La cité des reflets à La Défense

Il y a à peu près soixante ans, la voie royale dessinée par Le Nôtre depuis le Louvre s’achevait vers Courbevoie, par un rond-point orné d’une statue de Louis Ernest Barrias nommée La Défense de Paris en l’honneur des défenseurs de Paris lors de la guerre de 1870 contre les Prussiens. Tout autour des usines, non loin le bidonville de Nanterre.

En 1958, les aménageurs décidèrent d’implanter à cet endroit un quartier d’affaires autour du CNIT, Palais des Expositions recyclé en centre commercial.

Le CNIT : un palais des expositions, recyclé en centre commercial

Quelques tours

La première tour, la tour Nobel, fut achevée en 1966. Elle est visible aujourd’hui au bout du bassin Takis. .Jean de Mailly tout en imitant les tours américaines, avait adouci la brutalité de la forme parallélépipédique par des angles arrondis. Sa façade en « mur-rideau », composée de panneaux articulés (inventés par Jean Prouvé) fut beaucoup admirée. D’autres tours suivirent transformant la zone en terrain de jeu pour architectes. Parmi mes favorites, la tour Areva, (baptisée à l’origine tour Fiat parce que le PDG de Fiat disposait d’un appartement au 44ème étage), s’ est inspirée du monolithe du film 2001 Odyssée de l’espace.

Tour Areva. Le monolithe

Quatre années de crises (1973-1978) menacèrent la Défense, mais le goût de Mitterrand pour les chantiers pharaoniques permit le redémarrage du site.  Le centre commercial des Quatre Temps fut inauguré en 1981, la Tour ELF (actuelle Total) en 1985, le grand cube évidé de l’Arche de la Défense en 1987.

Grande Arche de La Défense
Grande Arche. L’auvent et les marches

l’arrivée de la ligne A du RER (1977) et le prolongement du métro désenclavèrent le quartier. Aujourd’hui, les travaux se poursuivent avec le prolongement du RER E.

Chantier à La Défense

Aujourd’hui, on déambule dans un vaste paysage de tours qui rivalisent pour renouveler les modèles anciens. Coeur Défense, conçu par Jean-Paul Viguier et réalisé en 2001, comporte deux tours décalées, caractérisées par leur finesse et leurs extrémités arrondies et trois bâtiments bas construits dans le même style.

Coeur Défense

J’aime beaucoup la tour EDF dont je viens d’apprendre qu’elle a été dessinée par I.Ming Pei (l’architecte de la Pyramide du Louvre). Le demi cône qui s’incruste dans les  premiers étages du bâtiment fait songer aux plis dont les sculpteurs habillent leurs statues.

Tour EDF de I. Ming Pei

A cette longue forme conique étirée vers le haut correspond l’énorme cercle de l’auvent qui protège des intempéries ou du soleil ceux qui arrivent.

Tour EDF. Reflets dans le bassin Takis

La tour Majunga (2014), outre qu’elle montre qu’avec les nouveaux matériaux toutes les formes sont possibles, est habillée d’un revêtement précieux

Tour Majunga

Des tours moins immédiatement séduisantes renouvellent les formes anciennes. Ainsi  D2 conçue par Antony Béchu et Tom Sheehan joue des formes arrondies.

Tour D2

D’autres rappellent les éclats irréguliers que des chocs produisent sur les silex …

Tour Carpe Diem et ses angles rentrants évoquant la taille des pierres précieuses

Tous ces gratte-ciel constituent un entassement un peu chaotique, que la Grande Arche est venue ordonner. Ce sont des bâtiments triomphalement verticaux, sans rien qui arrête le regard vers le haut. Ils sont réalisés dans des matériaux durs et brillants. Leurs vitrages ne se contentent pas d’être lumineux : ils renvoient une lumière dure et brillante, elle aussi. Non loin de la Seine et de ses méandres, ils proclament le triomphe de l’architecte qui substitue un monde géométrique aux irrégularités naturelles, qui remplace les briques des usines et les pierres du cœur de la ville grise par un matériau vitrifié et étincelant.

La Défense. Coucher de soleil

Même l’église adopte les normes de la Défense : triomphe du lisse, jeux de couleur délicats, clocher qui évoque un ordinateur portable mince et discret.

Eglise Notre-Dame de la Pentecôte (Frank Hammoutene)

Heureusement, la dalle qui ordonne le paysage selon l’axe qui va de la Grande Arche à l’Arc de Triomphe (c’est une très bonne chose) l’horizontalise un peu. C’est très chouette une dalle : ça élimine les cailloux des chemins, les irrégularités des pavés. On chemine en se sentant protégés de la circulation et des obstacles. La ligne droite nous amène sans nous faire perdre de temps 300 m plus loin… Evidemment la promesse de nature que les concepteurs du lieu se croient obligés d’ajouter fait sourire. Quelques touffes d’herbes à moitié exotiques sont décrites de façon emphatique : « espace de liberté, biodiversité, prairie fleurie…plus les cartels célèbrent la nature, plus les jardins-jardinières sont rabougris.

