Parfois, dans un musée, la petite quantité d’œuvres assemblées est préférable à la masse. Je sais bien qu’il s’agit d’un paradoxe et, si je passais deux jours à Paris, j’irais au Louvre et à Orsay. Mais pourquoi les milliers de Parisiens courent-ils aux mêmes lieux, délaissant les petits musées de la ville, alors que ceux-ci sont gratuits, tranquilles et permettent des rencontres passionnantes?
Le musée Cognacq-Jay
Le musée Cognacq Jay, situé rue Elzévir en plein cœur du Marais, est surtout consacré au XVIIIe siècle. On se met à regarder des œuvres qu’on négligerait ailleurs, comme ces porcelaines de couleur ivoire, rehaussées d’un peu de rose et d’or dont j’aurais méprisé les grâces.
Elles sont aussi des témoins de leur temps : la dame penchée sur son écritoire ne bovaryse pas, c’est une ménagère qui tient ses comptes (témoignant par là même de la petite avancée de l’alphabétisation féminine dans les classes intermédiaires urbaines).
Le couple Cognacq-Jay a aussi collectionné des tableaux de genre : voici le portrait d’un charlatan venu d’Orient (il porte un turban) qui conseille une épouse bien saine sur la santé d’un mari bien jaune.
Un peu plus loin, Boucher, qui me déplaisait tant à l’adolescence, célèbre la beauté des femmes : rien de grand, rien de majestueux dans son portrait de Diane, mais le spectacle de la chair fraîche, l’explosion des corps offerts à la chaleur du printemps.

Boucher, Le Retour de la chasse de Diane
Et Fragonard dans « Perrette et le pot au lait » : flot jaillissant du lait, grand mouvement tourbillonnant de jupes, éclat des jambes, la volupté de peindre qui ressemble à la volupté tout court malgré (ou à cause) des larmes de la laitière :

Fragonard: Perrette et le pot-au-lait
ou encore « Le Petit Garçon au gilet rouge » de Greuze. « Greuze ? Bof ! Trop moralisateur ! » Mais là, Greuze ne veut rien. Il peint seulement un portrait charmant …
Tous les portraits d’enfants rassemblés ici sont d’ailleurs passionnants. Est-ce parce que le couple n’a pu avoir d’enfants qu’il a été si attentif à des détails qui montrent l’évolution de la place qu’on faisait à la vie puérile ? La collection juxtapose l’ancien (un nourrisson, Louis Antoine de Bourbon, peint avec les armes et les décorations de la famille posées sur ses langes) et le moderne (la fillette, admirée par son cadet, qui se déguise en dame au grand chapeau ; le garçonnet qui pose avec un polichinelle) .

Greuze. Le Garçon au gilet rouge
Et puis voici Hubert Robert dans une petite toile intitulée « L’Accident ».
Comment parler de la mort en peinture ? A première vue, Hubert Robert a peint un homme en train de tomber du monument qu’il avait voulu escalader pour cueillir quelques fleurs. Sur la toile, il est encore suspendu entre le milieu du tableau et le sol, bien que sa position – la tête entraînant le corps – montre qu’il est condamné ; d’ailleurs, la femme la plus proche fuit la chute pour sauver sa propre vie, tandis que les spectateurs un peu plus éloignés accourent, pour lui porter secours, même si c’est en vain.
Ces silhouettes sont minuscules par rapport à la masse immobile des ruines antiques (sol jonché de décombres au premier plan, pyramide effritée vers la droite, colonne ruinée du monument de gauche, dont l’effondrement a entraîné la dégringolade du grimpeur). L’homme qui va mourir est presque un intrus, un détail.
Mais le tableau loin d’opposer la vie brève des hommes à l’éternelle beauté des pierres, montre la fragilité des monuments les plus orgueilleux. Je pense, malgré l’anachronisme, au jeune du Bellay découvrant Rome au 16ème siècle :
Arcs triomphaux, pointes du ciel voisines,
Qui de vous voir le ciel mesme estonnez,
Las, peu à peu cendre vous devenez,
Fable du peuple, et publiques rapines !
Et bien qu’au temps pour un temps fassent guerre
Les bastimens, si est-ce que le temps
Œuvres et noms finablement atterre.
L’atelier-musée de Zadkine
Je dirai encore quelques mots de l’atelier-musée de Zadkine situé au 100 rue d’Assas. C’est un lieu sauvegardé à deux pas du Luxembourg. Un jardin, une verrière : rien n’a changé depuis le temps où le sculpteur russe travaillait. Entre les murs, la ville se montre, mais le jardin est calme comme un jardin de couvent.

Atelier-Zadkine-la-cour
Les sculpures émergent des buissons. Les plus belles à mon avis sont celles qui n’essaient pas de rendre le détail des traits, mais l’entente des corps, ou leur jaillissement (leur façon d’émerger de la matière brute, bois ou métal). Une de mes préférées : Théo et son frère Van Gogh.

Théo et Vincent Van Gogh