Splendeur du golfe de Porto

Je parlerai une autre fois de la vie quotidienne en Corse. Aujourd’hui, voici les souvenirs d’une visite du golfe de Porto et de notre inoubliable balade des calanches de Piana et de la réserve de Scandola.

Venir à Porto par Corte, c’est passer par la plus belle forêt de laricios de Corse, la forêt d’Aïtone, avec ses milliers de pins démesurés dont les troncs montent tout nus avant d’arriver au faîte. Ils sont si hauts que notre forêt de l’Ospedale dans la Corse du Sud paraît petite. Aïtone est cependant moins immédiatement accueillante avec des pentes abruptes et des cochons voraces qui guettent les sandwichs des promeneurs. Bientôt, la route traverse les terribles gorges de la Spelunca dans un massif desséché, privé de toute présence humaine. Tout en bas d’une descente vertigineuse, il y a peut-être une rivière inaccessible mais le long de la route il n’y a que la sécheresse et la boule de feu d’un soleil fou. Est-ce que ce sera ainsi en Corse dans le monde d’après où les hommes auront disparu chassés par le réchauffement climatique ? Même quand on quitte l’à-pic de la corniche, et qu’on retrouve des pentes, la montagne reste austère et déserte. Seul pousse ici un maquis épineux et le parfum des plantes est plus piquant qu’ailleurs.

Ota et le village de Porto

L’arrivée à Ota nous arrache un cri : le village accroché à mi-pente vit sous la menace de sommets monstrueusement hostiles et un gros bloc rocheux prêt à dégringoler sur les maisons.

Ota (golfe de Porto Corse)
Ota. Le rocher menançant

Quelques kilomètres plus bas, commence Porto, la marine d’Ota. Porto, qui était réduit à quelques maisons de pêcheurs, a pris son essor avec le tourisme. Avant, toute la région semblait invivable. D’ailleurs au 16e siècle, elle était entièrement vide. L’hostilité de la nature y était pour beaucoup, mais aussi les incessantes razzias des pirates « Turcs », venus le plus souvent de la régence d’Alger : Berbères, Maures, aidés de renégats, saccageaient les villages de la côte et emmenaient les habitants en esclavage, ou plus souvent les échangeaient contre des rançons. Ces incursions se sont prolongées jusqu’au 19e siècle. La menace était telle que les villages se sont établis sur les hauteurs et que les Génois ont construit des tours tout autour de l’île. Des guetteurs avertissaient les habitants à l’aide de feux pour qu’ils aient le temps de fuir dans les montagnes. Et puis les côtes étaient infestées de moustiques avant les épandages massifs d’insecticides qui ont accompagné le débarquement américain. Ces maux concernaient toute la Corse. A Ota, il faut ajouter les guerres sans merci du 15e siècle entre le seigneur de Leca et Gènes qui fera massacrer toute la famille. Les villageois avaient fini par quitter la région et Ota ne figurait même plus sur les cartes du 18e siècle.

Aujourd’hui, Ota revit, mais le manque d’espace limite heureusement les possibilités d’expansion. Nous voici à Porto c’est-à-dire devant une succession d’hôtels, de restaurants, avec quelques maisons et un embarcadère pour les navettes qui permettent de visiter la côte. Notre hôtel, le Corsica, à 100 mètres du port, est entouré d’un petit bois d’eucalyptus qui offre ombre et fraîcheur, bienvenues après la traversée des gorges. Chaque chambre jouit d’un grand balcon et d’une belle vue sur la tour génoise, et sur la montagneuse chaîne en forme de crète de dragon qui domine le Sud de Porto. Nous reviendrons aussi au Corsica pour la piscine de bonne dimension et pour l’accueil charmant. Voici le numéro de téléphone qui permet de court-circuiter les sites de réservation dont on connaît l’avidité : 04 95 26 10 89.

Le petit bois d’eucalyptus près de l’hôtel Corsica
Vue sur la tour de Porto depuis le balcon de l’hôtel Corsica

Sur la route de Piana une petite promenade dite du « Château fort » a été aménagée. Elle permet d’aller jusqu’à un rocher en forme de château d’où on domine le golfe. Pendant 45 minutes on marche entre des roches spectaculaires, tantôt, érigées comme des murailles,

Route de Piana. Promenade du Château Fort

… tantôt, plissées commes draperies,

Route de Piana. Promenade du Château-Fort

… tantôt lancées à travers à l’espace

Je n’essaierai pas de décrire ces roches. Maupassant l’a fait très bien dans Une Vie et on n’échappe pas à ses images. Sur la route du retour, tout se calme, le jour meurt doucement, éteignant une à une les couleurs et ne laissant que la douceur du crépuscule.

Le golfe de Porto vu depuis la route des calanques de Piana

Bizarrement, l’impression d’immensité vient davantage des montagnes que de la mer, lac tranquille à qui elles servent d’écrin.

Fin du jour sur le golfe de Porto
Route de Piana. Coucher de soleil

La Mer est un restaurant admirablement bien placé en face de la tour génoise illuminée dès qu’il fait nuit. Les gens d’ici semblent estimer qu’il faut que la tour passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel pour que le spectacle vaille le coup. Soit ! Sans être exceptionnelle, la cuisine de La Mer est agréable et personne ne vient vous demander de libérer la place pour les suivants. La terrasse est face à la tour génoise et permet de voir les montagnes qui dominent Porto. Quand la lune se lève, l’effet Murnau est garanti !

