Le mois de mai dans les Ardennes belges

Les petites villes des Ardennes françaises m’ont paru tristes et pauvres, alors que celles des Ardennes belges sont pimpantes et conviennent aux désirs d’insouciance des touristes. Par exemple, Givet dans la vallée de la Meuse, dominée par un promontoire escarpé occupé par une forteresse, pourrait être aussi prospère que Dinant, mais le centre-ville est presque désert et personne ne se promène sur les bords de la rivière. La ville présente l’image même du déclassement que nous redoutons sans que les habitants ne soient parvenus à « vendre » la sérénité du séjour et les forêts d’alentour !

Dinant au bord de la Meuse

Au contraire, le pays de Dinant semble florissant. Certaines demeures de la rive gauche de la Meuse sont même somptueuses, s’ornant de tourelles, de lucarnes et de clochetons.

Dans cette zone de frontières, la muraille de pierre qui domine Dinant a forcément entraîné la construction d’une citadelle fortifiée. De fait, on voit partout les traces de la rivalité entre peuples voisins. La forteresse de Dinant a fait sans doute la prospérité, mais aussi le malheur de la ville qui fut détruite au 15e siècle par Charles le Téméraire, puis à nouveau par les Allemands en 1914. 614 civils furent fusillés. Aujourd’hui, la citadelle n’est plus qu’un but de promenade pour les touristes et tout près, l’abbaye de Leffe rappelle que l’on arrive au pays de la bière.

Voici la collégiale Notre-Dame avec son gros clocher bulbeux et ses tourelles. L’intérieur est presque vide mais comporte quelques statues et un reliquaire célèbre, celui du saint local, Perpète. Je n’ai jamais appris à regarder les reliquaires. … je préfère les statues éloquentes comme on en faisait au 18ème siècle. Un Français habitué à utiliser à perpète comme équivalent familier de à perpétuité a par ailleurs du mal à considérer avec sérieux un saint Perpète, mais la statue de celui-ci ne manque pas d’éloquence.

J’aime aussi la Vierge, une petite fille de rien, qui porte son enfant de bois comme une grosse poupée.

Collégiale de Dinant. Vierge à l’enfant

Sur le quai, le grand soleil de mai a fait sortir des promeneurs qui se réjouissent du soleil et s’attablent pour essayer les bières locales. Dans cette région, plus qu’en France me semble-t-il, les enseignes sont des jeux de mots.

Dinant. Un immeuble art-déco

Dinant célèbre partout monsieur Sax, un enfant du pays, avec un musée, avec des fontaines en forme de saxophones, partout sur les placettes.

Présence du monde

C’est le soir et nous voulons marcher un peu avant de dîner. Au-dessus du cimetière, un petit chemin passe au milieu des champs de blé qu’agite le vent léger du soir.

Dinant. Le Champ de blé

Un setter irlandais tout à sa joie court à notre rencontre avec derrière lui sa maitresse qui s’excuse, sans s’excuser de ne pas attacher son chien si heureux d’être libre, mais déjà le chien repart déçu qu’on ne lui manifeste pas davantage d’amitié.

Nous avions lu les brochures consacrées à Dinant : « Mes 8 idées de choses à faire à Dinant », « Citadelle, collégiale, maison de M. Sax, abbaye, balades sur la Meuse, rocher Bayard ». A côté de ces rendez-vous obligés, notre petite promenade a le charme des rencontres imprévues en apparence anodines, qui donnent le sentiment d’exister. Le plaisir de voir courir le chien dans le soleil, la fascination qui revient pourtant chaque année devant les blés agités par la brise étaient-ils dus à nos regards prêts à s’émerveiller. Il nous a tout à coup semblé que l’essence du voyage, le sentiment de notre présence au monde, c’était cet instant partagé à ce moment et à cet endroit.

Le pays de Bouillon les méandres de la Semois

Le lendemain, nous partons pour le pays de Bouillon et les méandres de la Semois (en France, on écrit Semoy). A vol d’oiseau, il y a 80 km de la source au confluent avec la Meuse, mais la Semoy met 210 kilomètres de méandres à parvenir à son terme.

Le tombeau du géant à Botassart est le point de vue le plus célèbre. Le méandre entoure une colline. La forêt est épaisse, colorant de verts tout le paysage et ne laissant que quelques clairières au bord de la Semoy.

