Le Palais de béton situé au 1 rue Berbier-du-Mets a été construit en 1936 par Auguste Perret sur les anciens jardins de la Manufacture des Gobelins pour abriter les réserves du Mobilier national et les ateliers de restauration.

Il est accessible ce jour dédié au patrimoine. Un peu d’attente, sur le tapis rouge qu’a foulé un jour la Reine d’Angleterre (explique la notice) ; le temps d’admirer les décors de la façade de bêton et on pénètre dans la réserve, un sous-sol gris assez sinistre où est stockée une petite partie des 130.000 biens conservés par le Mobilier.
La réserve
On déambule au milieu des commodes, des chaises, (y compris une chaise haute d’enfant), des tables et des lustres, qui ont l’air d’avoir été oubliés là, la plupart protégés par des housses de plastic, dans une atmosphère qui paraît grisâtre, peut-être moins à cause de la poussière que parce que le ciment des murs a vieilli.

Quoi ! C’est ça le mobilier de France, ces entassements de chaises qu’on mettrait bien dans la salle à manger d’un hôtel de sous-préfecture, ces innombrables commodes Louis-Philippe aux ferronneries de bronze, dont on ne voudrait pour rien au monde pour meubler sa chambre à coucher !

En fait, il y a aussi des trésors et parfois on prend le temps de regarder un meuble différent, un Bonheur-du-Jour du 18ème siècle, une console à l’Egyptienne

En suivant la file des visiteurs, on arrive aux meubles modernes. J’avais oublié l’ameublement ludique et coloré des années 70. En voici quelques échantillons avec les créations de l’Atelier de Recherche et de Création, comme ce salon de Pierre Paulin où les sièges épousent les formes d’un corps qui s’abandonne…

… ou les fauteuils violets destinés à une Maison de la culture, avec les mêmes formes souples. Je m’avise que c’est l’abandon du modèle de maintien que Bourdieu décrivait pour les classes dirigeantes. L’ordre social expliquait-il est un ordre des corps, et on est classé par sa posture aussi sûrement que par ses manières de table et sa voix. Les bourgeois voulaient peut-être encore dompter le corps de leurs enfants, mais ils étaient visiblement convertis à la posture avachie !
Il doit y avoir des sociologues qui ont parlé de révolution anthropologique en regardant les meubles des années 60-70.

Les meubles de Pierre Paulin plaisaient aux Pompidou, qui lui avaient fait meubler un des salons de l’Elysée. Ils déplaisaient à Giscard d’Estaing. Qu’importe ! On peut acheter un confortable canapé Elysée réédité par Roset et en meubler nos petits appartements pour s’y vautrer confortablement.

Avec Mitterrand, le designer rentre en grâce. Il a créé pour lui un fauteuil faussement simple. Un joli cannage, du bois précieux, mais aussi un piétement futuriste à 5 pieds en forme de pince.

Le parcours à travers plusieurs siècles d’ameublement s’achève avec le grand tapis de Notre-Dame exposé pendant les travaux de restauration de la cathédrale.
Les ateliers
C’est à présent le tour des ateliers de restauration, où des jeunes filles sages penchées sur des tapisseries recommencent gentiment les mêmes explications sur leur métier.


Puis deux étages plus haut les immenses métiers à tisser sur lesquels les artisans confirmés préparent des commandes publiques (ou privées).

Je comprends mieux l’importance des commandes d’Etat pour la survie des métiers d’art. Quand la presse dénonce le scandale de la « rénovation » de la salle des fêtes de l’Elysée par une Brigitte Macron-Marie-Antoinette, sait-elle qu’il s’agit de faire travailler les agents du Mobilier National et des PME françaises ?
La salle des fêtes existante, construite en 1889, avec des décors dorés, des rideaux et des moquettes rouges et de grands lustres de style Louis XV était complètement démodée. Et les tapisseries avaient grand besoin d’être restaurées. À la place, expliquait Brigitte Macron on pourrait exposer des œuvres d’art….
« Tout cela est splendide, mais a un coût : 500 000 euros. Le journal Le Monde révélait justement que la moquette à elle seule revenait à 300 000 euros. Il s’agit d’une pièce de deux tonnes de laine, teinte en Belgique et tissée à la Manufacture royale du parc d’Aubusson. La rénovation sera en grande partie financée par le budget du Service d’aménagement et de conservation des résidences présidentielles, chargé du fonctionnement courant de l’Élysée et de l’entretien des bâtiments de la présidence. Une autre cagnotte sera utilisée, celle abondée par les ventes de produits dérivés de l’Élysée, une boutique lancée récemment et qui a déjà permis d’engranger près de 90 000 euros de bénéfices, selon Le Figaro. Le site propose tee-shirts, mugs, médailles, montres, boules à neige et même dernièrement une peluche du chien Némo, le labrador présidentiel… » (Le Point)
Le service de table commandé à la Manufacture de Sèvres pour 50 000 euros relève de la même politique : l’État soutient cette entreprise qui ne subsisterait pas sans son aide. Que veut-on ? Que les objets de prestige qui sont une des vitrines de la France soient fabriqués en Chine ou que les techniques des arts de la table restent enseignées dans notre pays?
De fait, L’Etat appauvri rêve que les agents du Mobilier National développent une politique de « ressources propres ». (C’est ce qui se passe avec la recherche dans les universités. Les dotations des équipes de recherche ont drastiquement baissé et les laboratoires passent beaucoup de temps à répondre à d’incertains appels d’offre. Le résultat est mitigé. On a peut-être remis au travail, des chercheurs endormis, mais les projets sont élaborés pour plaire à des évaluateurs plutôt qu’en fonction de leur originalité. Les résultats sont souvent médiocres et les emplois contractuels se multiplient en fonction des contrats, précarisant l’ensemble des jeunes chercheurs).
Tout laisse à penser que les réformes du Mobilier national aboutiraient là aussi à diminuer le nombre des emplois statutaires. Est-ce que la République ne peut plus payer les fonctionnaires qui assurent la transmission des savoir faire de l’artisanat d’art ?