Jardin de statues. