Le Squat

Les noms des protagonistes ainsi que le nom de la ville ont été modifiés. Les faits sont aussi exactement rapportés qu’il était possible de le faire.

Nada

Nada est arrivée de Tunisie depuis six mois pour poursuivre des études supérieures de sociologie politique à l’université de Villetaneuse. Elle loge chez des cousins éloignés de sa mère, qui ont deux enfants et de la place pour accueillir une baby-sitter. Les conditions sont médiocres. Toutes ses soirées sont prises. Il faut récupérer les enfants à l’école, s’occuper d’eux, les faire dîner et les coucher quand les parents sortent. Elle n’est pas déclarée et touche 250 euros par mois («  Tu es logée et tu peux dîner avec les enfants », a dit la patronne). Et puis, Nada a l’impression d’habiter dans un non-lieu. Bobigny n’est pas une ville : les maisons sont basses, mais tout à coup il y a des immeubles de 8 étages, et quelques mètres plus loin des ateliers abandonnés. La nuit, certaines rues sont plus désertes qu’à la campagne.

Quand elle a une matinée tranquille, elle se hasarde dans les beaux quartiers de Paris ; elle adore Sèvres-Babylone, traîne ensorcelée dans les rayons du Bon Marché, regarde les étoffes moelleuses, les chaussures qui scintillent, la blondeur des clientes. Puis il faut retourner à Bobigny. Petit à petit, la foule du métro se colore, beige, jaune, toutes les nuances qui vont du café-au-lait jusqu’au noir. Dans le long couloir de République, les Pakistanais déballent des coques de téléphone portables, des ceintures, des jouets mécaniques made in China qui tournent en rond en clignotant. Lorsqu’elle arrive à Pablo Picasso, il n’y a plus de « Gaulois ».  Des gens s’agglutinent à l’entrée du métro. Presque pas de femmes. Beaucoup de garçons à capuche, les mains enfoncées profondément dans les poches. Des Jaunes et des Noirs partout. Les Noirs lui font peur. Elle n’en a jamais vu autant. Les vitrines sont répugnantes : des giga-bazars où l’on vend des sacs de faux cuir, des chaussures bas de gamme, des contrefaçons de Nike, des tee-shirts, quelques djellabas… Plus loin, des ateliers abandonnés, des bâtisses déglinguées d’un étage, des cités, ou bien des terrains vagues qui deviendront un jour des cités d’habitat social. Elle n’était pas venue en France pour vivre ça.

De temps en temps, les riches font semblant de donner quelque chose aux pauvres. Des pancartes proclament : « Conservatoire de rayonnement régional », “Théâtre MC93”. Nada pense que tout ça ne s’adresse pas à des gens comme elle. Elle n’a pas un regard pour les parterres fleuris, ou plutôt, ils la mettent en colère. Des déchets que les Français laissent pour se donner bonne conscience. En plus, le temps est pourri. Il pleut un jour sur deux. La pluie dégouline sur ses cheveux.

En Tunisie, elle était plutôt un modèle de jeune femme émancipée. Décidée à s’accrocher à de bonnes études, à vivre une vie amoureuse sans se laisser marier tout de suite. Elle était venue à Paris pour que son futur soit plus large. Rapidement, ses espoirs ont été douchés. Elle a raté les premières semaines de cours. Quand elle a commencé à suivre des séminaires, elle a eu l’impression d’une langue étrange. Elle ne comprenait pas ce que voulaient les enseignants. Que fallait-il prendre en note et retenir ? Dans son université, le professeur notait au tableau ce qu’on devait apprendre. A Villetaneuse, tout se mélangeait, plaisanteries et concepts, sans même un changement de voix.

L’hiver s’est installé et elle a renoncé aux cours du matin. Pour être à l’heure, le mardi, il aurait fallu prendre un bus dans le noir, et elle n’en avait pas le courage. Son ami tente sa chance à Marseille. Il ne peut pas lui rendre visite puisqu’elle n’a pas d’appartement où le recevoir. Elle ne peut pas venir chez lui puisqu’elle doit s’occuper des enfants. La tristesse lui serre le cœur.

