Tu m’as demandé le récit précis d’une de nos promenades d’après-midi dans la forêt et je m’aperçois que je n’y arriverai pas parce que d’habitude je me laisse guider par un ami qui s’y promène depuis toujours et qui n’a donc pas besoin de répéter les noms inscrits sur une carte. Tout, pourtant, a un nom à Fontainebleau, les chemins, les sentiers, les raccourcis, les carrefours, les vallées et les bois. Même les rochers ! On escalade la Justice de Chambergeot, le rocher de Jean des Vignes, le Rocher du Guetteur, le rocher du Pôtala. Les arbres les plus anciens ont des noms. Ces appellations remontent souvent à l’inventeur de Fontainebleau, Denecourt qui a ouvert les principaux sentiers à partir de 1842. D’autres ont dû être données par les grimpeurs… Certaines célèbrent la famille des Orléans (route Louis Phillippe, carrefour d’Amélie. http://www.fontainebleau-photo.com/2015/02/les-noms-des-routes-de-la-foret.html) ; d’autres sonnent vieillottes, ou humoristiques (route des Pieds pourris, route Mazette, roche Eponge).
Trop paresseuse pour suivre les parcours sur une carte, je me contente habituellement de me promener dans une forêt un peu abstraite. Je dis « les bois », « les rochers », « la route ». Dimanche dernier, j’ai posé des questions et j’ai noté quelques repères grâce aux plaques accrochées à tous les carrefours.
De la route de la Musardière au belvédère qui domine la Gorge aux Chats
Nous pensions que le temps instable empêcherait les gens de venir dans ce coin de la Musardière qui n’est guère fréquenté que par les varappeurs, mais au croisement du chemin de la gorge aux Chats et du raccourci des Châtaigniers, il y avait du monde. D’abord, les inévitables joggeurs bariolés avec leurs baladeurs sur les oreilles qui les isolent du monde et les concentrent sur des sons plus puissants que les bruits de la forêt. Un peu après, une femme aux yeux gonflés de larmes.
– Vous n’avez pas vu mon mari ? Il est parti et je ne sais pas de quel côté.
– D’où venez-vous, a dit Ivan ? Vous connaissez le nom du parking ?
– Je connais la forêt, a dit la femme. C’est mon mari que je cherche.
Nous sommes repartis. Quelqu’un a dit en riant, « On aurait dû lui proposer de continuer avec nous », mais le cœur n’y était pas. Les moins rêveurs imaginaient la dispute qui s’était envenimée, l’homme qui était parti de son côté. Qui sait comment ça s’arrête, une dispute dans un couple ? Pendant un moment, nous avons marché en pensant au masque angoissé qui servait de visage à la femme. Oui ! on aurait aimé intervenir, l’emmener avec nous pour qu’elle soit moins malheureuse.
Au lieu de quoi, nous avons suivi le chemin sablonneux, traversé une forêt de vieux châtaigniers avant de déboucher sur une lande à callune. Les chênes et les châtaigniers ont cédé la place aux bouleaux.

A présent, le chemin (je crois que c’est le chemin de la Justice de Chambergeot) s’élevait doucement vers une grande table de grès interrompue par une falaise qui dominait le fouillis d’arbres de la Gorge aux chats.
Les feuillus avaient encore leur couleur. A peine, si cet automne un peu fou avait arraché les premières feuilles.

Le chemin est reparti. Est-ce un chemin ? Dix pistes se croisaient. Peut-être le sentier du Pommier sauvage ? ou celui de la Justice de Chambergeot ? En tout cas, nous allions vers le carrefour de la Maison Poteau et il menait à un châtaignier imposant, le roi de sa colline.

Vers la Canche aux merciers

Le chemin s’appelait à présent chemin de la vallée d’Arbonne et il filait vers l’autoroute de plus en plus bruyante. On pouvait passer dessous et revenir par une boucle vers la Canche aux merciers. Des Français, à l’âme protestataire, avaient profité du tunnel pour dénoncer le reboisement trop souvent effectué au profit des pins, qui poussent vite, mais qui acidifient les sols. Le commerce des bois modifie bien plus vite la forêt que le réchauffement climatique.
Voici la Canche des Merciers (Fékix Herbet, dans son Dictionnaire Historique et Artistique de la Forêt de Fontainebleau (1903) explique que « canche » signifie la sorte de jonc avec laquelle on tresse des « petits paillassons »pour faire sécher les fromages de Brie), tout près d’une délicieuse petite plaine de sable:

