Les rues de Paris ne nous sont pas encore complètement rendues. Nombre d’endroits sont encore fermés, sans qu’on comprenne toujours pourquoi. Nous avons voulu revoir la Cité Universitaire de Paris, mais elle est encore inaccessible. Les cafés sont fermés, ou alors il faut aller dehors, mais les cafetiers n’ont pas de chance : depuis qu’ils ont le droit d’ouvrir leurs terrasses, il fait frais ou il pleut.
Une fois de plus, nous fuyons vers Fontainebleau entre deux averses pour retrouver un lieu qui a continué à exister tranquillement sans se soucier de la pandémie. On peut rester des heures à regarder sans comprendre ce qui fait pousser si droit les troncs noirs des pins laricio, comment s’organise la régularité irrégulière qui fait se déployer leurs branches, pourquoi les branches des chênes partent vers le haut et celles des mélèzes vers le bas, pourquoi les branches se divisent… ? Pour autant, dès qu’on prend le temps de se promener à Fontainebleau, on voit que rien n’y est «éternel », ni les rochers aux formes fantastiques, ni la végétation. La forêt a été modelée par les activités humaines. Cette fois, nous partons de la Croix d’Augas tout près de Fontainebleau, pour nous diriger vers le rocher Cassepot. (Pour une fois, j’ai trouvé le sens de ce nom Cassepot, autre nom de la raiponce à feuilles de bétoine, Phyteuma betonicifolium).

http://rene2.fond-ecran-image.com/blog-photo/2013/07/26/mon-regard-sur-la-flore-des-montagnes-my-looking-of-the-mountain-flowers/b-bleu-raiponce-a-feuilles-de-betoine
Le sentier que nous allons suivre, inauguré en 1890, a été tracé par Charles Colinet, successeur de Denecourt.

Les Amis de la forêt de Fontainebleau contre l’Office National des Forêts
Tout près de la D 116, on tombe sur des troncs énormes attendant d’être emportés pour être débités en planches. La destruction de ces grands pins serre le cœur. A la place des troncs géants alignés sur la route, l’Office National des Forêts (ONF) replantera sûrement des résineux, mais ceux-ci ne seront pas plus hauts que des piquets.

Je sais bien que la forêt de Fontainebleau est une création récente : nous devons les chênes à Colbert, qui les destinait à la marine. Il n’y avait pas davantage de pins avant les 18e et 19e siècles,. Franchard était une gorge aride. C’est pourquoi elle paraissait plus escarpée qu’elle ne nous semble l’être aujourd’hui. De même, les bizarres formations rocheuses des bords des platières étaient sans doute plus impressionnantes que de nos jours. Sur les platières du Cassepot, seuls poussaient la bruyère, le genévrier et le genêt qui donnaient un air mélancolique à ces vastes étendues.
Oui, ce sont les forestiers qui ont inventé Fontainebleau en remodelant ses paysages et ils ont raison de dire qu’une forêt s’entretient. Mais pourquoi abattent-ils tous les grands arbres à la fois, au lieu de pratiquer des coupes avec précaution ? La forêt doit être rentable, mais l’argument économique justifie-t-il qu’elle perde son âme ?

Récemment encore, les Amis de Fontainebleau ont obtenu la suspension de coupes massives prévues dans le massif des Trois Pignons, mais à La Croix d’Augas, la logique économique a prévalu.
Nous passons devant les mares Froideau, un peu tristes.

Près du grand point de vue du Cassepot, nous traversons d’anciennes carrières de grès qui rappellent qu’avant de devenir un haut lieu touristique Fontainebleau faisait vivre toute une population de carriers.
La forêt industrielle : les carrières de grès
Chaque fois que nous nous baladions ensemble, Ivan nous rappelait l’histoire du grès de Fontainebleau, cette roche composée de sable (quartz) et d’un ciment fourni par la silice dissoute par la mer Stampienne qui avait envahi le bassin parisien entre trente-sept et trente-trois millions d’années avant JC. Le sable, qui peut atteindre soixante mètres d’épaisseur, affleure par endroits. Les sables du Cul du Chien, particulièrement blancs, sont de la silice quasi pure, répétait patiemment Ivan, ce qui en fait une matière première précieuse pour l’optique de précision. C’est ce sable qui a fourni le ciment siliceux nécessaire pour former les blocs de grès de Fontainebleau, disposés en bancs dans la masse sableuse, puis dégagés par l’érosion.
Ça vous explique les platières, concluait Ivan. Elles peuvent être longues de 3 km et d’une épaisseur variant de 3 à 10 mètres. Les blocs sont aux bords de ces plateaux. On demandait : Pourquoi les trous dans les roches ? – Et bien, sans doute y avait-il des parties calcaires plus tendres et plus solubles qui ont disparu pendant que le gré résistait.