 « J’ai des difficultés ici. Samira, tu es la seule fille à qui je parle. Je n’en peux plus. Je n’aurais pas dû quitter la Tunisie. Ce n’est pas ma place ici. L’autre jour, le prof m’a interrogée et quand j’ai répondu quelques mots, j’ai entendu rire. Puis une fille m’a imitée et tout le monde a ri, même si le prof s’est fâché. Je loge dans une famille pourrie qui m’exploite. J’en ai marre, mais que faire ?

– Attends ! J’ai au moins une solution de logement tout ce qu’il y a de plus correct. J’ai un pote, Nabil, il va t’aider. »

Mario

« Comme disait mon maître, la drogue rapporte plus, mais c’est risqué. Tandis que les squats, c’est tranquille. Et on est bons les gars, dit Mario aux cinq jeunes gens qui sont attablés devant leurs pizzas. Tellement bons qu’on a quinze logements d’avance, rien que sur Bobigny. Y a des signes de logement vacant plus efficaces que les panneaux à vendre : la boîte à lettres qui déborde, les volets fermés en permanence. Et puis, vous pouvez parler aux gens et dire que vous cherchez un appartement. Les voisins parlent facilement. – Moi, dit Momo, j’utilise une affichette que je glisse dans la porte, si elle est toujours là au bout de quelques jours, c’est quand même un bon indice.

– Bon ! Reprends Mario, maintenant il faut mettre des gens dans nos squats. Recrutez partout, leur rappelle-t-il. Ecoutez les gens qui parlent dans les cafés, dans les bus,  mêlez-vous à la conversation. Vous leur dites – J’ai peut-être quelque chose pour vous, boulevard Maurice Thorez, tout près du square. C’est grand et pas cher. Prenez un café avec les gens et faites visiter comme si vous étiez une vraie agence. Ils disent tous oui quand vous leur expliquez qu’au bout de 48 heures, ils sont inexpulsables.

S’ils sont jeunes, vous ajoutez : “Vivre dans un squat ! Ce n’est pas si compliqué, c’est plutôt excitant”. Si ce sont des politiques, vous racontez qu’on conteste la propriété privée, qu’on refuse de payer un loyer à un propriétaire qui possède plus d’un logement quand d’autres n’en possèdent aucun. Les 1500 qu’on demande, c’est du défraiement. Il faut utiliser ce mot là, défraiement parce que ça coûte cher de créer un squat. Il faut mobiliser 5, 6 personnes à plein temps. Deux guetteurs dans la rue, ceux qui montent avec les marteaux, le tournevis, le pied de biche, les nouvelles serrures. La nuit, il faut rester dans le logement. Quelqu’un qui doit rester deux jours après avoir pris un contrat à Engie pour l’électricité. Vous les flattez en leur disant qu’ils participent à une vraie bagarre sociale.

Nabil arrive avec une fille. « – Elle s’appelle Nada. Elle n’a l’air de rien, mais elle est têtue. Elle tiendra quand les propriétaires rappliqueront. »

– J’ai ce qu’il te faut Nada. Nabil t’a dit le tarif. 1500 euros de défraiement, après tu es peinarde. Après 48h, la police ne peut plus t’expulser. Tu ne risques pas grand-chose. Il n’y a pas de risque de prison.

– Mais, dit Nada, c’est interdit

– Le squat, c’est pas la faute des squatteurs, c’est la faute de ceux qui gouvernent et ne construisent pas de logements. Il y a trop de logements vides et de gens dehors. D’après la Cour de Cassation, les squatteurs ne commettent pas de violation de domicile lorsque l’appartement est vide de meubles, qu’il vient d’être achevé ou qu’il est promis à une démolition. Le code pénal protège seulement le domicile en tant que lieu de vie principal. Voilà ta bible. Le studio était vide. Tu ne fais rien de mal.

Un squat à soi

Nada est dans le squat. Le quartier est moche, mais le studio est impeccable, propre, calme. Elle a pu acheter un gros réfrigérateur et un écran plat immense qui lui permet de regarder toutes les chaînes imaginables !

