Balade à Tolbiac-Chevaleret

L’herbe est encore verte à Bercy où l’automne s’attarde. Dire qu’il faudra tailler les rosiers du parc dans deux mois. Elle s’arrête pour regarder une bande de mouettes qui traverse le ciel en criant. Qui aurait dit que les mouettes quitteraient les bords de mer pour Paris ? Elle a rendez-vous rue Charcot, de l’autre côté de la Seine. Elle traverse le Pont de Tolbiac. Mais où est passé l’autre pont, celui qui était rouge et bleu ? Quand elle demande, on se moque d’elle.

 – Vous voulez dire le pont viaduc qui enjambait les voies de chemin de fer ? Ah ! bien vous alors, vous êtes vraiment distraite ou bien vous n’êtes pas parisienne. On l’a démonté dans les années 90  quand on a ouvert l’avenue de France, en promettant de le remettre un jour. Il doit être quelque part en province, mais en pièces détachées, votre pont. Il existe seulement  dans le Nestor Burma qui s’appelle justement Brouillard au pont de Tolbiac ou dans les souvenirs des nostalgiques qui collectionnent les BD de Jacques Tardi.

Plus tard, elle racontera à son amie cet échange à propos du pont de Tolbiac.

– J’aurais dû dire à cette dame que tous les quartiers de Paris flottent comme ça entre présent et passé.

– Tu aurais eu tort, répond l’amie. Notre 13ème n’est pas seulement un peu parfumé par les histoires écrites à son sujet. Il a été complètement transformé quand les grands travaux nous ont dégringolé dessus. Il n’y  a pas si longtemps, le secteur était encore un secteur de brigands. On ne s’aventurait même pas rue Chevaleret parce que c’était mal famé, que c’était un coupe-gorge. Aujourd’hui, même les petites rues sont dévoilées, plus claires. La lumière s’y engouffre. Et puis, il y a des gens partout. La création de Météor, le RER qui est arrivé à la Bibliothèque François Mitterrand au lieu d’aller à Masséna, les implantations de bureaux… Plein de gens, des pressés, des amoureux, des moroses, des joyeux. On croise les gens qui vont à la BNF ou au cinéma, à l’Institut National des Langues Orientales, à l’université de Paris VI, ou dans les cafés, ceux qui viennent pour Décathlon ou Darty. On est tout le temps entourés. Les gens ne s’arrêtent qu’à une heure du matin quand le métro cesse de circuler, et encore.

Sortie ligne 14. Pont de Tolbiac

Sortie ligne 14. Pont de Tolbiac

Moi aussi, je bouge autrement. Avant, j’allais aux magasins les plus proches. Les grandes courses, c’était  à Galaxy, le Centre Commercial Galaxy de la place d’Italie. Maintenant, je prends sans même réfléchir la ligne 14 pour Châtelet qui est à dix minutes.

Le quartier d’avant, je n’y pense plus jamais, mais maintenant qu’on en parle, je trouve dommage de n’avoir pas pris de photos de sa transformation. Il aurait fallu photographier. C’est bête ! J’ai oublié de le faire, et ça aurait été bien pour me souvenir. C’est trop tard. Tout a changé en trop peu de temps ».

Les images, elles sont allées les voir en bordure de l’avenue de France, là où les chantiers se poursuivent. L’amie s’est souvenue du bruit que faisaient les trains.

Avenue de France le chantier de la dalle_Paris 13e

– C’est vrai, on ne les entend plus passer la nuit de chez nous. J’avais oublié.  C’est comme les chansons. Tu pourrais me dire ce qu’on chantait en 1985 ? Quelle chanson était à la mode ? Tu le sais encore ?

Elles se sont retournées vers l’avenue et l’amie a énuméré les institutions implantées, Réseau Ferré de France, Accenture, Banque Populaire Rives de Paris, Caisse nationale des Caisses d’épargne, Ministère chargé des sports… et des commerces partout. Et bientôt la Halle Freyssinet qui accueillera un milliers de starts up « innovantes ». « Quand même, c’est rectiligne, soupire l’amie. C’est froid, même quand ils font l’effort d’orner les façades ».

Rudy Ricciotti, Le Nid, avenue de france

Rudy Ricciotti, Le Nid, avenue de france

En tout cas, ce n’est pas chez moi. Chez moi, c’est le petit quartier avec l’église. Même si je ne suis pas chrétienne, même si elle n’est pas très belle, elle donne sa physionomie au quartier. Quand je la vois pointer au bout de la rue Jeanne d’Arc, je me dis, je suis chez nous. Et tiens ! Il y en a vingt à Paris qui sont plus élégantes, plus artistiques, qui sont vraiment gothiques ou baroques, ou modernes, mais aucune n’a accompagné comme celle-ci toute mon enfance et maintenant l’enfance de mes enfants.

Notre-Dame de la gare

Notre-Dame de la gare

Chez moi ce sont les rues où je vais tous les jours où tous les commerçants me connaissent.

– Vous avez oublié votre porte-monnaie. C’est pas grave, ma belle, vous me paierez samedi.

C’est là où on me demande des nouvelles de maman  et de ma fille et où  je peux demander des nouvelles de chacun. Je croise des anciens de l’école ; on ne se parle pas trop, mais je reconnais les têtes et je vois qu’ils ont des enfants  de l’âge des miens. Mon quartier, j’en fais le tour en un quart d’heure, même si quand j’étais petite, je le croyais très grand. Il est encore tout calme. A deux, trois heures de l’après-midi, c’est le silence. Il se réveille seulement à la sortie des écoles. Rien n’a changé par ici. C’est peut-être le dernier coin de l’arrondissement à somnoler au milieu de l’agitation générale.

– Rien n’a changé ?

– Si. Mais lentement. Les commerces se remplacent tout doucement et on oublie comment c’était avant. Tiens, Rue de Tolbiac, y avait une petite chevaline, maintenant c’est un magasin de vêtements. Est-ce qu’elle était au niveau du magasin de vêtements ou est-ce qu’elle était au niveau de l’agence immobilière ? Je ne sais plus. Elle était par-là en tout cas. Le marchand de kebabs, c’était un café qui vendait des jambon-beurre. Jambon-beurre ? Même ceux qui ne sont pas allés en Turquie veulent des kebabs en ce moment.

– C’est vrai, au fait, d’ailleurs, c’est une insulte dans les cours de récréation : « Maman, il m’a traité. – Quoi ? – Il m’a insulté de jambon-beurre ».

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