancienne, la maîtrise des formes et des matériaux et, à travers ces couples formés d’un homme et d’un animal, les images énigmatiques du divin dans un temps où les animaux étaient puissants et les héros des nains blottis entre leurs pattes.

Le Bélier d’Amon protégeant un Aménophis III tout petit (Berlin)

Bec de vautour, cornes de bélier enroulées contre l’oreille, gueules béantes des fauves… peuvent anéantir des hommes pas plus grands que des enfants sauf si la force s’inverse en protection.

Une fois de plus, nous regardons, subjugués, les dieux égyptiens à tête d’animaux, Horus dieu- faucon, Sekhmet la lionne, protectrice du pouvoir royal, ou encore Thot, à tête d’Ibis ou de babouin (ici représenté par un babouin paumes levées, adorant le disque solaire). Ces représentations sont contradictoires, troublantes. Elles tournent le dos à la recherche du trompe l’œil qu’a si longtemps poursuivi l’art occidental, et imposent des mélanges « impossibles ». Et pourtant, elles le font de façon « réaliste ». Personne n’hésite à reconnaître les animaux. On identifie au premier coup d’œil le mufle du babouin. Les descriptions savantes résolvent ce paradoxe en invitant à ne pas voir l’animal dans les statues, seulement le système théologique abstrait qu’il est chargé d’incarner. Ainsi le babouin ne serait qu’un symbole de l’écriture et des sciences. Cependant, n’en déplaise aux spécialistes de la religion, la représentation impose la présence de l’animalité, la nature mixte des dieux, avec sa part humaine et sa part divine (ce que dit le livre de Françoise Dunand et Roger Lichtenberg). Le vérisme est si fort que les statues de quatre babouins, accolées primitivement à la base de l’obélisque de la Concorde, ont choqué le roi Louis-Philippe qui les a trouvées trop indécentes, avec leur sexe bien visible, pour orner la place

Nous passons parfois la nuit dans les rêves la frontière « infranchissable » qui nous sépare des animaux. L’art égyptien révèle à sa manière la fragilité de ces séparations et oblige à percevoir la présence de l’Autre dans le règne humain.

Thot à tête de singe

J’évoquerai encore une statuette d’Isis allaitant Horus. Les deux personnages sont raides. La mère est massive, sa position assise ajoutant à sa dignité. Elle ne semble pas participer sentimentalement à la scène et son léger sourire ne s’adresse même pas à l’enfant sur ses genoux. (D’ailleurs la déesse n’allaite pas encore ; elle pince son sein entre ses doigts pour en faire jaillir le lait).

Cette statue n’est pas « jolie », mais elle m’a rappelée les innombrables représentations de mères qui donnent le sein. Les Vierges du lait du Moyen Age, la Vierge au sein rond de Fouquet, les jeunes femmes de Renoir et de Picasso me viennent à l’esprit… La statue d’Isis et de son fils Horus diffère par bien des aspects de ces œuvres qui ont  presque codifié l’inclinaison tendre du cou de la mère, la main minuscule de l’enfant posée sur le sein. Mais les aspects essentiels sont là. La mère universelle offre le lait vital à l’enfant et cette scène ne cesse de faire retour dans l’histoire de la peinture.

Maternité. Picasso 1905

http://ressources.louvrelens.fr/EXPLOITATION/oeuvre-n-383.aspx

Dunant, Françoise et Roger Lichtenberg, 2005, Des animaux et des hommes, Une symbiose égyptienne, Monaco, Editions du Rocher.

4 réflexions sur “Napata et ses rois nubiens à la conquête de l’Egypte

  1. Le bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion aurait pu être l’occasion d’une grande exposition au Louvre ( celle de la Bnf est plus confidentielle ) sur celui qui a été le créateur du premier musée égyptien au Louvre.
    Je regrette le parti pris d’une exposition plus  » anecdotique  » et « politiquement correcte » consacrée à l’épopée egyto-africaine des rois de Napata plutôt qu’à celui qui est considéré comme le fondateur même de l’egytologie.
    Une occasion manquée de mettre en lumière un génie français.
    Sonia, c’est mom moment reac…

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    • Il me semble qu’il y a quand même une logique à exposer Champollion à la BNF qui a déjà monté de grandes expositions sur l’écriture (j’ai d’autres griefs contre le BNF incapable de fournir un service minimum aux chercheurs !!! Mais c’est une autre affaire)…
      Je ne suis pas sûre que la manifestation du Louvre fonctionne comme un pansement consolateur. Taharqa a beau être soudanais, il est pétri de culture égyptienne. Il apparaît d’abord comme soumis aux prêtres d’Amon et ne semble pas avoir voulu changer quoi que ce soit aux codes culturels et religieux de l’Egypte. Qu’appelle-ton exactement « mélange de cultures » quand les vainqueurs adoptent à ce point la culture des vaincus ? Si quelque chose gêne dans cette exposition, c’est de ne pas préciser ce point

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