Qu’on vienne de la gare de Lyon, ou du jardin des Plantes, on le repère de loin, à sa courbe élégante et aux couleurs irisées de ses murs. C’est le nouveau siège du groupe de presse réuni autour du Monde (le Monde, Télérama, le Nouvel Obs, le Courrier International, La Vie, le Huffington Post).

En 2014, la Société éditrice du Monde a acquis une parcelle composée de trois dalles situées au-dessus d’une partie des voies de la gare d’Austerlitz. La dalle centrale n’étant pas constructible, les architectes devaient rassembler les titres du groupe Le Monde sur un site unique tout en respectant cette contrainte. Kjetil Thorsen, de l’agence norvégienne Snohetta, qui a gagné le concours a proposé un immeuble pont, reposant sur deux piles, connectées entre elles à partir du deuxième étage.

Je ne suis pas capable d’apprécier la nouveauté du dessin et des solutions techniques. Mais j’aime ces façades courbes qui glissent dans le ciel et font immédiatement apparaître comme lourdes celles qui se construisent sur un rectangle.

Les façades, écrit l’agence d’architecture, sont habillées d’environ 20 000 panneaux de verre de différents niveaux de transparence. Ils sont supposés évoquer les pixels informatiques. Pour le profane, ces briques de verre permettent de jouer avec la lumière sans jamais paraître aveuglantes contrairement aux façades en verre d’il y a cinquante ans avec leurs reflets crus. De loin, elles créent une impression vibrante ; de près, elles séduisent par leurs couleurs changeantes et leur brillance un peu estompée.
Elles sont mauves et grises, pâles sous les nuages

Les blocs les plus épais bleuissent à l’ombre :

Et quand un rayon de soleil vient illuminer le ciel, du vert clair se propage au galop sur les briques de verre.

Je me demande à quoi ressemble l’intérieur. Les architectes se sont-ils entêtés à imposer l’open space (les bureaux ouverts qui m’auraient fait souffrir si j’avais dû subir ces aménagements). Ont-ils réintroduit des bureaux fermés permettant de s’isoler ? Je vais essayer de demander à visiter les locaux.
L’inauguration du site était prévue pour novembre 2019, mais je n’ai pas vu d’articles, y compris dans le Monde pour célébrer la fin des travaux. Au-delà du retard habituel pour de tels chantiers, j’ai lu qu’à la fin février des travailleurs ont occupé les locaux, avec leur syndicat CNT-Solidarité ouvrière. La société de nettoyage Golden Clean, sous-traitante d’Eiffage qui participait à la construction du bâtiment, les employait sans papiers pour des salaires de misère. Le 11 mars l’occupation se poursuivait alors que le journal avait titré le 28 : « Les sans-papiers sur le chantier du futur siège du « Monde » obtiennent gain de cause ». Le 17mars le confinement a eu raison du maintien sur place des occupants. Cela pose une fois de plus le problème du besoin de contrôle et de la responsabilité du maître d’ouvrage quand un sous-traitant fonctionne dans l’illégalité.
… ce qui n’empêche pas l’immeuble d’être un très bel exemple de cette architecture moderne qui remodèle le 13e arrondissement. Après l’immeuble-phare et rien que dans la rue Mendès France, on a une vue sur la tour qui était jadis un squat géant de street-Art. C’est à présent un immeuble dont les balcons se dorent en fonction de la lumière, (ce ne sont pas les harmonies « distinguées du Monde, mais un éclat doré qui la ramène un peu).

Au-delà commence l’avenue de France. J’aime ce quartier Paris Rive Gauche qui comporte aussi la bibliothèque François-Mitterrand, la Halle Freyssinet les nouvelles universités et le beau travail d’urbaniste qui a su fabriquer un quartier avec ces monuments et ces bâtiments.
Nous traversons le pont de Simone de Beauvoir pour Bercy. A peine parvenus au café Starbucks une bourrasque accompagnée de pluie vient clore la balade. « Un dernier café avant le renfermement annoncé pour cause de Covid et le retour à la vie figée. »
L’expérience de la vie avec précaution nous atteint quoi qu’on en dise
Vie figée ? Il ne faut pas exagérer : nous pouvons sortir ; le va-et-vient quotidien est intact, descendre au supermarché où nous avons oublié d’acheter le sel, aller au marché, bavarder avec les voisins ? Nous poursuivons nos journées ordinaires, lire, écrire un peu, préparer à manger, marcher dans la ville. Il y a seulement cette impression de vie plus étriquée, sans que je distingue clairement ce qui vient de l’âge et ce qui est dû aux précautions qu’on nous demande de prendre. Nous invitons nos amis par deux. Nous nous saluons du coude, du pied, à l’orientale. Nous évitons les apéritifs avec des ramequins collectifs où les doigts peuvent contaminer la nourriture. Nous nous déplaçons sans insouciance, en surveillant du coin de l’œil les joggeurs dispensés de masque.
L’atmosphère politique est lourde. Toute initiative du gouvernement pour ralentir la progression de l’épidémie est aussitôt dénoncée. Les patrons de bar ne veulent pas fermer, ce qu’on comprend. Leurs clients sont en colère « Pourquoi faudrait-il prendre des précautions dans les cafés et continuer à prendre le métro et à se rendre au travail ? » Les chômeurs et les jeunes gens excédés nous donnent vaguement mauvaise conscience. « Allez les vieux. Il est temps de s’enfermer ».
D’ici, quand on vit dans une petite ville de province, c’est de loin que nous parvient la rumeur mediato- politique autour de la pandemie de Covid.
Hormis les marchés, pas de masques à l’extérieur, pas de zombies dans les rues.
Le monde n’a pas vraiment changé .
Les balades dans une montagne qui offre toujours ses magnifiques paysages préservés et maintenant, comme tous les ans à cette même époque, le brame des cerfs dans les forêts.
Non vraiment, la vie reste encore ouverte…à la mesure des espaces qui s’ouvrent au regard.
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Notre mélancolie tenait peut-être aussi au temps d’automne parisien. quand le vent déchire les nuages et que la rue se met à briller, ça va tout de suite mieux. La beauté de Paris tient aussi au rayonnement du jour… Mais le brame du cerf, non ! Nous ne l’entendons pas.
Sonia
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