Pour la première fois de sa vie, elle a un lieu à elle, une télé qu’elle allume sans demander à ses frères s’ils sont d’accord pour qu’elle regarde Les Feux de l’amour. C’est elle qui décide si elle ouvre la porte, ou pas et ça lui fait un bien fou. Elle se répète mon studio, mon refuge, mon territoire. Quel bonheur ! Elle commence même à se dire qu’elle va retourner régulièrement à la fac et essayer d’avoir son master.

Son ami qui travaille à Marseille peut venir la voir. Ensemble, ils trainent au lit le matin en écoutant des disques et en semant des miettes de chocolatine sur la couette. Quand il est là, elle invite Nabil.

Mario lui avait annoncé qu’un jour, elle finirait par être expulsée, mais le temps qu’un juge décide de l’expulsion, que le préfet fixe la date, ça laisse de la marge et les propriétaires le savent. Souvent, ils se découragent.

Face-à-face du propriétaire et des squatteurs

Le studio devait être vendu ce 3 juillet. La veille, l’acheteuse est allée le visiter avec l’autorisation de l’agence pour envisager quelques travaux et a découvert que les cadenas avaient été changés. Elle a évidemment prévenu les vendeurs. C’est une catastrophe pour Louise, curatrice de son frère parti en maison de retraite. Elle comptait sur la vente pour payer une partie des frais. Elle se précipite avec son mari. Nada ouvre tranquillement. Il y a deux garçons avec elle. Ils regardent le titre de propriété. Un des garçons se présente. « Je suis un copain de Nada. Elle est fragile. Elle a besoin d’être protégée. Alors c’est moi qui vous réponds : « Oui, elle occupe les lieux. Depuis trois mois, en fait. Mais elle est de bonne foi. Elle a été abusée. Elle a signé un bail pour entrer ici. »

Louise n’en finit pas de s’étonner : sa squatteuse, c’est cette petite femme maladive, maigrelette qu’il serait si facile de faire déguerpir.

– Vous avez bien vu que la serrure avait été forcée.

– Et alors ? Ça pouvait être ancien.

– En tout cas, les lieux doivent être évacués de l’autre côté du weekend pour que la vente puisse avoir lieu.

Louise et son mari partent porter plainte au commissariat.

La police ne peut pas intervenir

« Nous ne pouvons pas intervenir parce que vos squatteurs sont là depuis plus de 48 heures, explique patiemment le policier qui les reçoit. Si on les faisait déguerpir, vos squatteurs porteraient plainte. On ferait le gros titre du 20 heures : Violences policières à Bobigny. Et si des gens de l’immeuble prenaient leur parti, et qu’on ripostait pour sauver notre peau, vous imaginez les gros titres. Il ne serait question que des tabassages honteux de la police, d’un déchaînement de violence policière inqualifiable… et on se retrouverait vite fait bien fait devant les tribunaux. Désolé pour vous. L’Etat protège ceux qui profitent des lois mal faites. Bien qu’occupant sans droit ni titre, le squatteur dispose des mêmes droits et garanties qu’un locataire. Tout ce que vous pouvez faire, c’est vous adresser à la justice pour obtenir une décision d’expulsion. Il faut recueillir l’identité exacte des squatteurs parce qu’on n’expulse pas des X. Allez voir un huissier, c’est lui qui interrogera vos occupants sur leur identité. Ensuite vous devrez vous adresser au tribunal d’Instance. Une fois l’expulsion ordonnée, il faut encore compter deux mois dans le meilleur des cas. Si les lieux sont toujours occupés au bout de deux mois, l’huissier de justice, accompagné d’un commissaire de police et d’un serrurier, procède à l’expulsion forcée.

– En clair, cela signifie que le droit de propriété n’est pas garanti en France.