Sculptures

Nous avons jeté un coup d’œil sur des sculptures disséminées dans le quartier. L’araignée rouge d’Alexandre Calder, surtout connu pour ses mobiles, mesure 15 mètres de haut. Calder parlait de stabile à son égard…Sur cette première photo en effet l’araignée géante occupe paisiblement  le parvis.

L’Araignée rouge et la tour Elf (Total)

Quand le visiteur se déplace elle paraît sur le point d’attaquer..

Calder. Araignée Rouge menaçante.

Au pied de la Tour Areva, posé sur un dallage en granit, le buste d’une sorte d’Apollon installé en 1983 par Igor Mitoraj (un Franco-Polonais 1944-2014). Le dieu déchu se retrouve non sans mélancolie dans cet environnement de tours gigantesques où le haut et le bas sont inversés où des nuages flottent sur les parois de verre.

Igor Mitoraj. Gran Toscano (1983)

Du même sculpteur, voici Icare :

Igor Mitoraj. Icare

Avec le ‘Point croissance’ (Point Growth) de Lim Dong Lak, 1999, on retrouve le plaisir de jouer avec les reflets du globe


Point Growth de Lim Dong Lak, 1999
Point Growth. Reflets dans le globe

L’œuvre la plus célèbre est Le Pouce de César.

Le Pouce de César

Destinée à l’origine à une exposition sur le thème de la main, cette sculpture provocatrice en ces temps de dénonciation du machisme a été réalisée à partir d’un moulage du pouce de César.

La statue du 19e siècle a été conservée. Sans doute avait-elle eu un jour fière allure, mais dans cet environnement de verre et d’acier, elle semble surtout anachronique et c’est touchant. De quel ennemi cette femme veut-elle protéger Paris à présent ?

Est-ce que nous n’essayons pas, au contraire, d’attirer des investisseurs du monde entier dans les palais à moitié vides ?  

A l’autre bout du temps, le parvis est quasi privé de piétons par Le Covid, Les employés qu’on n’a pu mettre en télétravail sont résignés à manger des pizzas en utilisant les murets comme tables.

La Défense fait penser à un somptueux décor de jeu vidéo où la partie vient d’être perdue. Ceux qui rêvent que le même monde va repartir attendent que les parties reprennent. Les collapsologues annoncent qu’on va bientôt dire aux joueurs Game over. Selon leurs prédictions, la cité des affaires aura duré à peu près soixante-dix ans, moins que le temps d’une vie.

https://lagazette-ladefense.fr/tag/dossier/

http://www.paris-unplugged.fr/1958-histoire-de-la-defense/

Cossé Laurence, 2016, La Grande Arche, Paris, Gallimard.

https://lagazette-ladefense.fr/2019/05/29/i-m-pei-a-laisse-une-trace-a-la-defense/

12 réflexions sur “La cité des reflets à La Défense

  1. Coucou Sonia,

    Merci pour ce nouveau chapitre !

    Grande envie d’aller à la Défense.. Cette architecture verticale fait rêver..

    Fais attention : le sculpteur s’appelle Igor Mitoraj (et non Mittoral). Certaines de ses sculptures ont été exposées à Aix, il y a quelques années (et il en a laissé une à la commune de Cornillon où il a résidé). Très spectaculaire. C’est comme ça que je le connais.

    Je t’embrasse -et te téléphone dans les jours qui viennent. Y.

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  2. Dans ce monde étincelant de verre et d’acier, les reflets dans le bassin Takis ou les nuages flottants sur les parois de verre donnent encore un peu à rêver…
    On se prend à songer à l’ « Eloge de l’ombre » de Tanizaki.
    A la civilisation occidentale moderne qui privilégie les valeurs de l’éclat, de la brillance, l’esthétique japonaise opose les infinies nuances de la pénombre.

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    • Je suis bien d’accord. La Défense est une expérience esthétique indéniable et j’admire l’audace des architectes qui ont bâti pareils monuments, mais j’ai été bien contente quand par moments une ombre portée rendait les tours moins agressives, quand, grâce aux nuages, on passait d’une paroi étincelante à un mur presque flottant (pas les nuages, le mur !).
      Merci pour cette référence à Tanizaki

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  3. Ah ! La Déf ! Des années passées derrière un de ces carrés de verre-miroir, ou mouroir aux oiseaux… (il y a le mien sur une de tes photos ;)) Sandwich à la main, j’en ai passé du temps à contempler toutes les sculptures disséminées ci et là dans ce dédale de tours de plus en plus resserrées, pour certaines tellement au coude à coude qu’on a du mal à les photographier. ça me serre un peu le cœur de revoir tout ça ! mais je me réjouis d’y avoir eu mon bureau où j’y passais très peu de temps car toujours en voyage, c’est un lieu exceptionnellement grand, beau, efficace; seul y manque un peu d’humanité. Merci Sonia !
    Mes errances ici :
    https://philfff.blogspot.com/search?q=La+d%C3%A9fense+Paris

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