Le Perreux-sur-Marne un jour de crue

Maintenant qu’il n’y a ni voyages touristiques, ni théâtre, ni musée, ni cinéma, et qu’on est contraints par le couvre-feu de 18 heures à rester à proximité de chez soi, nous nous promenons dans la périphérie Est de Paris. Si Le Perreux-sur-Marne porte le surnom de « Perle de l’Est parisien », il doit sans doute ce nom aux villas Art nouveau étagées sur la colline ou à celles qui constituent le front de rivière, plutôt qu’aux petites maisons de la ville basse, en arrière des berges. Pourtant si on prend le temps de regarder les habitations du bas-Perreux, on commence à apprécier des façons romanesques et inventives de faire banlieue. Même la sombre rue du Viaduc presque déserte avec son unique cycliste qui croise un unique promeneur a suffi pour voir s’amorcer le premier épisode d’une série télévisée.

Le Perreux. Rue du viaduc

Chaque maisonnette possède sa façon particulière de célébrer la beauté. Cette maison en meulière de couleur brunâtre est égayée par des brisures de céramique délicatement disposées.

Le Perreux. Rue de l’Yser

Et cette façade par des fleurettes de céramique qui m’ont fait retourner :

Le Perreux. Boulevard Sadi Carnot

Qui a pu vouloir se distinguer à ce point de ses voisins en peignant sa villa en rouge ? Un provocateur voulant montrer sa fureur d’exilé de Paris poussé par le prix du mètre carré à venir vivre en banlieue ? : « Je ne fais pas partie de votre clan. Je m’en exclus ! » . Ou bien un entrepreneur bon vivant, qui n’a nullement cherché à choquer ses voisins avec qui il a l’habitude de partir pêcher ? Est-ce qu’il n’est pas justement le président du club de pêche ? – Alors ce rouge ? – Mais vous savez bien qu’il lui restait un lot de pots de peinture rouge en trop qu’il aurait été dommage de laisser perdre.

Le fait est que ce rouge qui se remarque n’est pas pour lui déplaire et que les voisins ont accepté sa façade qui sert de point de repère à tout le quartier.

Le Perreux. Boulevard Sadi Carnot

On accède à l’île aux Loups en bateau, de sorte qu’aujourd’hui, on peut seulement regarder depuis la berge des rangées d’arbres serrés et des maisons à moitié masquées. Je ne saurai pas où se trouve la demeure à l´ascenseur rouge. Modiano dans Fleurs de ruine fait de cet endroit et des gens qui le fréquentaient un pivot entre l’enquête qu’il mène comme toujours sur son enfance et d’autre part l’histoire tragique, survenue dans les années trente, de deux étudiants qui y ont passé la nuit avant de se suicider. J’ai cru que je n’aimais pas ce livre qui abandonne en cours de route son sujet, cependant que la quête familiale n’aboutit pas davantage, mais à l’épreuve du temps, les personnages ont gagné une étrange épaisseur et je n’ai jamais oublié la maison de l’île aux Loups. C’est bien qu’elle demeure inatteignable, là-bas sur l’autre rive. Elle restera une vague représentation perdue dans la brume des souvenirs sans que « la vraie demeure » ne se substitue au mystère de sa désignation de « maison à l’ascenseur rouge ». Seulement, le spectacle des eaux en crue battant contre les arbres sombres est à présent venu s’agglomérer au nom énigmatique.

Lorsqu’il fait beau, on envie les îliens de vivre auprès d’une rivière. J’imagine cependant qu’ils s’inquiètent des inondations. Au Perreux où des témoins de la crue de 1910 subsistent, la Marne était montée à 5 mètres au-dessus du niveau de référence et un quart de la ville a été inondé.Aujourd’hui, les grands arbres de la berge ont à nouveau les pieds dans l’eau. Le bassin réservoir du lac du Der, construit près de Saint-Dizier, devrait empêcher la crue d’être trop violente, cependant le manque d’anticipation (d’imagination ?) des pouvoirs publics est tel que les riverains de la Marne doivent s’alarmer.

