Belleville

A force de faire des billets sur les musées de rois collectionneurs, sur les châteaux des rois bâtisseurs, j’oublie de dire combien j’aime les petites maisons et les ruelles pauvres qui escaladent  les collines de Belleville

Belleville au début du 19e siècle était un village campagnard de 2500 personnes qui devait sa prospérité à la construction du mur des fermiers généraux. Comme on sait ce mur séparait Paris où on devait payer l’octroi et l’autre côté de l’enceinte où le vin était moins cher et où les guinguettes s’étaient multipliées. Vers 1830, on célébrait à Belleville  la descente de la Courtille. Dans la nuit du Mardi gras les danseurs de l’Opéra, des Variétés, les étudiants, les fils de banquier, etc., montaient avec les débardeurs de la barrière de Belleville. Après avoir bien bu, bien mangé, on dansait avec les grisettes, puis on s’aimait jusqu’au matin. A 6 heures, tout le monde se précipitait en costumes de fête et descendait en fiacres, cabriolets, chars-à-bancs, vers les boulevards.

A dix heures du matin tout devait être rentré dans l’ordre.

Si une grisette se retrouvait enceinte après la fête tant pis pour elle ! Il n’y aurait pas de prince pour l’épouser. D’ailleurs le héros de la descente était surnommé Milord l’Arsouille, symbole du riche encanaillé.

Gustave Doré. La Descente de la Courtille (Wikipédia)

Je me souviens du roman de Giono, Noé, et de son cireur de chaussures qui admire Milord l’Arsouille pour son mélange de mépris et de prodigalité, un homme capable selon lui « de distribuer les bonnes guinées de la Banque d’Angleterre en guise prospectus » (1974 : 661)

A la fin du 19e siècle, les ouvriers chassés par les démolitions d’Haussmann s’étaient relogés en partie à Belleville, ce qui avait transformé le village en quartier populaire. Le bâti n’était pas de bonne qualité. On avait souvent construit dans d’anciens vignobles disposés suivant  la pente du terrain avec les étroits chemins qui les desservaient. Bicoques branlantes, échoppes d’artisans et bistrots auvergnats sont le symbole de ce vieux Belleville. Mais dès les années 70, le cadre populaire avait peu à peu disparu.

Aujourd’hui, les dernières voies privées sont sauvegardées comme des trésors. Un passage rue des Pyrénées serpente entre des ateliers d’artistes, et des jardinets exquis cultivés en commun par les habitants. Les portails et les volets sont colorés. Même en décembre, on voit s’épanouir la dernière rose, les derniers soucis… Un jardinier déplante des tulipes. « Vous n’avez rien vu, Revenez au printemps ! ». Vous pourrez faire le tour de nos jardins. Regardez la carte. Il y en a dans tout le 20ème ».

En chemin, on croise un regard, petite construction qui servait à vérifier la qualité de l’eau ainsi que la bonne marche des conduits. Je recopie ce que j’ai trouvé sur le site d’ »histoires de Paris » sur les regards.

Le Regard Saint-Martin. 42 rue des Cascades et son inscription latine

Pour récupérer l’eau de Belleville qui alimentait l’Est de Paris, on utilisait la structure des couches de la colline. En effet, une première couche de sable laissait infiltrer l’eau, qui ensuite rencontrait une pierre imperméable. Là, avec des pierrées et des galeries souterraines, on la récupérait. Aussi, pour contrôler les installations, des regards furent édifiées à différents endroits de la colline. Par le passé, la colline de Belleville comptait une quarantaine de regards. Ils étaient situés en haut du tracé mais aussi tout le long du passage des galeries. Ce système fut utilisé tout au long du Moyen Age et ensuite. Il fut abandonné progressivement entre les 18e et 19 siècle. Celui de la rue des Cascades comporte une inscription en latin, au-dessus de la porte dont voici la traduction :