– Allez voir un huissier, c’est le début de la procédure. Surtout n’essayez pas de régler le problème par vous-mêmes : vous êtes passibles d’une peine de 30 000 euros d’amende et de 3 ans d’emprisonnement. »

Le soleil déjà chaud grésille sur l’asphalte. Le cabinet de l’huissier est à l’autre bout de la ville dans une des rues nouvelles. Cette  partie de la ville prospère n’a rien à voir avec le côté est. Le discours de l’huissier est décourageant. Ce sera long. Il faut relever l’identité du squatteur, aller devant le juge. Dans le 93, les juges sont débordés et cela prend des mois. Quand l’audience a eu lieu, il faut attendre le délibéré un ou deux mois. « Si vous avez de la chance, la préfecture accepte le commandement d’expulsion. J’espère que votre squatteuse n’est pas enceinte. Sinon, vous n’avez pas fini ».

 

Discussions avec la squatteuse

Louise, amère, ne peut s’empêcher de téléphoner à Nada.

– Vous ne pouvez pas me faire partir, répète Nada qui a bien assimilé les leçons de Nabil, parce que j’ai des droits sur cet appartement. J’ai l’électricité. Je suis chez moi.

– C’est quand même le monde renversé. Vous entrez illégalement chez mon frère et, parce que vous avez téléphoné à EDF pour obtenir l’électricité, vous prétendez que vous avez  des droits sur son logement ? Vous n’avez pas honte de vous en prendre à un vieux monsieur, sans doute plus pauvre que vous, qui a été obligé de vendre son logement pour payer un séjour médical.

– Ce n’est pas ma faute. Je suis là par nécessité. On me fait venir à Paris pour étudier et on me laisse me débrouiller. La vie est chère et je ne peux pas me loger. Il faut bien que je me débrouille. Il y a des milliers de gens qui font comme moi. Je ne suis pas pire que les autres.

– Ce n’est pas une raison pour spolier mon frère. J’espère qu’un jour vous connaitrez une situation semblable et que vous regretterez la façon dont vous avez agi.

– En tout cas, que cela vous plaise ou non, j’ai mes affaires ici ; j’ai ma vie. Je ne peux pas partir du jour au lendemain parce que ça vous arrange.

– Vous m’avez dit que vous êtes une étudiante tunisienne. Eh bien ! La France vous accueille, et vous vous comportez comme une délinquante ! Je serais curieuse de savoir ce que votre ambassade pense de comportements pareils.

– Je considère que vous me menacez et je compte bien me défendre.

Pour entamer une procédure d’expulsion, l’huissier doit recueillir l’identité exacte de l’occupante. Il obtient sans difficulté carte d’identité, permis de séjour, carte d’étudiante. Nada pense qu’elle est suffisamment protégée par la complexité des démarches à entreprendre pour obtempérer. Elle ne regarde même pas les messages de Louise, mais elle remâche la façon dont se sont déroulés leurs échanges. « Le discours sur la moralité que cette bonne femme a tenu ! J’avais envie de hurler. Elle me méprise ouvertement, choisit des mots pour me blesser, pour me faire peur. Elle m’a traitée de délinquante ! Mais qui sont les plus grands délinquants, ceux qui squattent un appartement ou ceux qui achètent des appartements pour les louer à des tarifs abusifs ? On me fait venir à Paris pour étudier et on me laisse me débrouiller. La vie est chère. Si je paie un loyer, des charges, la taxe d’habitation, il ne me reste rien. »

De son côté, Louise évoque aussi la situation avec tous ceux qu’elle rencontre. « Je me sens abandonnée par l’Etat. Les gros propriétaires ne sont pas concernés. Ils ont des concierges et des portes blindées. Les victimes sont des gens à peine plus fortunés que leurs squatteurs. Elle reconnaît qu’il y a un problème de logement, mais le « Droit au logement » incombe à l’Etat, pas aux particuliers ! »

Parfois, ceux qui écoutent embrayent sur un discours raciste : « Pauvre France qui permet à un tas d’étrangers d’arriver et de prendre le pouvoir. Y a les Roms qui sont le rebut de l’Europe, les Africains mal intégrés, des Maghrébins qui n’ont vraiment pas le sens de la propriété. Des paresseux à moitié illettrés qui viennent pour profiter de la sécu et qui ont le vol comme principale ressource ! Je ne trouve pas de mots assez forts pour dire comme je suis révoltée ! ». Louise a honte d’être dans le camp des xénophobes.

