Paris, ville musée. Paris, ville patrimoniale où rien ne change ! Combien de fois ai-je entendu ces plaintes.
Quelle sottise ! La zone qui, dans le 13e, va de la rue Nationale au bord de la Seine est devenue un vaste terrain de jeux pour les architectes qui ont fait valser tout l’espace ancien. Parallèlement, à l’invitation de la mairie, des muralistes couvrent les vieilles façades grises des années 50 d’immenses fresques, faisant de l’arrondissement un musée à ciel ouvert.
Certes, le Nid de Rudy Ricciotti n’a pu à lui tout seul transformer l’atmosphère de l’avenue de France où le regard se perd parce que rien ne l’arrête. Tout au plus a-t-il joué avec des « brindilles » géantes pour déguiser son bâtiment carré. Mais plus loin, il a su conserver l’énorme bâtiment des Grands Moulins de Paris, construit en 1820 et en faire une élégante université néoclassique.
Cependant, c’est surtout à l’angle où l’avenue de France croise le boulevard du Général Jean-Simon (encore un que je ne connais pas) que la ZAC a fabriqué un espace anarchique et joyeux.
On peut s’attendre à tout dans un quartier où un artiste fait voler les pierres. L’œuvre du sculpteur Didier Marcel consiste à piquer en haut de mâts très fins des blocs de résine, imitant autant que faire se peut de la pierre.

Didier Marcel, Les Pierres volantes
Mais les architectes sont autrement spectaculaires
Il y a la tour verte que les plans nomment M6B2 et que son concepteur Edouard François compte transformer en tour qui pousse toute seule. Les jardiniers et les oiseaux apporteront des graines de toute l’Ile de France qui prendront sur le toit couvert de plus d’un mètre de terre ». Pour le moment, la tour ne convainc pas vraiment avec sa couleur-grenouille qui la rend visible à des lieux à la ronde. Mais pas loin, c’est une réussite : un duo, Harmonic et Masso a composé un ensemble composé d’une tour et d’un immeuble « à gradins »., A chaque étage les terrasses effectuent une torsion qui évite les verticales si monotones des quartiers de gratte-ciel et augmente l’ensoleillement de chaque appartement.

Gaëlle Hamonic et Jean-Christophe Masson

Immeuble Edouard François
A côté de l’immeuble qui tourne sur lui-même, d’autres architectes ont joué des matières. Voilà un bloc violacé, un autre qui brille comme du métal. Les jours de nuages et de vent, les mouvements du ciel viennent agiter ces surfaces miroitantes. Là où le béton est immobile, ces nouveaux matériaux célèbrent la splendeur de l’atmosphère.
Ces constructions étonnantes voisinent avec des morceaux du passé qui n’ont pas encore été éliminés, que ce soit la petite maison des années 20, au carrefour Cantagrel, celle même que Tardi s’était plu à dessiner dans l’album qui célèbre le quartier Tolbiac, ou bien la gare Masséna, inutile et à demi ruinée.
Et on voit toujours les voies de triage de la SNCF, faisceau complexe de lignes qui se croisent. La rue Watt qui passe sous les voies ferrées n’est plus la rue chantée par Boris Vian, mais elle a conservé la pénombre qui fait penser aux films noirs :
Une rue bordée d’colonnes
Où y a jamais personne
Y a simplement en l’air
Des voies de chemin d’fer
Où passent des lanternes
Tenues par des gens courts
Qu’ont les talons qui sonnent
Sur ces allées grillées
Sur ces colonnes de fonte
Qui viennent du Parthénon
On l’appelle la rue Watt
Parce que c’est la plus bath
La rue Watt
Dans les espaces réhabilités, les urbanistes ont alterné, ruelles, jardins, escaliers qui cassent les lignes et ménagent des coins qu’on a envie d’habiter. Les noms qu’on leur a attribués célèbrent une culture saine, humaniste et contemporaine avec Paul Ricoeur ou Françoise Dolto, comme si les édiles espéraient opérer par métonymie une transmutation morale des patients mis au contact de la rue Primo Levi ou de Vidal Naquet que la plaque présente comme un historien mais surtout comme quelqu’un qui a lutté contre la torture. Goscinny plus capable de parler aux jeunes gens a lui aussi droit à une rue, joyeuse grâce à une galerie un peu foutraque, la galerie Itinerrance. Comme dans tout Paris, des plots ont été installés en complément de la signalisation, pour empêcher le stationnement d’automobilistes indisciplinés. Les peintres les ont décorés et on oublie presque combien ils défigurent les trottoirs
Le 13eme est d’ailleurs le royaume des peintres muralistes. Partout dans le quartier, des façades banales sont devenues des œuvres d’art.
Tout le monde a pu voir depuis le métro à l’angle du boulevard Vincent Auriol et de la rue Nationale Le Chat de Christian Guemy (C215). Mais c’est à chaque coin de rue qu’il faut lever les yeux. Voici quelques images. Au 47 rue Nationale, le cubain Jorge Rodriguez Gerada a dessiné un portrait mélancolique au fusain :

47 rue Nationale, Jorge Rodriguez Gerada
L’escalier imposant qui relie la rue de Tolbiac et la rue du Chevaleret, située 10 mètres plus bas est décoré par une fresque signée YZ214 qui s’amuse à inverser la volute classique d’un balcon. Juste au-dessous un artiste clandestin facétieux a accroché sous le lampadaire un petit bonhomme.
Au 8 de la rue du Chevaleret, Tristan Eaton, promet « The Revolution will be trivialized » :

Tristan Eaton, Paris, 8 rue du Chevaleret, The Revolution will be trivialized
Au 173 rue du Château des Rentiers, j’aime beaucoup l’espèce de sculpture réalisée par quelqu’un qui signe VHILS, et qui fait apparaître un visage dans la matière dégradée d’un mur.
Il faudrait nommer tous ces artistes car même lorsqu’on aime moins une oeuvre, il faut reconnaître qu’ils ont transformé le quartier. Au lieu de simples cubes de béton, bons pour loger le peuple , il y a désormais dans les rues, des couleurs et des formes. La mairie qui a lancé ce vaste programme publie à présent un parcours de « Street art »qui invite à flâner le nez au vent : http://www.mairie13.paris.fr/mairie13/jsp/site/Portal.jsp?page_id=712