Botassart. Le tombeau du géant

Sur mes fallacieux conseils, nous avons pris le chemin du haut qui va à travers la crête d’un promontoire au suivant. Mais ces points de vue sont mal dégagés.

– Ne t’approche pas de l’à pic, tu vois bien qu’il y a écrit «  Danger » !

– Ce n’est pas dangereux. Ils ont même installé un banc pour qu’on puisse voir le méandre !

– Mais ils n’ont pas pensé à élaguer les arbres. On ne voit pas grand-chose.

– Si tu as le vertige repartons dans la forêt sombre avec ses hêtres énormes.

– Je ne veux plus marcher dans les bois, alors qu’il y a de l’eau vive en bas. Je ne veux plus m’engloutir dans ta forêt sombre dont je ne sais même plus si elle est belle au lieu de voir les méandres. Descendons au moulin, au bord de la Semois.

En bas, la lumière est filtrée par le feuillage et le léger bruit de l’eau mesure doucement le temps. Des kayaks descendent la rivière (les loueurs se chargeant de la remontée).

La Semoy. Kayaks et bernaches

Cependant le gué a l’air bien bas. Y aura-t-il de l’eau cet été, ou la la rivière finira-t-elle asséchée ?

La Semoy. Le gué du Moulin

Puis il faut attaquer la montée qui ramène sur le plateau, lever le nez dans les tournants vers les cimes des arbres pour enfin parvenir suants et assoiffés dans les hauteurs de Botassart.

Heureusement, la crête est très bien organisée pour séduire et occuper les touristes. Nous pouvons boire tout notre saoul, rêver de balades en calèche, de visite des fermes et de brasseries, d’appartements-hôtels de luxe. A Rochehaut, un observatoire permet de voir un nouveau méandre avec le minuscule village de Frahan au bas de la pente.

Frahan depuis Rochehaut

Notre troisième méandre est celui de Bouillon.

Godefroy de Bouillon, le chevalier

La petite ville est surtout célèbre à cause de Godefroy de Bouillon qui vendit son château à l’évêque de Liège pour pouvoir lever une armée et partir à la croisade. La vente était à reméré (du latin redimere, racheter, c’est-à-dire permettant de racheter le château), mais le duc mourut à Jérusalem en 1100. Godefroy est décrit comme un chevalier exemplaire : les brochures  vantent sa force, sa vaillance, et son humilité qui lui fit refuser de devenir souverain du Royaume de Jérusalem là où Jésus-Christ avait été crucifié.

Tout l’éperon est occupé par le château pour l’essentiel remodelé par Vauban après les guerres de Louis XIV, ce qui fait une forteresse de 340 mètres. On se perd dans les couloirs humides, puits permettant d’accéder à l’eau potable, couloirs creusés pour pouvoir ravitailler la garnison, tour de guet, chambres de torture, prison…

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bouillon_%28Belgique%29#/media/Fichier:0_Bouillon_-_Plan_ancien_de_la_ville_fortif%C3%A9e_et_du_ch%C3%A2teau-fort.jpg
Vue sur Bouillon et ses toits d’ardoise depuis la forteresse

Dans l’ancien arsenal du château, se tient une exposition admirablement didactique sur l’école médiévale et sur les techniques d’écriture et d’imprimerie.

Les châtiments corporels vont de soi. BNF

Chouettes, hiboux, vautour, aigle

La visite se termine par une démonstration de fauconnerie, dont je retiens la beauté stupéfiante d’un aigle pygargue.

L’appât du fauconnier fait revenir l’oiseau qui pourrait choisir de voler tout son saoul et j’en suis presque déçue.

Le palais ducal contient une intéressante collection de peintures de ceux qu’on appelle des peintres locaux. Voici donc Bouillon par Raty.

