Départ : Parking au carrefour de la Croix de Franchard (croisement de la Route Ronde (D. 401) et de la route des Gorges de Franchard)

Je n’allais plus à Franchard depuis des années, parce que c’était l’endroit de la forêt le plus connu et donc le plus fréquenté. Cependant, j’ai constaté mardi qu’à condition d’arriver tôt, on y rencontrait peu de monde et la petite promenade des gorges (6 km environ, qu’on peut allonger à l’envie) permet de voir de grands arbres vénérables, plus majestueux qu’aux Trois Pignons.
Et puis, il s’agit d’un coin de forêt, évoqué par Flaubert dans l’Education Sentimentale. Le héros, Frédéric, fuit les troubles révolutionnaires de 1848 avec sa maîtresse, Rosanette, se réfugie à Fontainebleau où il visite le château, puis la forêt, avec l’impression d’avoir échappé à l’histoire violente qui se déroule à Paris et d’entrer dans un autre temps, au milieu des roches qui « étaient là depuis le commencement du monde et resteraient ainsi jusqu’à la fin ». C’est un peu la même impression que nous cherchions en fuyant Paris où tout était encore interdit.
A vrai dire, je n’avais pas bien compris que les autorités nous interdisent de nous déplacer en voiture pour aller marcher seuls en forêt, alors que les risques encourus étaient plus grands au supermarché (on a vu plus aberrant puisqu’il était interdit de monter sur une montagne à plus de 100 mètres de dénivelé de son domicile, ou de marcher sur la plage déserte qui longeait sa maison.) En aucun cas, ces pratiques ne pouvaient accélérer la transmission du virus. Est-ce qu’il s’agissait d’empêcher la jalousie en imposant un confinement indifférencié, seul à même de faire accepter des mesures si lourdes en raison de l’idée pessimiste que les Français sont incapables de supporter que certains soient mieux lotis que d’autres) ? Ou bien s’agissait-il de marquer qu’on était entrés dans une ère de surveillance où l’Etat manifestait sa toute puissance en enfermant tout le monde dans des cellules d’isolement ?
Tournant le dos à l’Ermitage, nous avons en gros suivi le sentier n°7 tracé par Denecourt et son successeur Colinet en guettant les lettres majuscules et les étoiles bleues qui signalent les curiosités les plus remarquables. (sur Denecourt voir Le chemin des 25 bosses à partir du cimetière du Vaudoué. Au bout de la pinède, on arrive à la limite de la platière sur un escarpement, d’où se sont détachés les blocs de pierres qui font la renommée de Fontainebleau. On passe l’abri T avec ses grandes taches couleur de souffre, comme la trace d’un tableau abandonné.

Et on descend dans des amas d’énormes boules de grès rondes et polies.

A Franchard comme ailleurs dans la forêt, on croise des sauriens écailleux qui évoquent des animaux du début du monde, des dragons pétrifiés et d’étranges rochers bourgeonnants et troués comme ce Sphinx des Druides.

De temps à autre, la brise tiède apporte l’odeur résineuse des pins. Et partout sous la pinède, on tombe sur des bouquets de fougères émeraude.

Il y a aussi des pins torches qui s’enflamment au soleil.

Un des embranchements du sentier mène à travers un dédale de roches et de défilés étroits, jusqu’à la fameuse Antre des Druides, en fait une simple saillie rocheuse, assez profonde pour qu’on s’y rencogne quand la pluie tombe. Elle a peut-être servi d’abri sous roche aux anciens habitants de la forêt.

Elle paraît obscure dans le contre-jour et s’éclaire quand on approche. Hélas ! On découvre les nombreux graffiti laissés sur la paroi par les visiteurs.

Pas d’eau au fond de la gorge. Le chemin remonte jusqu’à un col puis revient vers l’ermitage par une allée sableuse. Les hauts troncs de pins qui ont été plantés symétriquement donnent à la forêt une allure émouvante de cathédrale.

Retour à l’Ermitage : tout près de ce grand parking conçu pour pouvoir accueillir une foule de touristes, des ascètes ont vécu dans une solitude sauvage depuis la fin du 12e siècle…. Le monastère détruit pendant la guerre de cent ans, a été reconstruit et à nouveau occupé jusqu’au 18ème siècle où des brigands ont assassiné l’ermite qui y résidait et se sont approprié le prieuré. Il fut alors transformé en maison forestière. De la période ancienne, il reste les vestiges du mur extérieur de la chapelle avec ses contreforts.

Aujourd’hui, le logis est loué par l’Office National des Forêts. Une plaque commémorative (apposée en 1969) rappelle qu’eut lieu là Fontainebleau le 9 juin 1900 le premier Congrès International de Sylviculture qui avait abouti à la création de l’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources. Tout près, une tour permet de surveiller les feux, particulièrement à craindre dans une forêt où poussent tellement de pins.

Quelques références
Flaubert, L’Education sentimentale, éd., Paris, Garnier 1961. p. 320 et s.
Mérienne, Patrick & Hervet, Jean-Pierre, Forêt de Fontainebleau. Randonnées et découvertes, saint-Amand-Monrond, éditions Ouest-France.
Les gorges de Franchard sur les pas de Flaubert mais aussi sur les pas de George Sand qui en fait le cadre romantique , au clair de lune, d’une scène particulièrement violente de passion amoureuse avec Alfred de Musset. Sous les traits de Laurent et Therese dans son roman autobiographique Elle et Lui.
J’aime beaucoup l’abri T comme l’esquisse d’une aquarelle souffree.
Sonia, vous m’avez fait découvrir la forêt de Fontainebleau, continuez…
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Je ne sais pas pourquoi il y a une affinité si profonde entre les forêts et la littérature (et ça commence avec le Petit Chaperon Rouge…). Je connais mal l’œuvre de George Sand, à part ses romans pastoraux. Voici une bonne raison de se plonger dans Elle et Lui.
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Beau sujet de réflexion que l’affinité entre la forêt et la littérature.
Je pense en particulier au superbe récit de Julien Gracq « Un balcon en forêt » où la forêt omniprésente
absorbe toute la vie des personnages.
C’est avec la forêt que la nature se déploie dans toute sa puissance originelle.
Elle enferme et envoûte ses habitants.
» la forêt scellée devenait un piège de silence , un jardin d’hiver que ses grilles fermées rendent aux allées et venues des fantômes »
La forêt comme bulle de temps suspendu…
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Forêt et imaginaire plus largement. . D’aussi loin que je me souvienne, les héros quittent leurs châteaux et leurs villages pour se perdre (et se trouver) dans la forêt, de Blanche Neige, et du Petit Chaperon rouge, aux Cygnes sauvages…
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