A la promenade suivante, nous avions oublié les dates : comment se souvenir d’une pareille épaisseur de temps alors qu’on a du mal à mémoriser la succession des rois de France ?
Mais avec l’histoire des carrières, nous changeons d’horloge. Les premières carrières de Fontainebleau datent de l’an mille. Le gré étant une roche trop dure pour être sculptée, contrairement au calcaire, sa principale utilisation est la fabrication de pavés pour paver les rues ou pour construire des fondations comme à Moret-sur-Loing. En 1184, une Ordonnance Royale autorise l’ouverture par adjudications, de carrières là où se trouvaient des bancs de grès.
Un an plus tard Philippe-Auguste exige le pavage de toutes les rues de Paris ce qui entraîne le développement de l’industrie du taillage du grès. A partir de la fin du 18e siècle et jusque dans les années 1840 on comptait, selon les saisons, entre 1000 et 2000 ouvriers dans le massif.
Dans un paysage où il n’y avait pas encore de pins, et où le grès affleurait, chaque entrepreneur recrutait entre 10 à 15 ouvriers carriers qui enlevaient d’abord la végétation au-dessus du front de taille, puis décapaient le sol afin de préparer le plan de chute.

Front de taille près des mares Froideau
La première phase de l’exploitation consistait à abattre un bloc, le plus important possible.
Des coins en fer étaient disposés en ligne dans des mortaises appelées aussi « boites à coins » sur le dessus de la platière, permettant de détacher des blocs de 200, 300 voir 400 tonnes.
Dans une partie de la carrière appelée « atelier », les carriers débitaient les gros blocs en blocs plus petits jusqu’à atteindre la dimension d’un pavé. Le rythme de production était de 6 pavés par carrier et par heure, durant une journée de 12 heures.
Les écales formées par les grès sont les déchets restés sur place. Ces empilements de restes de pavés sont aujourd’hui recouverts par la végétation.

La production déclina ensuite par suite de la concurrence du grès des Ardennes, réputé plus résistant, et du granite de Bretagne, qui possède l’énorme avantage sur le grès, de ne pas être glissant lorsqu’il est mouillé. A partir de 1850, l’émergence de l’asphalte et des pavés de bois pour le recouvrement des chaussées accélère l’obsolescence des grès de Fontainebleau. L’exploitation des carrières dans la forêt de Fontainebleau a cessé en 1907 au grand soulagement des promeneurs. La forêt industrielle a été transformée en parc touristique et même les traces de l’activité des carriers ont été muséifiées.
SUR LES CARRIERS
Je mets ces quelques notes en attendant de suivre une prochaine fois le sentier des carriers aménagé par l’ONF qui part du Carrefour du Coq, Faisanderie de Fontainebleau à côté du Centre d’initiation à la forêt de l’ONF. (le sentier passe par des abris de carriers qui constituent un « village »). Voir le site internet de l’ONF où l’on peut télécharger un audioguide, une plaquette et un livret du sentier des carriers.
Voir aussi le Blog https://carrieresetcarriersdegresdumassifdefontainebleau.wordpress.com/ animé par Patrick Dubreucq. On y trouve les dates des promenades organisées, expositions et ouvrages concernant les carriers de Fontainebleau.
Dans le cadre des journées du patrimoine, le dernier tailleur de grès de cettte région ouvre les portes de sa carrière à Moigny-sur-Ecole, route de Boutigny-sur-Essonne.
Merci de mettre mon site en référence à votre article. Votre article, agréable à lire, invite à la balade en forêt de Fontainebleau. Cependant les informations historiques que vous diffusez sur les carrières de grès méritent d’être enrichies. Je vous rappelle mon adresse mail : patrick.dubreucq@wanadoo.fr. Bien à vous. Patrick Dubreucq
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Dans la Grotte aux cristaux le ciment est calcaire et on peut distinguer les cristaux
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