Parfois, les amis, gênés, se bornent à constater le désastre « – Bon. Alors la vente tombe à l’eau ? Décidément, c’est une sale affaire. » Louise se sent seule. Elle serait « lourde » d’occuper la soirée avec ses ennuis. « Ça ne sert à rien d’en parler. Ça m’énerve, c’est tout. Arrêtons. »

Les bons conseils d’Aby : il faut négocier

Pendant que Louise menace, l’acheteuse, Aby, a une autre stratégie. C’est une Ivoirienne extravertie, énergique et chaleureuse. « Je ne peux pas acheter un studio squatté, mais ça vous coûtera plus cher de suivre une plainte que de discuter. C’est trop bête, cette histoire. Il faut négocier avec la jeune fille et lui montrer qu’on a tous à y perdre. Vous devriez garder votre calme et lui montrer une issue pour que chacun y trouve son avantage. Laissez-moi faire ». Aby  passe des heures au téléphone à répéter à Nada « Je ne suis pas ton ennemie. On peut dialoguer quand même. Je ne cherche pas à être féroce. Moi, quand je vois une femme à la rue, j’ai mal. Je ne veux pas du tout que tu te retrouves à la rue. Mais ton truc là, ça fout des projets en l’air. Le propriétaire a de gros ennuis à cause de toi. Moi aussi, je vais perdre de l’argent. Et toi, ça finira par mal tourner. Nada, on peut t’aider à partir. Je dis à Louise de te donner de quoi te retourner. »

Quelques jours passent. Louise accepte de donner 900 euros.

« J’ai besoin de m’organiser dit Nada. J’ai besoin d’un répit, mais mardi, je vais partir. »

Louise est soulagée ! Le notaire a reporté la vente au 13 juillet. Elle part avec Aby fêter ça au café. Elles se racontent leurs familles. Tout va bien.

Le mardi 11, Louise arrive au studio, pleine d’espoir. Dès que Nada sera partie, elle contactera le serrurier pour sécuriser l’appartement. Malheureusement la porte est fermée. Personne ne répond. Elle attend un peu puisqu’Aby doit venir. Un SMS d’Aby arrive « Nada m’a écrit qu’elle était dans le train, qu’elle ne partait pas. Je viens quand même ! ». Puis un nouveau « Je cherche une place ». Les voici toutes les deux devant la porte.

« Elle nous nargue, dit Aby. Si c’est comme ça, on va jouer au squatteur squatté. Puisqu’elle est dans le train, il n’y a personne chez elle. En deux coups, quelqu’un qui s’y connait peut faire sauter les verrous. On loge un nouvel occupant et on fait changer l’électricité. On va la virer sans utiliser la force et sans s’exposer aux sanctions que la Justice impose aux propriétaires qui se rendent justice eux-mêmes. »

Cependant Aby tambourine une dernière fois et cette fois la porte s’ouvre. Nada a menti. Elle était dans l’appartement.

– « Je n’ouvrais pas parce je suis très malade. Je ne peux pas bouger ».

 Au bout d’une heure de négociation, il n’est plus question de maladie. Acheteuse et curatrice épluchent les annonces de collocation sur leurs smartphones et en trouvent deux ou trois qui ont l’air très convenables.

– Allez, dit Aby à Nada, Je suis en voiture ; je t’emmène pour visiter. Prépare-toi ; on t’attend en bas.

Quand Nada descend trois-quarts d’heure plus tard, elle est accompagnée du copain intermédiaire qui réclame 1400 pour un départ le lendemain. Pas besoin de chercher des collocations, dit-il. Un ami qui est en vacances va lui prêter un appartement.

Le mercredi 12 arrive par SMS le refus définitif. « Je ne vais pas me mettre en difficulté pour vous ». La signature est annulée.

Avant le jugement

Nada est contente. La propriétaire est repartie. Quelques mois à tenir, puis l’hiver arrivera et elle sera non-expulsable jusqu’au printemps. C’est toujours bon à prendre.

