Novembre 2020 confiné

Je reçois les plaintes de mes amis confinés :

– Où est le temps où je courais dans la rue, poussée par le vent, pour aller plus vite retrouver mon amoureux ? Où est le temps, privé d’espace ?

– Étant un mammifère à sang chaud, le contact avec les autres me manque ! Je suis malade d’éloignement.

– Il me reste des mondes de papier ; des héros de télé. Sans la conversation autour d’une tasse de café, c’est un peu vain.

– Je ne veux pas opposer le plaisir de marcher dans la ville et le plaisir de lire, mais quand même je me sens condamnée à la station assise, coincée dans mon bureau, devant le livre ouvert que je n’ai aucun plaisir à lire.

– Ta voix au téléphone, elle me fait encore davantage sentir ton absence.

– En fait de promenade, c’est dans mon passé que je me promène…

– Le deuxième confinement est plus triste parce que j’ai l’impression qu’il sera suivi d’un troisième, une fois les fêtes passées. Est-ce que cette vie dont on a retiré les plaisirs cessera un jour ?

Quand le téléphone se tait, je regarde par la fenêtre, les toits gris. Rien que les toits gris d’en face (la couleur de rien serait-elle grise ?)

Il faut sortir sur le balcon ; les arbres que j’ai vu s’épanouir au printemps sont toujours là, mais à présent, ils perdent leurs feuilles.

Pour me consoler je me dis qu’il vaut mieux observer intensément un petit bout de la ville que de courir partout sans voir ce que l’on voit. Il suffit d’attendre. Il suffit de ces nuages très noirs au-dessus de nos têtes et d’un ciel qui s’embrase avant la nuit pour que la beauté s’invite chez moi.

Le confinement paraît peu de choses à la privilégiée que je suis (un compagnon, une retraite, un appartement qui nous appartient…) à côté des évènements récents. Le pauvre Samuel Paty vient de mourir d’une mort atroce parce qu’il avait montré des caricatures sur Mahomet lors d’un cours sur la laïcité. Quelques jours plus tard, trois personnes étaient poignardées parce qu’elles étaient dans une église.

Le 24 octobre on pouvait lire sur le JDD une tribune signée Malka, Badinter,Kintzler en l’honneur du professeur : « On a tué un homme. De la manière la plus barbare et la plus expressive qui soit, dans le rituel codifié d’exécution religieuse de l’islam radical. On a assassiné un homme pour avoir accompli sa tâche avec modestie et sans frémir. On a exécuté un professeur qui remplissait la mission la plus noble, celle de contribuer à l’émancipation et à la construction de la conscience des jeunes élèves dont il avait la charge pédagogique et morale. On s’est attaqué au creuset de la République, son école. »

Rares sont les textes qui comme celui-ci me paraissent à la hauteur de mon émotion. La plupart me suffoquent.

La peur de ce qui nous attend demain, l’humiliation devant notre incapacité à empêcher les attentats, le sentiment qu’une fraction non négligeable de la population semble approuver cette mise à mort, suscitent des torrents de polémiques furieuses. On traite d’abjects fascistes ceux qui s’alarment de l’efficacité de la propagande islamiste… La frontière entre le refus d’un islam fasciste et le respect des croyances de tous semble impossible à poser. Le dégoût m’envahit, me donne envie de ne plus lire ces diatribes furieuses, ces concentrations de haine. Pour pouvoir continuer à vivre dans un pays protégé par la loi, il faudrait sans doute davantage honnêteté intellectuelle, et un peu de courage.

4 réflexions sur “Novembre 2020 confiné

  1. Bonjour Sonia,

    Quand j’étais confinée dans un plâtre qui me clouait au lit en attendant mieux -c’était en 1986..- et que j’avais eu la chance que les infirmières du service de la maison de rééducation où je me trouvais me placent à côté d’une fenêtre où je voyais la  route, la ville, la mer (c’était à Marseille), j’ai ‘joué’ à la Perec : ‘Tentative de description d’un lieu’.. Je crois me souvenir que lui a décrit la place Maubert de la même table, dans le même café, à la même heure une fois par mois (à vérifier).. Moi, j’ai décrit ce que je voyais tous les jours –  dans la matinée.. J’ai gardé un souvenir excité/excitant de cette ‘tentative’ (j’ai par contre malheureusement perdu le cahier où j’ai écrit), le souvenir, en particulier d’avoir découvert chaque jour quelque chose de nouveau, quelque chose qui m’avait échappé la veille..    

    Voilà un bon exercice pour les temps que nous vivons.. Je m’y remets dès aujourd’hui -même si la vue de mon balcon ne peut rivaliser avec la richesse de la vue d’alors qui cumulait des éléments fixes (les maisons, la mer, les collines de Marseilleveyre..) et des éléments mouvants (la route, les voitures qui y passaient, les gars qui changeaient les panneaux publicitaires.. tout ça assez loin..) mais on peut essayer..

    Je t’embrasse.

    y

    Une suggestion (très vénielle -si je peux dire..) : enlève le ‘le pauvre’ devant Samuel Paty

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    • Merci de rappeler qu’il y a beaucoup d’occasions de vivre enfermé dans une prison de pierre… et aussi beaucoup d’occasions de rompre la monotonie des jours. Je crois que ce qui nous fait souffrir c’est quand même surtout le sentiment qu’une fois passées les fêtes de Noël, nous retournerons derrière les vitres !
      Pourquoi le « pauvre Paty ». Ce n’est pas condescendant. C’est le piège qui s’est refermé sur ce professeur qui n’avait peut-être pas choisi de devenir un martyr de la laïcité !
      Sonia

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  2. Chère Sonia, quel pessimisme pour ce deuxième confinement !
    Le monde s’est à nouveau rétréci aux arbres de l’avenue.
    Je me rappelle le premier confinement avait été vécu comme une parenthèse un peu exceptionnelle entre musique sur le paillasson et feuilleton squatter.
    Maintenant les lendemains apparaissent incertains voire désespérants.
    Mais, je crois que ces sentiments sont ressentis avec beaucoup plus d’acuité en ville lorsque l’horizon se se borne aux immeubles d’en face.
    Ici à la campagne, la beauté de la nature s’offre tous les jours à portée de regard, de pas.
    Il y a les champs givrés au petit matin, les lumières dorées des arbres, l’horizon des hautes montagnes…
    Sonia, il faut rester optimiste, continuez à lire, à écrire.
    Il y aura encore de bons moments à partager.

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  3. Ce n’est pas tant le confinement que le monde qui nous entoure qui me rend pessimiste ! Les arbres sont beaux en automne et on peut voyager loin dans une mer de nuages, comme on sait depuis Baudelaire… Mais rien dans le monde social n’est très réjouissant. Tous les jours, on a l’impression que la raison recule (que ce soit la fragmentation du pays en communautés défiantes, les appels à la haine sur les réseaux sociaux, les « vérités alternatives », la conception « identitaire » du savoir, etc., etc !
    Et la crise économique qui s’annonce, terrible.

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