De Staël, un itinéraire

J’avais entendu par hasard, sur France Culture, Stéphane Corréard critiquer sévèrement la grande exposition de Staël du Musée d’Art Moderne de Paris.  Il trouvait l’exposition trop copieuse (Nous qui n’avons pas accès aux collections privées, nous avons été enchantés  de découvrir des dizaines d’œuvres jamais exposées). Il trouvait qu’elle faisait trop de place au mythe romantique du génie fou d’amour qui se suicide à 41 ans pour l’amour d’une femme (Bien sûr que notre côté Paris Match s’émeut devant les photos de ce grand type au visage si beau, si inquiet, qui va mourir bientôt, mais enfin l’exposition nous invite à regarder l’aventure de la peinture, à nous concentrer sur l’angoisse d’être peintre davantage que sur l’homme foudroyé par l’amour. On peut mourir aussi d’être peintre.)

En fait, Stéphane Corréard n’aime pas cet art qui lui paraît trop sage, trop « qualité française ». Il le met en parallèle avec la peinture américaine de Rothko, ou Pollock qui, dans les mêmes années 50, incarnaient la modernité. (Nous avons aimé au contraire passionnément l’effort du peintre pour trouver son chemin au milieu de l’abstraction et du cubisme, sa façon de tracer son chemin, comme on ouvre une voie à travers une forêt lorsqu’il faut décider d’avancer à chaque carrefour, se perdre ou se trouver, jusqu’à inventer le réalisme abstrait qui, pour nous, est le style même de de Staël).

Que faire quand on ne se satisfait pas des formules du temps ? De Staël était pourtant un imitateur doué.

De Staël. Composition 1951

Des quadrilatères dans une matière un peu grumeleuse composent un grand tableau qui va du goudron à la Soulages, à des marrons, des gris sombres ou clairs, en passant par des blancs délicats, une touche de rose de ci, de là… entre les  carreaux, des joints cimentent la structure.

Mais déjà les mosaïques se colorent et la figuration se fait plus évidente. Des fleurs, dit le titre… un grand bouquet de couleurs saturées qui n’a même pas besoin d’un vase pour trouver son équilibre.

Fleurs

En 1952, De Staël sort de l’atelier, renoue avec le paysage (on ne saurait faire plus ringard !). La salle est pleine de petits formats sur carton pris sur le vif où le peintre apprend à peindre avec une économie de moyens remarquable. Il est le maître des gris : gris du presque noir de l’orage, au presque blanc de la plaine et gris teinté de beige comme reflétant la grande plaine..

De temps à autres, le paysage devient métaphysique comme dans le tableau de Sceaux où une déchirure verticale bleue entrebâille la matière minérale du parc.

Parc de Sceaux 1952

En 1953, 1954, avec la découverte du Sud, finis les gris délicieux. De Staël s’empare des couleurs violentes. Par exemple la petite toile qui représente Agrigente repose sur quatre couleurs sans ombres : le violet pour le ciel ; le jaune pour la terre vers l’horizon ; le rose pour le chemin qui va à la rencontre d’une tache rouge… Il faut bien partir à la rencontre de quelque chose… un triangle du même rouge orangé longe le côté droit. De Staël a gardé les lignes simplifiées des paysages de 1952, mais a changé complètement sa texture : sa peinture devient liquide, la profondeur et le mouvement viennent des triangles qui convergent et donnent à la toile son impression de mouvement.

Agrigente

Des dessins (pas si loin des dessins d’architecte) montrent sa façon de travailler « sur le motif » en dépouillant le paysage de ses détails ;

Encore des aplats pour le beau paysage nocturne de la Seine. Une nappe d’eau grise glisse sous le pont des Arts. Aux trois-quarts de la toile, la ligne bleue du pont, puis la masse noire des bâtiments. Des tours et des clochers blancs transpercent le ciel. Comme ils sont blancs ! Ceux qui ont mon âge se souviennent de ce Paris noir d’avant les énormes bateaux-mouches, quand on restait sur les ponts pour voir couler la Seine sans voir grand chose sinon quelques lueurs au loin.

Le fleuve et l’ombre

… Le nu bleu extraordinaire est un mixte moitié femme, moitié paysage, moitié géométrique, moitié extatique, perdu dans le ciel rouge.

Puis un nouveau changement de texture avec les natures mortes peintes au pinceau, pommes, flacons, et ces feuilles de laitue légères tracées d’un seul geste… Facile, peut-être, cette salade posée sur un fond noir et son récipient blanc presque translucide, mais je me dis qu’il faut du courage pour préférer d’aller esseulé à la rencontre des objets du quotidien, plutôt que de se fondre dans le mouvement collectif qui emporte la peinture moderne.

Retour aux gris, aux bandes horizontales qui font le fond du tableau. Dans la toile des mouettes, l’horizon est très bleu, les mouettes, malgré leurs ailes lourdes s’envolent vers cet au-delà.

Et c’est déjà la fin. Le tableau rouge intitulé Le Concert n’a pas pu venir. Le Fort d’Antibes restera le dernier tableau. On y retrouve les trois bandes parallèles, le gris sombre du premier plan, les vagues claires du milieu, le ciel bleu-noir du haut. Pas de trace humaine, si ce n’est cet édifice rectangulaire fiché au milieu de la toile. La solitude peut-être.

4 réflexions sur “De Staël, un itinéraire

  1. C’est la Méditerranée qui a été pour Nicolas de Stäel la révélation ultime de la couleur » en menant l’éclat jusqu’au bout »
    Dans les vues d’Agrigente, pour donner a voir la lumière, son opacité incandescente, la couleur se cristallise en de grands blocs fragmentés.
    Emmurés dans la lumière les paysages prennent alors la solidité de la pierre, deviennent à leur tour ruines dévastées par le soleil.
    Le « cassé bleu comme dit René Char  » c’est absolument merveilleux, au bout d’un moment la mer est rouge, le ciel jaune et les sables violets… »

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    • Cet automne, nous avons eu deux maîtres de lumière. Van Gogh, de Staël (dont le soleil jaune rappelle énormément les soleils d’Arles). Mais chez de Staël cette lumière aveuglante devient funèbre. .Je crois que c’est dans cette exposition que j’ai lu qu’il regardait le paysage jusqu’à voir la mer rouge et le sable violet.

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