Titulaire d’un Master-Pro, T. était le premier de sa promotion. Pendant des semaines, il a envoyé des CV sans même obtenir un accusé de réception. A Pôle Emploi, on le tançait : « Monsieur T., rechercher une situation est un métier à temps plein. Vous n’avez pas rempli votre quota de candidatures ! ». Les conseillers connaissaient mal son secteur et ne savaient pas quoi lui proposer, mais ils réclamaient des preuves de recherche active. Leurs critiques n’étaient pas complètement inutiles car T. avait souvent envie d’arrêter ces envois en aveugle (des candidatures spontanées, comme il avait appris à dire). Et pourtant, il passait ses journées en employé modèle de l’entreprise « Recherche d’emploi », levé dès 7h 30, adaptant ses CV aux postes offerts sur les sites dédiés, corrigeant vingt fois une phrase d’une lettre de motivation, se demandant s’il valait mieux écrire « Ma formation m’a permis d’acquérir les compétences que vous recherchez »… ou plutôt insister sur son engagement dans le domaine « Passionné par la biologie, un travail dans votre entreprise me permettrait… » ? Comme sa tante disait que l’employeur n’était pas à son service et qu’il fallait peut-être démarrer par l’éloge de l’entreprise, il pouvait peut-être essayer « votre entreprise participe à la protection de l’environnement ce qui m’amène à prendre contact »… Tout ça n’avait guère de sens. L’après-midi, il révisait ses cours et les prolongeait dans l’espoir qu’un jour ils seraient utiles. Pour remplir le vide des journées, il s’imposait un entrainement sportif intensif. Pompes, barres parallèles, comme remèdes à la maladie du chômage.
Au premier entretien, la directrice des ressources humaines lui avait reproché son manque d’expérience, tout en offrant un salaire de débutant !
Les conseils de la tante qui l’hébergeait ne faisaient que déprimer T. davantage, car elle l’invitait à dissimuler le mieux qu’il pourrait une tendance au scrupule où un recruteur pourrait bien voir de la rigidité. Au lieu d’expliquer ses échecs par la conjoncture, elle semblait croire que des défauts de caractère empêcheraient son recrutement… Il aurait fait n’importe quoi pour que les amis de cette même tante ne lui demandent pas « ce qu’il faisait dans la vie », pour qu’ils ne lui conseillent pas « d’être moins exigeant » : « Si tu ne trouves pas de boulot dans ta branche, élargis tes recherches ». Il demandait : « Et pour vous, ça s’est passé comment ? » On lui répondait « Oui, mais il n’y avait pas de crise ! ». D’autres affirmaient avec un grand rire : « Quand on veut, on peut ! » Il se sentait tout le temps jugé. Trop ceci, pas assez cela ! Au moins, l’irritation le protégeait un peu : « –Si c’est de mon caractère qu’il s’agit, je n’y peux rien. Je ne me changerai pas !», mais il se torturait à chercher le sens de ce qui lui arrivait.
Il dormait mal. Le jour était occupé, mais la nuit, les questions tournaient impitoyablement. Fallait-il chercher autre chose ? Un petit boulot ? Il pensait avoir choisi une voie raisonnable ; il avait sacrifié ses weekends pendant deux ans, travaillé sans arrêt. Et là, il ne comprenait rien à ce qui lui arrivait. Les heures se trainaient. Il rallumait, relisait un vieux cours. Ces nuits étaient vraiment trop longues.
Garder des liens avec le copain de promotion, parfois moins travailleur, qui venait d’être embauché devenait difficile. Il était heureux qu’il y en ait un qui soit tiré d’affaire, mais il se tourmentait en se demandant ce qui ne marchait pas chez lui. Bientôt, l’autre se faisait distant. Ou bien c’était lui. Mais de quoi auraient-ils parlé ? Déjà, le recruté avait à raconter des incidents de bureau et lui, rien. Il s’installait dans la maladie du sans-emploi.
Aujourd’hui, il a trouvé du travail. C’est un rescapé qui va se jeter dans son métier, faire des projets, vivre avec sa copine. Je me demande à quelle allure il oubliera les difficultés de sa génération qui peine malgré ses beaux diplômes à bac + 5.
Encore a-t-il été embauché au bout de six mois ? Combien ont des diplômes, qui à la fin de leurs études ont pris un peu de temps, pour se demander s’ils n’étaient pas plutôt des poètes, des professeurs de tangos, des voyageurs… avant d’envoyer inutilement leurs CV. Deux ans pour réfléchir cela suffit pour qu’aucun patron ne prenne la peine d’un entretien.
Vous avez si bien décrit cet itinéraire d’espoirs, de désillusions, de souffrances…Vous avez du style, comme on disait autrefois. Pourquoi ne pas en faire un scenario? Mais, quel travail a trouvé votre héros, et comment? Les lecteurs/lecrices aimeraient savoir.
Mariagrazia
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…Et je n’ai pas parlé des « stages » quasi gratuits intégrés à la formation qui permettent à certaines de disposer d’une main d’oeuvre gratuite et docile. Oui, notre pays maltraite sa jeunesse (peut-être parce que le personnel politique est vieux !) Quel contraste avec la Révolution Française où les députés et les généraux étaient souvent des gamins (Robespierre meurt à 36 ans, Lazare Carnot a quarante ans quand il crée et dirige les armées de la République qui tiennent tête à la coalition…
Sonia
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