Parc Monceau. Que reste-t-il de la Folie du duc de Chartres ?

Provisoirement, malgré le temps agréable, je ne peux plus aller et venir comme je veux. Heureusement, l’espace rétréci est compensé par l’immensité de temps enfoui dans chaque quartier de Paris.

Cela fait un moment que je voulais achever mon tour de l’enceinte des Fermiers généraux bâtie entre 1786 à 1789 pour faciliter le contrôle des marchandises rentrant dans Paris et mieux récupérer l’argent des taxes. Le mur murant Paris rend Paris murmurant, résumait Beaumarchais, pour décrire l’hostilité que cette pression fiscale supplémentaire suscitait chez les Parisiens. D’ailleurs, des fraudeurs appuyés par le peuple de Paris s’y étaient attaqués un peu avant la prise de la Bastille : entre le 9 et le 13 juillet 1789, ils avaient incendié des barrières, marquant au fond le vrai début de la Révolution.

Il subsiste seulement quatre des pavillons d’octroi que Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806) avait été chargé d’édifier ; j’y ai consacré quelques billets :

https://passagedutemps.wordpress.com/2019/11/14/suivre-le-mur-des-fermiers-generaux-de-la-place-de-lile-de-la-reunion-aux-pavillons-de-bercy/

https://passagedutemps.wordpress.com/2019/11/18/la-rotonde-de-la-villette/

https://passagedutemps.wordpress.com/2020/01/19/en-descendant-le-boulevard-raspail/

https://passagedutemps.wordpress.com/2020/03/28/le-reve-de-pierre-de-claude-nicolas-ledoux-1736-1806-la-saline-royale-darc-et-senans/)

Pour achever mon tour de Paris, je dois retourner à la Rotonde du parc Monceau qui faisait partie de la Barrière de Chartres. Ce pavillon est situé à l’entrée du parc.

La folie de Chartres

En 1778, Louis-Philippe, duc de Chartres, achète un grand terrain qui deviendra une fois aménagé par le peintre Carmontelle et l’architecte Colignon « la Folie de Chartres ».

Je me perds avec tous ces Louis-Philippe : les princes changent de titres au long de leur vie et se plaisent à transmettre leur prénom à leurs enfants. Il y eut d’abord Louis-Philippe dit « le Gros »,  (1725-1785), duc de Chartres, puis duc d’Orléans à la mort de son père. (Je l’appellerai Louis-Philippe I). Il a pour fils Louis-Philippe (1747-1793) (Louis-Philippe II, pour ne pas mélanger, dit Philippe-Egalité pendant la révolution). Né duc de Montpensier, Louis-Philippe II devient à son tour duc de Chartres à la mort de son grand-père, et duc d’Orléans à la mort de son père. Réformateur, franc-maçon, il est le premier en France  à se faire vacciner, lui et sa famille, contre la variole, donnant ainsi l’exemple. Il est élu député de la Convention, vote la mort du roi, mais sera guillotiné à son tour en 1793. Son fils, Louis-Philippe III deviendra roi des Français de 1830 à 1848.

En 1769, alors qu’il n’est encore que duc de Chartres, Louis Philippe II épouse Marie Adélaïde de Bourbon, la famille ayant préféré à la « pureté du sang », la grande fortune de cette héritière, descendante d’un des « bâtards légitimés » de Louis XIV. (L’aristocratie du 18e siècle se dispensait facilement de fidélité. Le duc a des maîtresses dont la plus connue est la célèbre éducatrice Madame de Genlis… Lui-même, malgré sa ressemblance avec Louis-Philippe I, a prétendu pendant la Révolution, qu’il était le fils du cocher de sa mère qui avait multiplié elle aussi les aventures !)

Le nouveau ménage achète un domaine de 26 hectares dans la plaine Monceau aux portes de Paris. L’architecte Colignon leur construit la dite Folie de Chartres. En 1773, le duc s’adresse au peintre Carmontelle pour aménager le jardin.  Louis Carrogis de Carmontelle est un merveilleux touche-à-tout, dessinateur loué pour la ressemblance de ses portraits de profil, auteur de petites comédies qu’il fait jouer dans les fêtes du vieux duc (Louis-Philippe I), inventeur de « panoramas », des rouleaux de papier de Chine (de vélin), parfois de plusieurs dizaines de mètres, présentant une succession de scènes dans des paysages bucoliques que l’on déroule pour les spectateurs plongés dans le noir, comme s’ils assistaient à un long plan-séquence. Un de ces panoramas est conservé au musée de Sceaux et le musée Paul Getty a mis en ligne un autre rouleau de 37 m de long (http://www.getty.edu/art/collection/objects/102382/louis-carrogisde-carmontelle-figures-walking-in-a-parkland-french-1783-1800/).

