Saint-Germain-en-Laye, domaine royal

J’ai beau m’inquiéter du réchauffement climatique, j’apprécie très égoïstement le prolongement de l’été. C’est le 18 septembre et il fait beau et même lourd sur l’Ile de France.

La Grande terrasse de Le Nôtre

Le château de Saint-Germain est en face de la sortie du RER. Le trait de génie du lieu, c’est la grande terrasse voulue par Le Nôtre, un balcon en lisière de forêt, qui domine à 60 mètres la vallée de la  Seine et c’est là que nous nous précipitons avant que la chaleur ne soit trop forte.

La promenade rectiligne a l’air toute simple, mais une petite recherche sur internet suffit pour apprendre qu’elle a nécessité des travaux de soutènement gigantesques. Le Nôtre pratique un art de l’illusion et sa magnifique perspective résulte de savantes tricheries :

« Ainsi, pour diminuer visuellement la longueur réelle de la terrasse, le premier tiers du parcours est légèrement en pente jusqu’à la demi-lune, le reste est plat. Lorsque le promeneur arrive sur le plat, il a l’impression d’avoir parcouru la moitié de la distance, alors qu’en réalité il n’en a franchi qu’un tiers. Au XVIIe siècle, les effets visuels étaient accrus car la terrasse était simplement sablée, sans le gazon, l’allée et le garde-corps qui constituent des ajouts ultérieurs. »

saint-Germain-en-Laye. La terrasse de Le Nôtre

Elle s’achève  par un cercle (dit l’octogone) qui ferme le point de fuite.

La tour Eiffel est à gauche du tilleul de gauche

La vue porte jusqu’aux territoires urbains de La Défense et de la Tour Eiffel qu’on devine à peine (un fin trait bleuté sur le ciel blanc de chaleur). Et pourtant en contrebas, sur des kilomètres il y a seulement des arbres, des prés, des enclos tranquilles où des chevaux font la sieste. Ceux-là étaient séparés par un chemin. Trois, le cou tendu vers l’enclos où une jument parfaitement immobile leur tournait le dos. Tout de suite, la machine à histoire s’est mise en route. Trois mâles et une femelle indifférente, attendant semblait-il qu’un poulain ait fini de téter jusqu’à ce que l’amorce de sa silhouette cachée par l’ombre se soit révélée être un poney adulte et la suite de la narration s’est évaporée.

Quelquefois la beauté d’un lieu rayonne et comble celui qui est passé par là au bon moment, en harmonie avec les autres.

Du Château du Val à l’oratoire du Chêne

Au bout de l’allée, un chemin permet de rejoindre la forêt. On descend, on traverse une route, on remonte jusqu’au château du Val, pavillon de chasse bâti au 16e siècle et remanié au 17e. Aujourd’hui, il appartient à un particulier qui l’a transformé en hôtel (fermé pour travaux).  De là, part un sentier balisé par l’emblème de la salamandre qui rappelle aux ignorants (dont je fais partie) que François Ier aimait ce lieu.

Saint-Germain-en-Laye. Château-hôtel du Val

La forêt a été abimée par les tempêtes récentes. Les nouvelles plantations grandissent à la moderne : L’Office national des forêts laisse pousser des taillis avec leurs ronces, leurs fourrés denses et leurs arbres fluets. Ces arbres ont le temps de s’épaissir, pensent les forestiers. Pour l’instant, ils se débrouillent comme ils peuvent et semblent un peu fluets.

Mais il y a aussi beaucoup de haute futaie, des châtaigniers et des chênes dont les frondaisons épaisses donnent une ombre délicieuse.

Quelques géants plusieurs fois centenaires sont morts. Des êtres bizarres essaient de prendre forme dans leurs troncs pourrissants. Il suffit de regarder attentivement ces souches creuses à la Piranèse et on voit distinctement se détacher des personnages encapuchonnés d’entre les toiles d’araignées et les niches poussiéreuses où pourrissent les feuilles de cet été trop chaud.

Les lignes rayonnantes des gros troncs suggèrent plutôt un art délicat de la calligraphie.

On croise d’inévitables cyclistes, des joggeurs haletants, le torse mouillé et des promeneurs de chiens

Une meute a colonisé la mare aux Canes ;t il est prudent de partir rapidement, soit que les chiens viennent se secouer contre le promeneur après avoir brusquement sauté dans l’eau, soit qu’ils  montrent les dents devant les étrangers. Le chemin de retour croise des arbres où l’on a cloué de petits oratoires.

Des vierges de trente centimètres accompagnées de pancartes explicatives qui n’expliquent pas grand-chose pour des touristes privés des références de ce monde. Qui sont les hirondelles ? Et cette colonie de 1910 ?

Le musée de la Préhistoire

A la sortie de la forêt, passés les arbres du jardin anglais se dresse le château bâti par François 1er où vécurent les rois avant Versailles. On ne le visitera pas faute de réservation. En revanche, le musée de la préhistoire, de la Gaule Romaine et des Mérovingiens, voulu par Napoléon III, est accessible. Le second étage est fermé, mais on peut voir les salles de la préhistoire. Et c’est bien suffisant.

Le parcours du premier étage permet de s’émouvoir devant l’aventure humaine, depuis les premiers galets du paléolithique, jusqu’à l’âge de fer et pourtant, habituée à me repérer par les noms des rois de France (Louis 13, Louis 14, Louis 15…, je me perds toujours dans l’épaisseur des temps préhistoriques qui m’est inimaginable.