Le chemin remonte doucement vers un chaos de roches et d’arbres. Nous sommes à nouveau en terre de varappe. Les sites virtuels consacrés à chaque bloc rocheux sont pleins d’explications techniques sur le degré de difficulté, la façon de les contourner, l’intérêt de l’escalade, assez incompréhensibles pour les profanes. Voici celui qui porte sur le rocher dénommé les Bons Plats (https://bleau.info/canche/2155.html), illustré de photos.
Les Bons Plats 6b+ Canche aux Merciers
traversée d-g, aplats
Voir aussi
Les Bons Plats (en aller-retour) 6c
Topo
Canche aux Merciers (Bernard Théret) : 100
Sur le bloc du n°39 bleu. Partir à droite dans la petite face située avant l’angle, passer celui-ci, traverser à gauche sur des plats et sortir tout au bout à gauche par le petit bombé entre les deux blocs.
Appréciation
3,1 Étoiles
(11 au total)
Évaluation
6b: 40,0%
(10 au total)
Répétitions publiques
20-07-2017: renoncé vincent
(10 au total)
Roches et carrière
Il y a toujours des roches sculptées par la pluie, certaines creusées de part en part, sans qu’on comprenne quels tourbillons de vent ou d’eau ont été assez puissants pour produire de telles sculptures.

Et puis des traces d’une carrière : là, les carriers ont fendu un bloc de grès et laissé la trace des coins dans la pierre sans achever leur travail.

Ils sont partis du jour au lendemain en laissant des piles de pavés déjà taillés. Les entreprises savaient qu’elles étaient condamnées, que l’arrêt des sites de production était programmé, alors pourquoi ont-elles fait travailler des carriers comme si de rien n’était ?Bien que ce soit peu probable, j’ose imaginer que, devançant la fermeture, les ouvriers ont quitté le chantier les premiers et ont disparu un matin dans la forêt laissant les contremaîtres s’époumoner en vain devant des monceaux de pavés à l’abandon.

Averse et éclaircie
Le temps s’est couvert. Une ondée est passée. Elle s’attarde au loin, laissant un voile de brume à l’horizon. Tout à coup, les roches luisantes glissent sous les pas.


Puis la pluie s’est arrêtée, le soleil est revenu et les nuages sont partis vers le nord. Le vaste paysage scintille. La pluie encore chaude n’a fait que raviver ses couleurs. Elle fait flamboyer les premières feuilles rousses du Bois de la Charme.
Juste avant de descendre la vallée, nous nous attardons. Ce sont sans doute les maisons éparses des bords de Milly que nous voyons dans la plaine.

Dernière pente raide avant l’arrivée. Nous arrivons.
La forêt peintre de haïku
Si l’on baisse les yeux dans la forêt, il y a toujours un dernier trésor à admirer. L’automne trop doux a trompé les genêts et certains fleurissent encore. Des champignons gorgés de pluie sortent encore de la mousse.

et des lichens ont colonisé la roche tout près du parking. Plus on s’approche, plus le dessin se fait abstrait, aussi énigmatique que des constellations d’étoiles dans le ciel, ou des gouttes et des éclaboussures de peinture dans un tableau expressionniste abstrait.

Les mêmes rythmes parcourent la pierre, le ciel et les organismes vivants.
Bonjour
Et merci de cette belle et longue randonnée à travers bois et sentiers feuillus
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Bonjour, bel article
Inépuisables les richesses de la Forêt de Fontaibleau, nous nous y promenons très souvent
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Ah ! Nous nous rencontrerons peut-être un jour… Si je rencontre quelqu’un qui photographie des champignons, je demanderai « Ne seriez-vous pas Yoshimiparis ? »… ou bien « N’êtes-vous pas Jane Jouvet ? »
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Merci de cette promenade et des belles photos. Les noms sont extraordinaires, et mystérieux, un étranger aurait du mal à les apprendre (voire à les prononcer), mais leur « exotisme » intrigue. Combien de kilomètres la promenade décrite? mariagrazia
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Chère Mariagrazia,
Oui, les noms de Fontainebleau sont assez fascinants (je ne fais qu’indiquer le thème). ce sont des points de fixation qui renvoient à des récits qui nous restent impénétrables (comme tous les noms propres sans doute).
Combien de kilomètres ? Sans doute une dizaine, pour des marcheurs nonchalants qui démarrent tard et s’arrêtent souvent, mais de toute façon, on ne compte pas par kilomètres à Fontainebleau, parce qu’il y a des dénivelés, souvent assez pentus, ce qui ralentit beaucoup le temps de marche.
Sonia
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Merci pour ce très joli texte qui donne envie de découvrir le monde.. je ne prends plus guère l’air et me sens très poussiéreuse..
A part ça, c’et la dernière semaine de novembre que je viendrai à Paris et je te propose qu’on trouve un moment pour se voir et faire une petite* promenade dans la ville le mercredi 29. Je réserve ce jour..
Biz. Yvonne
* ‘petite’ par nécessité hélas..
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29, donc. S’il fait beau , nous chercherons une forêt miniature. Jardins Albert Kahn ? Jardin d’Agronomie tropicale à l’autre bout de Paris pour voir où en est la rénovation ? s’il fait mauvais, nous pouvons nous réfugier dans un musée de ton choix, ou dans les passages.
Amitiés
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