Ces immenses pentes qui dévalent jusqu’à la mer sont admirablement belles.  Elles font peser sur la petite ville leur énorme poids de pierre. Il n’y a pas besoin d’être mystique pour se sentir écrasés par les forces gigantesques qui bouchent tout le ciel et ne laissent d’horizon que vers la mer. On ressent jusqu’au malaise physique la petitesse humaine.

Tour des Calanques de Piana et réserve de Scandola

Différentes compagnies proposent des balades en bateau. Nous avons prudemment opté pour un bateau qui permettait de s’abriter du soleil pendant un tour qui dure à peu près quatre heures trente. Seuls les petits bateaux de 12 places supposés plus aventureux entrent dans les grottes, mais est-ce si nécessaire ?

Le tour des Calanques de Piana permet de voir d’en bas le paysage aperçu la veille depuis la route. Les hôtels de Porto s’effacent ; ne reste que la tour génoise sur son rocher de granite rose,

Tour génoise de Porto sur son rocher rose

Puis c’est le grand opéra des couleurs : toutes les nuances d’ocres, de roses, de rouges contre le bleu dur de la mer.

Le guide se sent obligé de parler pour ne pas nous laisser seuls. Il prévient. « Sortez vos appareils photos. Vous arrivez à « La Fenêtre ». 

Calanches de Piana. La Fenêtre

Et là, vous pouvez regarder l’eau, c’est « La piscine ». Ainsi en nommant les lieux, espère-t-il nous rappeler au premier devoir du touriste qui est de regarder et nous empêcher de succomber au vertige lent de ces grands murs de pierre avec leurs centaines de mètres d’à pic qui tombent dans l’eau.

La promenade se poursuit vers La Réserve de Scandola où il est interdit de marcher, de plonger et de pêcher et que l’on n’atteint qu’en bateau. Les prospectus mentent un petit peu quand ils vantent la richesse exceptionnelle de la faune vous poussant à imaginer un éden d’animaux marins et aériens, des aigles pêcheurs en train de pêcher sous les applaudissements, des oiseaux de mer dans tous les sens, (pas de phoques moines, puisque les derniers ont été éliminés avec la bénédiction des autorités pour cause de concurrence avec les pêcheurs), mais des dauphins, émergeant du ventre de la mer pour faire des pirouettes… En fait les aigles-balbuzards sont des migrateurs qui reviendront à l’automne. Les autres animaux sont sans doute en train de dormir. Tout au plus, devine-t-on quelques oblades quand l’eau est transparente. Avant d’atteindre la réserve, les compagnies maritimes proposent presque toutes un arrêt à l’anse de Girolata, difficilement accessible depuis la terre. Hélas ! les cargaisons de touristes ont une demi-heure pour prendre d’assaut les buvettes installées sur la plage. De pauvres ruminants mal nourris sont là pour qu’on les prenne en photo. La minuscule communauté qui vit à l’année est submergée et le charme tant vanté de l’endroit évaporé !

Girolata. Vaches à touristes

Pourtant, c’est la visite la plus belle qu’il m’ait été donnée de faire en mer : les 1600 hectares de Scandola sont un grand cratère volcanique effondré et les roches, selon qu’on les regarde à contre-jour ou dans le sens de la lumière passent par toutes les nuances du noir au rose selon qu’on longe des falaises de basalte ou des dômes de rhyolite. Pour être comblé, il suffit de regarder le change des couleurs, les jeux de la roche avec le ciel et le soleil.

Scandola. Orgues basaltiques rouges

Parfois un aquarelliste fou a ajouté un peu de vert gris sur la paroi :

Scandola. Genévriers accrochés à la paroi

Mais cela ne fait pas de mal d’entendre le guide signaler qu’on voit des roches datant de l’ère primaire, que les orgues basaltiques rouges sont une rareté, et que les arches sont dues à l’explosion d’énormes bulles de gaz

Scandola. Une arche volcanique

… ou faire remarquer les délicates concrétions calcaires qui se forment de temps à autres à fleur d’eau. Grâce à lui, on mesure mieux l’épaisseur de temps enfouie dans la pierre.

Scandola.Trottoir à lithopphylum (sorte d’algues calcaires qui ourlent le bas des roches)

Formes imposantes et sculptures délicates et fantastiques alternent comme si un Gustave Doré avait été chargé de dessiner dômes, arches et palais ornés de gargouilles, lutins et éléphant rose pour illustrer un conte fantastique :

Scandola. L’Eléphant rose
Scandola. Basalte gris. Le cortège des trois soeurs

Impossible de rendre la magie de ce monde minéral rose et noir entre le bleu du ciel et le bleu de la mer.

6 réflexions sur “Splendeur du golfe de Porto

  1. Nous avons navigué en voilier bien des fois en corse, vivent sur le bateau au fil des jours et des nuits. La Scandola vue de la mer fut sans doute le plus beau paysage à mes yeux !

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  2. Merveilleuse balade dans les calanques de Piana et la réserve de Scandola.
    Ce qui est tout à fait fascinant ce sont toutes les variétés de formes et tous les effets colorés des roches sur la mer.
    Le surgissement des roches venues du fond des âges géologiques suscite toujours un puissant imaginaire .
    Comme les étoiles, elles donnent le sentiment de l’infini.
    Tout cela donne très envie d’aller voir….

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