En 1778, Carmontel achève ce jardin extravagant, une sorte de microcosme fouillis des curiosités du monde entier. Dans son livre, Le Jardin de Monceau, il écrivait : « Si l’on peut faire d’un Jardin pittoresque un pays d’illusions, pourquoi s’y refuser » (p.4).

Carmontel remet les clés du jardin au duc de Chartres, Paris, musée Carnavalet, https://www.photo.rmn.fr/archive/10-541705-2C6NU0YDJDJD.html

L’aménagement suppose un art hydraulique poussé. Carmontel a prévu une cascade (qui est) « le point haut d’où les eaux se distribuent quand elles y ont été amenées par la pompe à feu qui est proche de la serre chaude, & par le moulin que le vent fait agir » (p.6). De là, tout un circuit permet d’aller de fausses ruines en ponts, rivière, jusqu’au point bas, le bassin nautique.  L’eau était remontée à l’aide de pompes.

Les édifices presque juxtaposés évoquent des bâtiments exotiques comme la tente tartare, environnée de Peupliers d’Italie, de Sycomores et de Sureaux (p.10), le minaret ou le pavillon de Jeu de Bagues d’une Chine de fantaisie,

planche XVI : le jeu de bague chinois.
Planche gravée du livre de Carmontel (1777)

Trois pagodes chinoises portent un grand parasol qui couvre ce jeu. Ces pagodes, appuyées sur une barre horizontale, meuvent avec le plancher qui est sous leurs pieds. La mécanique, qui les fait tourner, est mise en mouvement par des hommes dans un souterrain pratiqué au-dessous. Des bords du plancher partent quatre branches de fer, dont deux soutiennent des dragons sur lesquels les Messieurs montent à cheval ; sur les deux autres branches sont couchés des Chinois soutenant d’un bras un coussin sur lequel s’assoient les Dames ; ils tiennent d’une main un parasol garni de grelots, & de l’autre un second coussin servant à poser les pieds. Au bord du grand parasol sont suspendus des œufs d’autruche & des sonnettes. A droite & à gauche de ce jeu de bague, du côté du pavillon, sont des bancs ottomanes placés dans des enfoncements de verdure. Ces bancs sont en pierre & imitent des carreaux de Perse, au-dessus sont des draperies rayées de violet, d’aurore et de blanc soutenues par des bâtons. C’est où se tient la compagnie pour voir courir la bague. De droite et de gauche de ces ottomanes, sont des vases ou cassolettes imitant le bronze rouge : leurs guirlandes & ornements sont dorés

Le passé est lui aussi évoqué à travers une pyramide, de petits temples antiques, des ruines féodales. Enfin des fabriques de jardin (ferme, moulin hollandais…) représentent la campagne.

Dans l’Isle des moutons

Le guide de Luc-Vincent Thiéry donne idée de l’entassement des « surprises » qui attendaient le visiteur :

Après avoir admiré les reflets de la colonnade corinthienne dans l’eau dont elle décore les bords, & fuivant ce baffin fur la droite vous rencontrerez un pont de bois peint en gris & noir de-deffus, lequel vous appercevrez la tente tartare, le, petit temple de marbre & le jeu de bague chinois. En tournant à gauche au fortir de ce pont, vous entrerez dans le jardin botanique compofé d’arbres arbufles & plantes tant indigènes qu’exotiques https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k119125s/f124.item.texteImage

De cet ensemble, il ne subsiste presque que la naumachie (inspirée de l’Antiquité qui y faisait représenter des batailles navales). Carmontelle pour l’aménager avait fait récupérer des colonnes d’un monument funéraire détruit, imaginé par Catherine de Médicis pour le tombeau de son mari à Saint-Denis).

Colonnade de la Naumachie

Demeure aussi une pyramide qui rappelle que le duc était Grand Maître du Grand Orient de France. La salle aménagée à sa base contenait à l’époque une statue de la déesse Isis et servait de lieu de réunion pour sa loge.

La pyramide maçonnique et sa petite porte menant à un sous-ysol aménagé pour les rites d’initiation

Du jardin anglais au parc Monceau

Fatigué peut-être de cet amas fantasque, le duc fait réaménager le jardin des illusions par l’Ecossais William Blaikie. Le parc devient un jardin anglais avec du gazon et des arbres.
L’architecte Claude-Nicolas Ledoux ajoute en 1784, une Rotonde, pavillon d’octroi entouré d’un péristyle de 16 colonnes. La partie inférieure est occupée par les bureaux de l’octroi ; le duc qui a offert le terrain et payé 12 000 livres a l’usage de la partie supérieure afin de jouir de la vue de son jardin.