« Fontaine coulant d’habitude pour l’usage commun des religieux de Saint-Martin de Cluny et de leurs voisins les Templiers. Après avoir été trente ans négligée et pour ainsi dire méprisée, elle a été recherchée et revendiquée à frais communs et avec grand soin, depuis la source et les petits filets d’eau. Maintenant enfin, insistant avec force et avec l’animation que donne une telle entreprise, nous l’avons remise à neuf et ramenée plus qu’à sa première élégance et splendeur. Reprenant son ancienne destination, elle a recommencé à couler l’an du Seigneur 1633, non moins à notre honneur que pour notre commodité. Les mêmes travaux et dépenses ont été recommencés en commun, comme il est dit ci-dessus, l’an du Seigneur 1722 »

Je rêve d’ouvrir la porte de cette maison des eaux… Mais on avance, on passe les ruelles en escaliers qui ont pris la place des rigoles orientées selon la pente, du temps où on cultivait du raisin par ici.

Certaines rues sont vouées au Street art.

Mosko : Tigre aux papillons ; 31 rue du Retrait

Il n’est pas rare de rencontrer des artistes en train d’installer une œuvre qui sera à son tour recouverte par une nouvelle fresque.

Nous voici en haut de Belleville. A nos pieds, la brume du soir transforme le bas de la ville en matière fantomatique. C’est seulement sur les façades hautes que luisent encore des plaques de lumière qui découpent des étagements de cheminées.

Cette promenade est à faire un jour de beau temps. Vers la fin décembre, lorsqu’ on arrive à 17h au sommet du parc de Belleville, la tour Eiffel se détache sur les couleurs orange du soleil couchant. Ce soir-là le jardin était déjà fermé. Deux jeunes filles en costume sombre regardaient la nuit arriver, les oreilles d’un jeune homme avaient la teinte corail du crépuscule. Les spectateurs ne se lassaient pas d’admirer le dernier rayonnement du jour dans l’air vif de décembre. Ils étaient magnifiques.

J’aime cette belle jeunesse qui se moque du monde cruel et du manque d’argent, qui vit de petits boulots et d’intermittence ! Elle vient jouir gratuitement de la terrasse la plus élevée de Paris avant de se réfugier dans « Mon Cœur Belleville », ou aux « Bols d’Antoine » dès qu’elle a trois sous.  Les anciens habitants se contentaient des p’tits noirs ou du vin rouge dans des bougnats. Les nouveaux commandent des boissons au gingembre et au citron, des tartes « au citron déstructuré » au basilic…  Ils discutent passionnément d’écologie et de Me Too comme ceux d’avant discutaient de marxisme, des surréalistes, d’antiracisme et du mouvement de libération de la femme.

Quelques lectures

Braquet, Maximn « La Descente de la Courtille », https://www.des-gens.net/La-descente-de-la-Courtille

Doré, Gustave, 1860, La Descente de la Courtille https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Descente_de_la_Courtille,_vue_par_Gustave_Dor%C3%A9,_1860.jpg

Giono, Jean, ([1962]1974), « Noé », Œuvres, Paris Gallimard, Pléiade.

https://www.histoires-de-paris.fr/regard-saint-martin/

https://somanyparis.com/2013/02/04/street-art-le-safari-urbain-de-mosko-et-associes/

5 réflexions sur “Belleville

    • Est-ce que tu veux parler de la descente de la Courtille ? J’en ai d’abord entendu parler par Eric Hazan dans son livre passionnant « L’Invention de Paris » (p. 171 dans mon édition de Poche). Je dois dire qu’il cite longuement ceux qui réprouvent l’abrutissement et l’avilissement du peuple lors de la folie du carnaval.
      Puisqu’on va changer d’année dans quelques jours, je te souhaite une belle année . Comme nous ne pouvons pas changer l’ordre du monde qu’il y ait au moins de l’amitié, des rencontres et le plaisir de la beauté du monde.

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