Crue de la Marne. Février 2021

Pour le moment, la montée des eaux est lente et elle donne seulement à la rivière une allure un peu moins domestiquée. Quand le ciel est sombre, La Marne coule comme une nappe de boue, mais elle s’illumine à la moindre éclaircie.

Le Perreux. Crue de la Marne 2021

Les bords de Marne sont plus cossus que le bas-Perreux où nous étions. On croise de jolies maisons.

Le Perreux. Quai de l’Artois

..

Et des restaurants pour le dimanche. Quand le Bel Air aura rouvert, ce sera bien d’aller y manger au 127 Quai de l’Artois.

Oiseaux en fête

Nous avons marché jusqu’à la passerelle de Bry, construite par Eiffel. Partout, c’était la fête des oiseaux. Les oies bernaches semblaient ravies de poser leurs pattes dans l’eau peu profonde qui recouvrait par endroit le chemin de halage et d’y prendre un bain de pied en lissant leurs plumes.

Des cormorans, si nombreux à présent sur les rivières, se reposaient entre deux plongeons. Ce sont les plus beaux des grands oiseaux d’eau . Quelle élégance dans leur façon de tenir la tête relevée, la courbe du jabot remontant jusqu’à s’aligner avec le dos  dans une diagonale parfaite ! Même le bec recourbé, fait pour l’attaque, paraît fier chez le cormoran.

Cormoran élégant

J’ai longtemps répété paresseusement que le cormoran dont les plumes ne sont pas imperméables, et qui doit donc les sécher en déployant ses ailes, était une anomalie du système de la  sélection naturelle, une pierre d’achoppement pour la théorie darwinienne. Je viens de lire, que ces ailes sont une merveille d’efficacité. Le dessous des plumes est imperméable et tient l’oiseau au chaud. Le dessus n’emprisonne pas l’air qui l’aurait maintenu en surface. Alourdies d’eau, les plumes lestent au contraire le plongeur d’un poids qui en fait un pêcheur redoutable.

Des mouettes en rang serrés s’offrent au soleil.

Le Perreux. Mouettes au soleil
Mouettes au soleil. Côté face
Mouettes au soleil. Côté face

Fin abrégée de notre promenade pour une raison triviale : les cafés et les restaurants sont fermés et il n’y a pas de toilettes en vue, dans ce lieu trop urbanisé pour qu’on puisse s’isoler décemment. Il ne reste qu’à rentrer !

6 réflexions sur “Le Perreux-sur-Marne un jour de crue

  1. Brisures de céramique et brochettes de mouettes: ton œil a encore « fait mouche »…
    Concernant le dernier point, penser aux parkings et aux mairies… généralement équipés et ouverts au public!

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    • Je n’ai pas tout de suite compris ton (bon) conseil…. malgré tout inapplicable sur les bords de la Marne.
      A première lecture, je pensais que tu voulais me suggérer d’explorer un peu la ville du point de vue de ses habitants, plutôt que de pratiquer mon tourisme en banlieue qui reste à distance de la vie quotidienne.
      Les parkings de supermarché ! Tout un sujet
      Sonia

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    • J’ai depuis longtemps envie de chercher plus systématiquement ces décors de cérmiique. Il faudrait aller voir les catalogues des faienceries pour avoir une idée de la variété des motifs… et donc attendre la réouverture des bibliothèques… et il y a quand même pas mal de livres sur le sujet. J’ai noté Bernard Marrey pour les décore de Paris et surtout,Françoise Mary pour Choisy, un grand centre de production… A suivre

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  2. Fascinant, la fulgurance de cette façade rouge.
    La couleur prend ici une dimension picturale.
    Je pense immédiatement à la violence de ces grands aplats de rouge qui envahissent les paysages méditerranéens de Nicolas de stael.

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