Rotonde du parc Monceau. Une des grilles de Davioud

En 1793, le parc est confisqué et accueille des foules nombreuses. Après la Révolution, il est récupéré par les Orléans qui décident de détruire la Folie de Chartres et de construire un autre pavillon.  Louis-Philippe III qui préférait sa propriété de Neuilly fait déménager le temple de marbre blanc, transformé en temple de l’Amour, au bout de l’île de la Jatte. Le pavillon de 1802 est détruit à son tour dans les années 1860. Même avant cette date, il ne restait presque rien de la Folie de Chartres

En 1852, racheté par les frères Pereire, des banquiers, le parc a fait l’objet d’une opération immobilière.  Des hôtels particuliers sont aménagés le long d’avenues fermées par quatre portes monumentales. L’opulence des hôtels particuliers, le luxe étalé par les grandes fortunes qui les faisaient construire transformait sans doute les jardinets des hôtels en jardins de paradis (le peuple ne pouvait y entrer le soir puisque le parc est fermé par des grilles)  Le parc amputé est attribué à l’Etat qui vend son domaine à la Ville de Paris. Le parc Monceau redessiné par Alphand est un parc tranquille avec des pelouses, de beaux arbres et des statues que, je le crains, personne ne regarde vraiment.

Le petit pont sur la rivière date du 19e siècle. Il a été dessiné par Davioud (sûrement d’après le souvenir des ponts vénitiens).

Il y a de très beaux arbres, tulipier, érable, platane d’Orient vieux de 170 ans…

Je pense au passé agité de ce parc, à Philippe-Egalité, à Ledoux, symbole des contradictions de la période des Lumières, aux banquiers Pereire et à l’argent qui ruisselait dans les beaux quartiers sous le Second Empire. Au lieu du jeu des bagues qui amusait l’aristocratie, tourne un manège d’enfants, mais en tendant l’oreille on devrait pouvoir entendre quelque chose du fracas de la grande histoire.

Bibliographie

http://www.parcsafabriques.org/monceau/monceau1.htm

Carmontelle, Louis de. Jardin de Monceau, près de Paris, appartenant à S. A. S. Mgr. le duc de Chartres. 1779 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1066592n

https://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/item/16611-memoire-sur-les-tableaux-transparents-du-citoyen-carmontelle?offset=3

Markovic, Momcilo, 2013, « La Révolution aux barrières : l’incendie des barrières de l’octroi à Paris en juillet 1789 », Révolution française, 372 avril-juin, p. 27-48, https://journals.openedition.org/ahrf/12765

Trois transparents de Carmontelle sont aujourd’hui connus. L’un, très fragmentaire, est conservé au musée Condé à Chantilly (http://www.musee-conde.fr/). Un autre, beaucoup plus grand, se trouve au musée de l’Île de France à Sceaux. Habituellement, il n’est pas exposé. (http://domaine-de-sceaux.hauts-de-seine.fr/lesexpositions/archives-des-expositions/les-quatre-saisons-de-carmontelle/). Néanmoins, doublé, il a subi d’importantes pertes de matières et a dû subir une restauration en 2003. Enfin, le J. Paul Getty Museum (http://www.getty.edu/art/collection/objects/102382/louis-carrogisde-carmontelle-figures-walking-in-a-parkland-french-1783-1800/) conserve un rouleau de 37 m de long.

4 réflexions sur “Parc Monceau. Que reste-t-il de la Folie du duc de Chartres ?

  1. Remarquable ce goût des ruines qui va jusqu’à construire ces ruines artificielles que sont les fabriques.
    Les ruines existantes fournissent paradoxalement des modèles de constructions.
    Comme l’indique Diderot dans le Salon consacré aux tableaux de ruines en 1767 « Il faut ruiner un monument pour qu’il devienne intéressant  »
    Cette mode des ruines « anticipées  » constitue un nouvel art de bâtir qui satisfait moins à des exigences pratiques qu’à un désir de rêve, d’imaginaire.
    Rêve d’une antiquité disparue, d’un Orient fantasmé.
    Peut-on regretter cette époque de promenades dans des jardins peuplés de réminiscences culturelles ?

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    • Les Ruines de Rome sont parmi les très beaux poèmes de Du Bellay et les peintres peignaient volontiers des édifices ruinés qu’ils voyaient comme des traces du temps, mais au XVIIIe siècle, on s’est mis à fabriquer du faux ancien Le Paris du XIX eme siècle est encore plein d’immeubles qui sont des faux palais gothiquex, renaissance, .. Il me semble qu’on a cessé, mais quand ? .

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  2. Belle histoire que celle de ce parc, je n’y suis jamais allé moi-même, juste acheter des fleurs chez le « fleuriste de Parc Monceau » et je me souviens avoir pensé « il faudra que j’ y revienne » Merci Sonia !

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