L’exposition « Lieux saints partagés » au Musée National de l’Histoire de l’Immigration

Quand les trois monothéismes cohabitent tout autour de la Méditerranée

Cette exposition parle des expériences de dépassement des frontières religieuses en s’interessant à la fois à la proximité des formes de dévotion populaire et à de grandes figures du dialogue inter-religieux, l’Emir Abd El Kader, qui, prisonnier à Paris, allait prier à la Madeleine faute de mosquée et qui sauva les Chrétiens de Damas lors d’une émeute,  Louis Massignon islamologue qualifié par Pie XI de « catholique musulman », André Chouraqui traducteur de la Bible, mais aussi du Coran ce qui est moins connu, ou, de nos jours, le Jésuite Paolo dall’Oglio. Les commissaires Dionigi Albera, et Manoël Pénicaud ont rassemblé des objets d’art, mais comme ce sont des anthropologues, ils présentent aussi des films documentaires, des films d’entretiens, et c’est ce qui m’a le plus intéressé dans le parcours proposé.

Ils ont laissé de côté les questions qui fâchent en refusant de s’attarder sur les affrontements politiques. Evidemment, le visiteur peut se demander qui, à Jérusalem ou à Alger, a la maîtrise de ces lieux « partagés », si on peut dire que Notre Dame de la Garde est un lieu multiconfessionnel parce que des musulmanes (combien ?) viennent y prier Marie, s’il y a un futur pour les expériences syriennes ou si les expériences de dialogue sont les dernières traces de coexistence avant l’exil définitif des anciennes communautés chrétiennes. D’où parfois un sentiment de malaise devant l’insistante présence d’une morale humaniste optimiste.

Quoi qu’il en soit, l’exposition a le mérite de souligner la matrice commune des trois monothéismes, en rappelant qu’Abraham, Elie et Marie en sont des figures importantes, et que tous les trois incarnent des vertus humaines fondamentales.

Cela se passe sous le chêne de Mambré près d’Hébron ; Abraham offre l’hospitalité à  trois voyageurs, sans même leur demander leur nom et leur identité.

« Il vit qu’il y avait trois hommes debout près de lui. Il les vit et accourut, de l’entrée de la tente, à leur rencontre. Il se prosterna à terre et dit : « Mon seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe pas loin de ton serviteur. Qu’on apporte un peu d’eau ! Lavez-vous les pieds, puis étendez-vous sous les arbres. Je vais quérir un morceau de pain. Réconfortez votre cœur, après quoi vous pourrez passer, puisque vous êtes de passage près de votre serviteur. » Ils dirent alors : « Fais donc comme tu dis ! » (Genèse, XVIII, 1-20)

Cette histoire extraordinairement simple est célèbre dans les trois religions : des hommes arrivent chez vous. Il faut les accueillir, sans réclamer quoi que ce soit en échange. Hier, c’étaient des étrangers, mais peut-être des anges ; aujourd’hui, ce sont peut-être des réfugiés. Un récit dégraissé jusqu’à l’os que chaque religion travaille à sa façon.

La parole est aussi largement donnée aux hommes de la rue, mi-touristes, mi-pèlerins (« Les chrétiens visitent bien nos mosquées, pourquoi on ne viendrait pas dans leurs églises ? », dit une femme dans un des films projetés). Pour la foule des visiteurs, la religion est faite de rituels efficaces, qui se pratiquent dans des emplacements consacrés depuis longtemps, et qui vous procurent la joie d’avoir pu en même temps que d’autres hommes confier ses soucis à une divinité compatissante.

Mon évocation préférée est la fête du 23 avril qui a lieu au monastère de Saint Georges situé sur l’ile de  Büyükada, une île des Princes, au large d’Istambul.

Carreau d'Alep. Saint Georges.Musée du Louvre

Saint Georges. Carreau d’Alep (Musée du Louvre). (Exposition Lieux Saints partagés)

Les musulmans participent avec les chrétiens à ces moments de communion  qui répondent au besoin d’être rassemblés et au besoin d’être consolés de ce monde sans cœur. La plus jolie des coutumes consiste à monter en silence le chemin abrupt qui mène à l’église, tout en déroulant un fil de couleur. Pas après pas, la bobine se dévide et, si le fil ne se brise pas, le vœu du pèlerin sera exaucé. A la fin de la journée, les fils enchevêtrés recouvrent le chemin et forment la trame d’une tapisserie chatoyante.

Une fois arrivé, le croyant accroche lettre ou amulette aux branches des arbres. Les vœux concernent ce qu’il y a de plus commun parmi les hommes, la santé d’un proche, sa propre guérison, la réussite aux examens d’un enfant, la venue d’un fils, une meilleure situation….

Le catholicisme et le protestantisme officiels, qui sont des religions intellectualisées soucieuses de leur compatibilité avec le monde rationnel, n’offrent rien de semblable au plaisir de faire la fête en groupe ou bien de chercher à infléchir le destin grâce à des rituels venus du fond des âges. Ces religions ne sont guère disponibles à l’émotion d’une musulmane qui aimait Jésus et demandait à communier. La générosité du père Paolo dall Oglio le rendait capable d’accueillir cette femme : « Son visage était baigné de larmes. Même son corsage était trempé. Qui suis-je pour lui refuser la communion ? »

L’exposition se termine par un éloge de l’Emir Abd El Kader, de Louis Massignon, d’André Chouraqui ou de nos jours du père Jacques Mourad et du père Paolo dall Oglio,

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Père Paolo dall’Oglio. (Origine: Le Monde des religions. http://www.lemondedesreligions.fr/images/2013/10/11/3432_paolo_440x260.jpg

qui tous prônaient le dialogue inter-religieux. Le missionnaire jésuite Paolo dall Oglio, restaurateur du monastère Mar Moussa en Syrie, qui défendait la tolérance et le dialogue entre musulmans et chrétiens, s’est offert en otage à Daech pour obtenir la libération de prisonniers et il est porté disparu depuis juillet 2013.

Bienveillance et appel à la morale sur fond d’illusions perdues et refus de la mélancolie. « Il ne faut pas avoir peur de l’autre », dit Jacques Mourad qui pourtant a été détenu pendant des mois par les djihadistes et n’a retrouvé qu’un monastère en ruines après sa libération.

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