Louise sait qu’il faut être patiente. Elle a envoyé à l’huissier une lettre à l’intention du juge où elle récapitule les raisons qui ont amené à cette situation et les problèmes suscités par le squat. Le propriétaire handicapé à 80 % a été admis dans une maison pour personnes dépendantes. Les délais sont très longs pour obtenir l’accord des juges lorsque les personnes sont sous-curatelle, dans ce cas plus de 6 mois pendant lesquels les serrures ont été forcées. Elle rappelle l’impossibilité de négocier avec la squatteuse. Elle dit que son frère ne peut payer les frais de son séjour, sa retraite de 800 euros ne suffisant pas à couvrir la somme qui reste à charge. Tous les dix jours arrivent de la Trésorerie municipale des commandements à payer. A présent, la retraite est saisie par l’Etat. Frais médicaux, dentifrice, coiffeur, il n’a droit à rien puisqu’il a des dettes  et les menaces s’accumulent. Elle espère que la justice sera rapide.

C’est la nuit qui est difficile. Louise se réveille chaque jour vers 2 heures, émerge de rêves noirâtres avec une douleur au thorax qui l’empêche de respirer. Coincée entre les injonctions à payer de la Trésorerie générale et les délais des procédures d’expulsion, elle a l’impression qu’elle ne pourra jamais se débarrasser de ce fardeau et elle déteste Nada qui la prive de sommeil et revient toutes les nuits la narguer.

Quinze jours après la visite chez l’huissier (le début des procédures a quand même coûté 700 euros à Louise), son frère et elle sont convoqués devant la justice. Quelque part, quelqu’un a été ému par la situation du vieux monsieur et a traité l’affaire selon une procédure d’urgence.

Nada s’est également rendue à la convocation. Elle a les yeux cernés, et le visage crispé. Elle plaide évidemment la bonne foi et a communiqué à l’huissier un bail grossier. La juge pose des questions précises et commente :

– Vous me montrez un reçu pour un loyer payé de la main à la main. Ça ne vous a pas étonné de devoir payer en espèces.

– Oh ! À Bobigny. Beaucoup de gens font comme ça.

– Et où sont les autres reçus ?

– Mario, qui m’a loué le studio, n’est pas revenu.

– Et vous ne vous êtes pas posée de questions ?

– Je ne me suis pas interrogée, non.

Nada reconnaît la proposition d’argent qui devait lui permettre de se retourner. Elle dit qu’on lui demandait de partir tout de suite et que ce n’était pas possible pour elle. Louise intervient pour signaler le refus de visiter des collocations, ce qui est également admis.

Une question encore, dit la juge : « Avez-vous des enfants ? »

Et Louise comprend que c’est la seule question qui compte. Avec des enfants, Nada ne serait pas expulsable. Pourvu qu’elle ne soit pas enceinte.

Les débats sont déjà clos. La décision sera envoyée par courrier. Louise s’attarde pour demander à la greffière quelle est la suite envisageable. De toute façon deux mois vont s’écouler. C’est seulement après qu’on pourra éventuellement entamer la procédure d’expulsion. A chaque étape, Nada peut contester, faire appel, demander des délais. Louise se plaint doucement de l’inégalité de traitement. La Trésorerie est impitoyable avec les dettes de son frère, mais la Justice n’en finit pas d’accorder des droits aux squatteurs. Pendant ces mois d’attente, le propriétaire continue à payer les charges d’un bien qu’une autre occupe. Il est responsable de ce qui peut arriver dans l’appartement et ne sera jamais remboursée puisque la squatteuse se déclarera insolvable. Tout ça pour une étrangère à qui la France offre des études supérieures presque gratuites.

–  C’est la grandeur de notre démocratie, dit sévèrement la greffière. Et je n’aime pas votre argument des étrangers. Ils sont étrangers, mais ils ont des droits, quand même !

