Des tombes au Père-Lachaise

Sur la foi du nom du directeur de conscience de Louis 14, je croyais que le cimetière du Père-Lachaise datait du 17e siècle. J’ai appris qu’il avait ouvert seulement le 21 mai 1804. Comme il était « boudé » par les clients potentiels, les autorités ont fait transférer les restes de quelques célébrités du temps jadis, pour donner envie aux gens en vue de se faire enterrer près des tombes de Molière et de La Fontaine. Comme les quartiers d’habitation, les lieux d’inhumation sont soumis à la mode.

Je n’aime pas beaucoup la succession de petites maisons aux portes closes que l’on trouve dans beaucoup de cimetières français. Mais finalement, le Père Lachaise contient tant de souvenirs qu’il est fascinant. Il reste à trouver les histoires qui nous laissent stupéfaits ou qui nous touchent.

Elisabeth Stroganoff épouse Demidoff

Un des plus grands tombeaux du cimetière a été construit pour Elisabeth Stroganoff épouse Demidoff, une baronne russe décédée en 1818 dont j’ignorais tout. La baronne aimait Paris où elle avait choisi de vivre après s’être séparée d’un mari ennuyeux qu’on lui avait fait épouser à seize ans.

Le temple élevé sur une colline était en contrejour. Aussi, les visiteurs, s’ils levaient les yeux vers les colonnes depuis l’allée située en contrebas, étaient-ils persuadés qu’ils voyaient entre deux colonnes l’imposant fessier d’une jeune morte. Ils disaient rêveurs : « Quel drôle d’idée de sculpter un pareil derrière… et qui nous tourne le dos en plus ! ». En s’approchant, ils découvraient leur méprise en reconnaissant un double écusson couronné où figuraient les armes du comte Demidoff.  L’erreur pour grossière qu’elle soit va bien à ce qu’on imagine de la vie légère de d’Elisabeth Stroganoff mais les êtres peuvent faire ce qu’ils veulent de leur vie. La sépulture est là pour rappeler qu’après la mort d’une aristocrate, seuls importent les liens qui font d’elle pour l’éternité une épouse Demidoff.

l’histoire de la sépulture ne s’arrête pas là : à la fin du 19e siècle, un journaliste en mal de copie raconta que, dans son testament, la baronne avait promis sa fortune à celui qui passerait 365 jours de réclusion volontaire auprès de son corps. Il paraît qu’il y eut beaucoup de candidats. Les gens croient volontiers aux fantômes et ils étaient fascinés par l’idée d’une morte séjournant encore dans le cercueil où elle menait une vie crépusculaire en attendant d’assouvir son besoin de chair fraîche.

La 19e division, est assez près de la 55e où se trouve le tombeau de Thiers encore plus pompeux ! En vain ! Thiers restera l’homme qui est allé négocier avec l’ennemi la libération de 60 000 prisonniers de guerre afin d’écraser la Commune,  celui qui a fait fusiller les derniers insurgés réfugiés au père Lachaise, alors même que l’insurrection avait été écrasée. Victor Hugo qui n’avait pas approuvé le soulèvement a salué le courage des communards dans un poème :

Là des tas d’hommes sont mitraillés ; nul ne pleure ;
Il semble que leur mort à peine les effleure,
Qu’ils ont hâte de fuir un monde âpre, incomplet,
Triste, et que cette mise en liberté leur plaît.
Nul ne bronche. On adosse à la même muraille
Le petit-fils avec l’aïeul, et l’aïeul raille,
Et l’enfant blond et frais s’écrie en riant : Feu !

(…)

Que fûmes-nous pour eux avant cette heure sombre ?
Avons-nous protégé ces femmes ? Avons-nous
Pris ces enfants tremblants et nus sur nos genoux ?
L’un sait-il travailler et l’autre sait-il lire ?
L’ignorance finit par être le délire ;
Les avons-nous instruits, aimés, guidés enfin,
Et n’ont-ils pas eu froid ? et n’ont-ils pas eu faim ?
C’est pour cela qu’ils ont brûlé vos Tuileries.
Je le déclare au nom de ces âmes meurtries,
Moi, l’homme exempt des deuils de parade et d’emprunt,
Qu’un enfant mort émeut plus qu’un palais défunt
C’est pour cela qu’ils sont les mourants formidables,
Qu’ils ne se plaignent pas, qu’ils restent insondables,
Souriants, menaçants, indifférents, altiers,
Et qu’ils se laissent presque égorger volontiers.
Méditons. Ces damnés, qu’aujourd’hui l’on foudroie,
N’ont pas de désespoir n’ayant pas eu de joie.
Le sort de tous se lie à leur sort. Il le faut. (Les Fusillés)