Albert Raty (1889-1970)

Une section est consacrée à l’imprimerie. Elle rappelle l’ordonnance de 1675 par laquelle les contes de Jean de La Fontaine dont la lecture « ne peut qu’inspirer le libertinage » ont été condamnés à la destruction. Cependant le comte de Bouillon redevenu propriétaire du château a été autorisé à en garder des exemplaires. Cette histoire me rappelle qu’une des nièces de Mancini, la toute jeune Marianne avait épousé Godefroy-Maurice de la Tour d’Auvergne, grand chambellan de France, neveu de Turenne, duc de Bouillon… et de Château-Thierry. La Fontaine était leur protégé pour ses charges dans les eaux et forêts. Il ne séduisit sûrement pas Marianne qui s’ennuyait à Château Thierry. La distance sociale était trop forte, mais il la désennuya et lui dédia Les Amours de Psyché. Le monde est petit.

Le plus inattendu pour moi est une vierge ouvrante. Quand elle fermée, c’est une vierge à l’enfant banale. Mais elle s’ouvre : on voit alors apparaître un ange sur chaque panneau latéral. Le milieu de celle de Bouillon a été effacé. Il contenait sans doute comme souvent une représentation de la Trinité logée dans le ventre de la Vierge, ce que l’église a jugé hérétique. Ces sculptures ont été officiellement interdites par le concile de Trente en 1545. Les vierges ouvrantes sont très rares..

La Vierge ouvrante de Bouillon

A deux heures, nous voulons déjeuner sur les quais de la Semoy. Les boissons viennent très vite, puis l’attente commence. Cette attente n’est pas désagréable. Les pédalos défilent avec leurs chargements d’amoureux ou de familles. Les boissons fraîches, l’ombre des parasols et la brise légère permettent de patienter. Chaque fois que la serveuse passe, nous croyons que c’est pour nous, mais elle apporte de nouvelles bières à des clients aussi débonnaires que nous le sommes.

– Quand même, nous vous avions prévenus que nous étions pressés et vous ne nous avez pas dit qu’il faudrait plus d’une heure pour avoir deux pizzas et deux salades.

– Nous sommes trois madame, un en cuisine, deux pour servir !

– Si peu pour cette grande terrasse !

Nous ne voulons pas retarder davantage la serveuse ou la mettre en porte-à-faux et nous ne saurons pas si les patrons rechignent à embaucher ou si comme en France, ils ne trouvent personne qui veuille ce travail fatigant et sans horaires. Nous voici gênés d’avoir manifesté de l’impatience et prêts à admettre le retard, la lenteur.

Les uns se disent qu’il va falloir sacrifier une dernière halte à Reims. Les autres protestent.

« A nos âges, il faut aller à Reims quand l’idée nous en vient sans nous dire qu’on pourra revenir »

C’est vrai. Bientôt, le temps ne se bornera pas à rider nos fronts

8 réflexions sur “Le mois de mai dans les Ardennes belges

    • Oui, c’est vrai. Les Ardennes belges ont l’air plus riches depuis longtemps. Il m’a semble aussi qu’il y avait moins de supermarchés. Les centres-villes pouvaient donc exister et cela doit aider les communautés à se mobiliser. Le tourisme a bien des défauts, mais il vaut mieux que l’impression navrante du délabrement.
      Même dans une ville comme Sedan, les commerces et les maisons sont souvent fermés, murés, en tout cas laissés à l’abandon.

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  1. Les Ardennes ce sont pour moi des bribes de souvenirs littéraires, un  » Balcon en forêt » qui se passe quelque part au dessus des boucles de la Meuse, Julien Gracq encore qui évoque la Semois comme étant la Rivière de Cassis du poème de Rimbaud.
     » Peu de contrées sont aussi mystérieuses que le pan de forêts qui sert, au sud, de traîne somptueusement fourrée à l’Ardenne belge, et dont la rivière , du va- et- vient serré de ses méandres, semble coudre et recoudre l’ourlet à quelques kilomètres à peine de la frontière.
    (Carnets du grand chemin – La Pléiade page 987 )
    Sonia, continue toi aussi tes Carnets de grand chemin…

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    • J’avais dit paresseusement à Jean-Marie que ces paysages me donnaient envie de relire Un balcon en forêt, mais je ne pensais pas à Rimbaud. Pas du tout. et pourtant la forêt et sa rivière, les sapins, et les corbeaux et ce donjon qui pourrait être celui de Godefroy… Faute de se perdre près des méandres de la Semoy, je vais errer dans les livres et vite découvrir les Carnets du grand chemin. Merci
      Sonia

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