Reste l’impression étrange devant les objets enfouis, perdus pendant des siècles, engloutis dans l’épaisseur de la nuit avant d’être retrouvés. Un enfant néanderthalien d’une dizaine d’années arraché à la terre est recroquevillé en chien de fusil. La terre gardait son squelette et voici un moulage exposé aux regards.

Mon léger malaise est ridicule, car on pourrait dire de nombre d’objets du musée qu’ils étaient des médiums permettant aux morts de voyager dans le monde d’après la mort et qu’en les disposant dans des vitrines on les désacralise et on en perd la fonction.

Ce sont pourtant les rites funéraires qui ont permis de recueillir des objets dans des tombes. Dans un temps où les biens de consommation étaient exceptionnels, on est saisis par l’accumulation de tout ce qui accompagne certains morts : haches de prestige taillées dans de la roche verte, incroyables sépultures de grands personnages ensevelis avec leur char, leurs épées, leurs cuirasses et leur vaisselle…

La présentation n’épargne aucun silex au visiteur. Peut-être aurait-il fallu distinguer la mise en scène « grand public » et les collections complètes pour les chercheurs, car l’œil (en tout cas le mien) se fatigue devant les séries et finit par s’arrêter à quelques détails plus cocasses que pertinents : je ne savais pas que les premiers rasoirs, les pinces à épiler avaient plus de 6000 ans… 

Même si j’aurais préféré moins d’exemplaires d’un outil et plus de mise en contexte, j’ai tort de chipoter. Les objets fascinants et les œuvres spectaculaires ne manquent pas : mégacéros à  ramure immense, incapable de se dissimuler dans les forêts revenues après la glaciation, où ses bois ne lui permettaient pas d’entrer ! Polissoir usé par le frottement de la pierre qui rappelle une époque où l’on pouvait passer des semaines à frotter une pierre contre une pierre…

Polissoir néolithique

Magnifiques bas-reliefs d’animaux datant du magdalénien si réalistes alors que les représentations humaines paraissent simplifiées…

Bison datant du magdalénien

Le propulseur en bois de renne supposé représenter une tête humaine a plutôt une allure d’E.T. et les minuscules statuettes féminines une forme sexuelle à peine différenciée.

Propulseur à tête humaine (?) magadalénien. Trouvé en Haute-Garonne
Hanches et poitrines. Les statuettes féminines

Du moins ces deux styles invitent à voir dans ces figures un langage et non de la maladresse.

Dernière halte devant les vitrines où sont rassemblées les déesses-mères assises sur de hauts sièges et tenant un enfant dans leur giron qu’on confondrait facilement avec des vierges à l’enfant de l’âge roman.

Nous prenons un pot devant le château avant de repartir. Le garçon de café n’exprime aucun empressement à nous servir, mais finalement il prend des commandes de thé glacé. L’un de nous hésite encore entre le Perrier-citron et le thé, mais le garçon lui arrache le menu en le rabrouant : « Vous avez besoin d’un coursier spécial, vous ? »

Quand il me rendra la monnaie plus tard ses lèvres se feront lippe dédaigneuse, tellement je lui semble mesquine à ramasser mes cinq euros… Oui, c’est une tentation d’imaginer la vie de ce garçon de café, mais il ne faut pas finir sur l’histoire minuscule de celui que son rôle sartrien exaspérait.

https://musee-archeologienationale.fr/chateau-et-jardins/les-espaces-remarquables/la-grande-terrasse

2 réflexions sur “Saint-Germain-en-Laye, domaine royal

  1. La visite d’un musée de la Préhistoire a toujours quelque chose d’un peu déroutant pour un non spécialiste. Pas d’écriture, une représentation du temps qui se perd dans la nuit des millenaires. ..
    Les objets s’offrent au regard pour eux mêmes, pour ainsi dire à l’état brut dans la déclinaison des âges préhistoriques, Aurignacien, Gravetien, Solutréen, Magdalenien, Azilien….
    Libre à chacun d’imaginer plusieurs mondes.
    Coïncidence, nous venons de visiter le musée de la Préhistoire du Mas d’Azil en compagnie de la prehistorienne Carole Fritz qui a pu éclairer notre regard sur quelques œuvres particulièrement remarquables come le propulseur dit du « Faon aux oiseaux  »
    La salle Édouard Piette ( visible seulement sur RDV) au musée de St Germain en Laye expose , en particulier, ses découvertes lors des fouilles réalisées dans la grotte du Mas d’Azil à la fin du 19ème sièce.

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  2. Oui, j’ai lu qu’on pouvait aller sur rendez-vous dans la salle E. Piette. Mais tout était désorganisé par les protocoles sanitaires. Cependant, le propulseur à tête humaine et les statuettes de femme en losange venaient de cette salle. Nous reviendrons, entre autres parce qu’une exposition sur l’intérêt porté aux antiquités par Napoléon III va enfin ouvrir.
    Nous avions vu la petite « Vénus » de Brassempouy lors d’une belle exposition de Beaubourg qui confrontait l’art de la préhistoire et la modernité.

    PS: pour circuler entre les mondes, il faudrait déjà que retienne la liste, Aurignacien, Gravetien… Ouh ! j’ai déjà oublié le début de la liste.

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