Mémoire Nécropolitaine 

Près du rond-point Casimir Périer, se trouve une chapelle vide avec un appareil photo, installé au fond. Un QRcode affiché à l’entrée renvoie au site créé par André Chabot et Anne Fuart. Bien vivant, le couple a créé l’association La Mémoire Nécropolitaine qui comporte un fonds documentaire de plus de 200 000 clichés glanés de par le monde, véritables témoignages des richesses funéraires de l’humanité. (https://www.lassurance-obseques.fr/memoire-necropolitaine-futur-de-passe-sinvite-pere-lachaise/)

Boris Akounine, son pseudonyme, et Grigori Tchkhartichvili, le nom réel d’un écrivain géorgien auteur de romans policiers, est un autre de ces amateurs qui arpentent les cimetières. Dans son Histoires de cimetières signé de ses deux noms, Akounine/Tchkhartichvili fait confiance à la littérature pour attirer l’attention des visiteurs. C’est dans ce livre que j’ai appris qu’on avait transféré les os de stars de la littérature pour lancer le Père Lachaise comme on lance un parfum ou une série télévisée. Je m’avise qu’il a mis la photo du monument de la baronne Stroganoff pour illustrer son chapitre sur le Père-Lachaise.

Dans le soleil du père : Georges Hyppolite Géricault et le troisième tombeau de Théodore Géricault

Tout m’émeut dans l’étrange tombeau de Géricault situé dans la 12e division. La mort violente du peintre, l’intervention du sculpteur Etex qui ne supporte pas que le grand artiste repose sous une dalle quelconque et qui décide de lui élever un tombeau. La contribution financière de Georges Hippolyte, l’enfant illégitime qui n’a pas été reconnu par son père et qui financera la statue de bronze qui orne aujourd’hui la tombe.

Avant même de peindre le Radeau de la Méduse, Géricault vivait au-delà de la vie qui lui était destinée.

Il aimait les chevaux. J’ai reproduit dans un billet consacré à Rosa Bonheur, une tête de cheval blanc aux beaux yeux graves, qui est conservée au Louvre https://wordpress.com/view/passagedutemps.com). Il peignait l’écho des batailles perdues où la gloire apparaît comme une imposture. Il était fasciné par la mort et la folie.  Pour s’imprégner des couleurs des mourants, il ramenait des membres, coupés sur des cadavres de l’hôpital Beaujon, qui pourrissaient dans son atelier. Il peignait le regard oblique des fous. Il peignait son chat mort  et nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il s’agissait aussi de lui.

Il aimait les folles courses à cheval où il manquait de se rompre les os. Il finit par chuter à 33 ans. Il survécut quelques mois à l’accident, à demi paralysé, avant qu’une infection se déclare dont il est mort en 1824. Ses biographes évoquent aussi une tuberculose osseuse ou la syphilis comme causes du décès.

En 1837, Antoine Etex, sculpteur néoclassique reconnu, travaillait à un monument funéraire au Père-Lachaise lorsqu’il découvrit que le peintre n’avait aucun tombeau. Etex est resté à l’arrière-plan de l’aventure romantique, mais il avait ses lettres de noblesse. On peut voir sur l’Arc de Triomphe deux groupes sculptés par lui, La Résistance et La Paix. Ils ont hélas, trop de retenue pour émouvoir, mais Etex comprenait l’art de Géricault qui avait estomaqué les visiteurs du salon de 1819 avec Le Radeau de la Méduse. Il savait, lui, que Géricault qui avait embrassé si passionnément, si férocement, la peinture était un génie. Il lance une souscription, propose un modèle en plâtre qui sera retenu par un jury. Il a représenté Géricault « à la façon d’un gisant étrusque » étendu sur le couvercle d’un sarcophage, sa palette de peintre encore à la main. (Hachet).  Il doit emprunter de l’argent pour terminer l’œuvre présentée avec succès au salon de 1841.

Tombe de Géricault, avenue de La Chapelle

Malheureusement, la statue de marbre tendre s’abime et il faut la mettre à l’abri au musée de Rouen. Etex sculpte un nouveau monument. Finalement, un legs du fils naturel de Géricault, Georges Hippolyte, permet de faire couler en bronze, la statue ainsi que les bas-reliefs évoquant les tableaux les plus célèbres du peintre.

Géricault avait eu ce fils avec Alexandrine Caruel, de 28 ans plus jeune que son mari, l’oncle de Théodore à qui elle avait été mariée presque enfant. La suite est facile à imaginer : la demoiselle et le vieux mari ; Théodore, cavalier hors norme de belle allure, peintre virtuose célèbre à 21 ans, avec cette énergie tourmentée qu’on retrouvera dans la monstrueuse accumulation de mourants du Radeau de la Méduse.

Comment a été élevé leur enfant déclaré à sa naissance comme le fils de la bonne et d’un père inconnu ? Les familles de cette époque ne transigeaient pas avec l’adultère et plus d’un enfant bâtard se heurtait au secret de son origine qui se dérobait. Géricault a été envoyé à l’étranger en 1816, à la suite du scandale. De retour en France, il n’a semble-t-il jamais cherché à rencontrer Georges Hippolyte. Cependant, après le décès du peintre, le grand-père reconnut son petit-fils. On peut imaginer que le père devenu doublement un fantôme hanta ce fils toute sa vie. Il l’avait abandonné après lui avoir donné la vie, puis il l’avait abandonné en mourant trop tôt.

