Marchés de Noël
Quand Noël arrive, les adultes soupirent. Les femmes surtout, parce que ce sont surtout elles qui se livrent à la recherche frénétique des cadeaux, qui cherchent comment renouveler les menus trop riches à l’ère des régimes. Ce sont elles qui arpentent les marchés de Noël, rangées de maisonnettes recouvertes de fausse neige, avant de réaliser qu’il vaut mieux aller à la FNAC ou pianoter sur leur ordinateur.
A Paris, les Champs Elysées sont faits pour la perspective ; les illuminations un peu chiches ne parviennent pas à métamorphoser l’avenue en chemin de lumière.
Comme je reviens d’Allemagne, je ne peux que comparer. A Heidelberg, malgré leur dimension touristique évidente, les marchés de Noël paraissent moins tristes.
Peut-être parce que les places de la ville étant petites, l’effet d’accumulation finit par paraître fantastique. On aperçoit toujours au fond du décor une église baroque ou un pan du château, dont les ruines rougeâtres sont savamment entretenues, ce qui donne à l’ensemble une autre allure. Peut-être, la différence vient-elle aussi des Allemands qui se pressent sur les stands pour déguster le vin chaud, la tarte flambée, les saucisses grillées, alors que, ce vendredi, les marchands de Paris attendaient encore leurs touristes !
Ou bien parce que de nombreux appartements d’Heidelberg sont eux aussi illuminés, que toute la ville est transfigurée, comme si les ancêtres de tous ces Allemands les accompagnent pour célébrer la communauté, alors qu’à Paris, Noël s’adresse à des consommateurs au mieux regroupés autour de leurs enfants.
Pour nous consoler, remontons au numéro 103, jusqu’à l’Elysée Palace Hôtel. Longtemps l’hôtel, conçu en 1899 par Georges Chedanne, prix de Rome d’architecture, a été la propriété de la banque HSBC. Aujourd’hui, c’est le Qatar qui l’a racheté. Ainsi va le monde. Ce n’est pas pour regarder la façade, élégante malgré la taille du bâtiment, que nous nous arrêtons, mais parce que chaque façade est ornée d’une merveille de décor Art nouveau. Les plus jolies parties sont les oculi, décorés de figures d’enfants nus et de petits faunes qui jouent, s’effrayent, dansent, escaladent des chênes, se goinfrent de raisin. Leur énergie est éclatante, irrésistible.
Avec Hippolyte Lefebvre, ils nourrissent des cygnes ou partent chasser.
avec Louis Baralis, ils vendangent, se chamaillent, fuient un serpent dangereux. Ceux de Paul Gasq cueillent des fleurs … (aujourd’hui, ces sculpteurs seraient accusés de pédophilie, tant les corps sont sensuels).
Sous les balcons, une végétation et des animaux totalement inattendus qui vont du homard aux sangliers et aux boucs des côtés latéraux.
Mon beau sapin !
Ce qui m’a mis de mauvaise humeur avec ce Noël, c’est aussi la vertueuse, écologique et économique disparition des sapins dans mon quartier (la place de la Nation). J’aurais préféré ne rien voir du tout plutôt que l’épouvantail de béton et de paille que l’on a dressé au croisement du boulevard de Picpus et de la rue du Rendez-Vous. Oui, je sais, c’est un gaspillage idiot de couper des arbres ! Mais enfin, les producteurs qui font commerce de sapins de Noël, coupent et replantent, apparemment sans épuiser leurs sols. Et puis, on peut acheter un arbre avec des racines, et le recycler après la fête !
L’arbre vert à Heidelberg, son parfum quand on passait tout près des branches, du fond de l’hiver brouillardeux, c’était la promesse du printemps qui allait revenir.
Pour achever, la dame qui affiche régulièrement des petits mots souvent plaisants sur la façade de sa maison n’a pu s’empêcher de faire la morale au quartier. Comme d’habitude, elle a raison ! Comme souvent, elle est mesquine.
« Je veux bien vous souhaiter un joyeux Noël et une Bonne Année», a-t-on vu vœux moins généreux ?
Pour les esseulés, les fêtes sont un avant-goût de l’enfer. Comment survivre à une période où le bonheur est une obligation ? Pendant l’année, ils font comme tout le monde : ils savourent les petits plaisirs du quotidien (la liste est ouverte et chacun peut ajouter qui le plaisir de maîtriser l’alphabet russe, d’avoir enfin réussi un moëlleux au chocolat moëlleux, ou de lire une carte IGN à l’ancienne en se baladant d’un nom à l’autre, d’une couleur pastel à l’autre en rêvant à des forêts et à des fleuves, ce qui n’a rien à voir avec le guidage de Google map).
« Je ne fais rien cette année ! Je pars à New-York » dit Martine. Mais peut-on laisser derrière soi l’ami éclopé qui se plaint doucement : « Pas beaucoup d’appels, ces temps-ci ! » et le frère vieillissant, si inquiet à l’idée qu’on pourrait se défiler : « Alors ! Qu’est-ce qu’on fait à Noël ? ». Quelle joie de n’être pas seuls ! Pour moi, la vie partagée avec J.M., les amis qui nous accompagnent.
Bon ! bientôt les fêtes, les débats animés qui rappellent la fameuse fugue que Glenn Gould a composée à partir de discussions de café, polyphonie de phrases toutes faites et de stéréotypes formant une basse continue sur fond de quoi se détache la voix forte de quelqu’un qui s’excite à propos de la primaire de gauche, ou d’un amateur de spectacles. Pour que tout continue joyeusement encore un peu, Ivan sortira sa guitare et nous n’aurons pas honte de chanter nos vieilles chansons de Brassens et nos canons d’anciens boys scouts.
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merci pour ces bien jolies promenades de fin d’année. 2017 apportera d’autres lieux encore…
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