 

Beaucoup de sites donnent des conseils aux squatteurs, par exemple. « Le squat de A à Z » – L’idée libertaire – Free

1libertaire.free.fr/squattaz.html. Voici quelques lignes qui concernent les procédures d’expulsion

 

Avant d’être « expulsables », vous bénéficiez d’un délai de deux mois à compter de la date du résultat (article 62 de la loi 91-650 du code de procédure civile). Si l’huissier  « oublie » ces deux mois de délai alors que la décision de jugement ne notifie pas l’annulation de ces deux mois, faites un recours auprès du juge d’exécution des peines (le « Jex ») pour « faire appliquer la loi »… – Si le jugement vous précise que vous ne bénéficiez pas de ces 2 mois, vous êtes donc expulsables à compter de l’expiration de la date fixée par le juge.

Au terme du délai initial l’huissier peut se présenter chez vous pour récupérer les lieux sauf cas de résistance de votre part. Auquel cas le proprio devra faire une requête auprès du commissaire et du préfet (de police) pour pratiquer l’expulsion. Le proprio ne pourra faire appel aux flics qu’une fois passée la période de 2 mois (ou la date fixée par le juge) qui suivent le jugement. Le proprio devra également envoyer le jugement au préfet pour qu’il étudie la possibilité de vous reloger (loi Besson) si vous avez préalablement fait une demande de logement. L’huissier n’a absolument pas le droit de vous expulser et ne peut récupérer les lieux que si vous les avez abandonnés (en clair, s’il n’y a personne chez vous).

Le premier jugement d’expulsion est « exécutoire » et faire appel ou demander des délais n’est pas « suspensif ». Ceci dit, il reste possible de saisir le « Jex » pour lui demander des délais supplémentaires.

C’est au préfet de décider de l’expulsion forcée, pour cela il demande au commissaire du quartier de faire une enquête sur les conséquences de celle-ci. Lorsque vous sentez que l’expulsion se prépare, vous pouvez appeler la Préfecture pour soutirer des infos sur l’état de la procédure.

La trêve d’hiver peut vous faire gagner du temps si vous réussissez à en bénéficier (ce qui devrait être le cas pour la plupart des squats). Elle dure au moins du 1er novembre jusqu’au 15 mars de l’année suivante (parfois plus). La loi n’est pas très claire (cf. annexe, article L.613-3 du Code de la Construction et de l’Habitation) mais en gros, si vous n’êtes pas accusé-e-s de voie de fait et si vous n’avez pas un arrêté de péril sur le dos, vous avez tout intérêt à exiger au moins la trêve d’hiver…

Après l’expulsion : le proprio a l’obligation de garder les affaires du squat à disposition. Pour ce, vous faites l’inventaire avec un huissier puis elles sont placées en garde-meuble gratuitement (aux frais du proprio) pendant 2 mois où elles sont censées être à votre disposition.

ANNEXE

L’ARTICLE DE LOI RELATIF À LA TRÊVE D’HIVER :

Article L.613-3 du Code de la Construction et de l’Habitation :

Art. L. 613-3. Nonobstant toute décision d’expulsion passée en force de chose jugée et malgré l’expiration des délais accordés en vertu des articles précédents, il doit être sursis à toute mesure d’expulsion non exécutée à la date du (L. n° 90-449 du 31 mai 1990, art. 21) « 1er novembre » de chaque année jusqu’au 15 mars de l’année suivante, à moins que le relogement des intéressés soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille.

(L. n° 91-650 du 9 juill. 1991, art. 64) « Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables lorsque les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait ou lorsque ceux-ci sont situés dans un immeuble ayant fait l’objet d’un arrêté de péril ».

UN ARTICLE DE LOI QU’IL PEUT ÊTRE UTILE D’AVOIR SOUS LA MAIN LE JOUR OÙ L’HUISSIER VIENT VOUS REMETTRE LE COMMANDEMENT DE QUITTER LES LIEUX :

Article 62 de la Loi 91-650 du 09 juillet 1991 (Code de procédure civile) :

« Si l’expulsion porte sur un local affecté à l’habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu, sans préjudice des dispositions des articles L. 613-1 à L. 613-5 du Code de la construction et de l’habitation, qu’à l’expiration d’un délai de deux mois qui suit le commandement. Toutefois, par décision spéciale et motivée, le Juge peut, notamment lorsque les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait, réduire ou supprimer ce délai.