Quand Georges Hyppolite apprit qui il était, il se mit à chercher des ressemblances en contemplant les tableaux de son père. La romancière André Chedid imagine cette quête du père par le fils dans son roman Sous le soleil du père, rédigé à partir de notes retrouvées à la mort de Georges Hippolyte. En 1841, à 24 ans, autorisé à porter le nom du mort, il avait rédigé un testament jamais modifié par lequel il léguait la fortune familiale à l’Etat à condition qu’une part importante du don soit consacrée à la restauration du tombeau. Quand il meurt 40 ans plus tard, en 1882, dans une chambre d’un hôtel de Bayeux, on retrouve le testament sur lui. Les sculptures d’Etex sont alors fondues en bronze.

Il faut avoir été privé de sa filiation pour croire qu’il est important d’avoir son nom gravé sur une pierre. Georges Hippolyte n’obtiendra pas d’être enterré dans la tombe du peintre, mais pour quelques curieux, il est Géricault, le fils.

 La mémoire de la commune de 1871 : le mur des Fédérés

En 1871, la commune s’est achevée par la semaine sanglante du 21 au 28 mai quand les derniers résistants ont perdu devant l’armée versaillaise. Dans l’enceinte du cimetière, 147 communards ont été fusillés.

Le mur que l’on visite n’est pas celui du massacre, commémoré aujourd’hui par une statue dans le jardin Samuel de Champlain. Il est dans le petit cimetière de Charonne là où l’on a retrouvé les corps jetés dans une fosse commune. Chaque année une foule militante se rassemble devant une plaque commémorative. Ils étaient 1000 personnes en 1880, 5000 en 81, 20 000 en 82,.

1936 Manifestation commémorative devant le Mur des Fédérés, en présence de Maurice Thorez, Léon Blum, Maurice Paz, Marcel Cachin, Mme Blum, Marcel Gitton, Jacques Duclos, André Morizet, Jules Moch. Au premier rang : les vétérans de la Commune] :  [photographie de Marcel Cerf]

Malgré ce souvenir sanglant, le cimetière de Charonne est charmant, tout petit, serré contre l’église qui ressemble à une église de village, (ce qu’elle était d’ailleurs). On voit forcément une grande statue de fonte en habit du 18e siècle. C’est Bègle dit Magloire. Il est difficile de démêler la mythomanie, la facétie et l’histoire dans l’épitaphe de celui qui se disait le Secrétaire de Robespierre (lequel n’en a jamais eu d’après les historiens). L’autodérision l’emporte chez celui qui remplace son nom de Bègue par Magloire : “Bègue dit Magloire, peintre en bâtiments, patriote, poète, philosophe et secrétaire de Monsieur Robespierre 1793”.

 Il semblerait en fait qu’il ait été un peu rebouteux. Ayant fait fortune. Il acheta son emplacement en 1833 et fit édifier ce monument. Pour son inhumation, il avait prévu 5 francs par convive, chargé de chanter sa gloire et de boire à sa mémoire : « Il nous faut chanter à la gloire / De Bègue François-Eloy / Ami rare et sincère / Fit mention dans son testament / Qu’il fut enterré en chantant. / Pour le fêter en bon vivant / Il nous laissa chacun cinq francs / En vrais disciples de Grégoire / Versons du vin et puis trinquons / buvons ensemble à sa mémoire ; / C’est en l’honneur de son trépas / Qu’il a commandé ce repas ». (Marie-Christine Pénin, https://www.tombes-sepultures.com/crbst_1045.html

Et toi que ramèneras-tu dans les filets de la mémoire, la chronique, révolutionnaire (version grandiose ou version grotesque) ? Le souvenir du plus romantique des peintres ? Les rêves de grandeur d’une aristocrate dont le nom n’évoque qu’une recette de bœuf pour la quasi totalité des Français ?

AKOUNINE Boris TCHKHARTICHVILI Grigori, 2014, Histoires de cimetières, tr. Paul Lesquene, Lausanne, Les éditions Noir sur Blanc.

https://www.lassurance-obseques.fr/memoire-necropolitaine-futur-de-passe-sinvite-pere-lachaise/

https://fr.anecdotrip.com/l-etrange-testament-de-la-comtesse-demidoff–vinaigrette

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lisabeth_Alexandrovna_Stroganoff

https://www.jean-charles-hachet.com/Gericault-et-ses-trois-tombeaux.html

https://www.lejournaldesarts.fr/opinion/reflexions-sur-la-maladie-et-la-mort-de-theodore-gericault-1791-1824-113481)

https://www.tombes-sepultures.com/crbst_1045.html

Gallica, Cerf, Marcel (1911-2010) [Photographe] [1405]

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