Lorsque l’expulsion aurait pour la personne concernée des conséquences d’une exceptionnelle dureté, notamment du fait de la période de l’année considérée ou des circonstances atmosphériques, le délai peut être prorogé par le Juge pour une durée n’excédant pas trois mois.

Dès le commandement d’avoir à libérer les locaux, l’Huissier de Justice chargé de l’exécution de la mesure d’expulsion doit en informer le représentant de l’Etat dans le département en vue de la prise en compte de la demande de relogement de l’occupant dans le cadre du plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées prévu par la Loi N° 90-449 du 31 mai 1990, visant à la mise en œuvre du droit au logement. »

EXEMPLE DE PANNEAU QU’IL PEUT ÊTRE UTILE D’AFFICHER SUR LA PORTE D’ENTREE DE FAÇON À CE QUE LES FLICS NE SE PERMETTENT PAS COMPLETEMENT N’IMPORTE QUOI QUAND ILS PASSENT (NOTAMMENT LA PREMIERE FOIS) :

Ce lieu est notre domicile ainsi que notre résidence principale. En tant que résident-e-s de l’immeuble, nous sommes protégé-e-s par la loi.

Agir hors du cadre procédural, c’est heurter un des grands principes du droit français, l’inviolabilité du domicile.

Selon l’article 432-8 du code pénal, « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée de mission auprès du service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, de s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui contre le gré de celui-ci hors les cas prévus par la loi est puni de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 F d’amende. »

Les Résident-e-s.

IL NE PEUT Y AVOIR D’EXPULSION SANS DECISION EXECUTOIRE DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE

EXEMPLE DE TEXTE QU’IL PEUT ÊTRE UTILE D’AFFICHER CHEZ SOI EN PREVISION DE CERTAINES SITUATIONS :

AVIS AUX OCCUPANT-E-S ET PERSONNES DE PASSAGE : CE QU’IL FAUT SAVOIR SI LA POLICE OU UN HUISSIER POINTE LE BOUT DE SON NEZ !

IL NE PEUT Y AVOIR D’EXPULSION SANS DECISION EXECUTOIRE DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE, donc si les flics tentent quoi que ce soit sans décision du T.G.I., leur expliquer que des gens vivent ici, que c’est leur domicile et leur résidence principale, qu’en tant que résident-e-s nous sommes protégé-e-s par la loi, leur signaler qu’ils agissent hors du cadre procédural et que selon l’article 432-8 du code de pénal « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée de mission auprès du service public, agissant dans l’exercice ou à l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, de s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui contre le gré de celui-ci hors les cas prévus par la loi est puni de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 F d’amende. »

La notion de lieu de domicile implique qu’on ait un lit et une cuisinière : ne pas hésiter à préciser que c’est le cas.

SURTOUT NE PAS LES LAISSER RENTRER !

Bien sûr, il s’agit lors de toute discussion avec la police de ne pas s’énerver, de rester calme (quelque chose comme rester très diplomate avec les forces de l’ordre) sans flipper ni se laisser impressionner : c’est notre domicile et nous sommes protégé-e-s par la loi, nous sommes dans notre droit !

Si possible, relever l’identité de l’OPJ et des flics qui l’accompagnent.

Préciser qu’il n’y a pas eu effraction, la porte était ouverte, etc.

La constatation d’occupation, ainsi que la remise de l’acte d’expulsion en main propre DOIT ÊTRE EFFECTUEE PAR UN HUISSIER, pas un de ses employés. Donc si quelqu’un se présente comme huissier, lui demander de le prouver, s’il ne le peut pas, le baratiner pour que ce soit l’huissier en personne qui vienne. Si l’huissier vient, il faut absolument lui donner les noms des occupant-e-s afin qu’il ne puisse pas déclencher une procédure d’urgence qui nous ferait expulser en un temps record sans que nous ayons droit à une audience au T.G.I.

L’expulsion ne peut avoir lieu un dimanche ou un jour férié et ne peut intervenir qu’entre 6 heures et 21 heures.

Collectif

P.S.

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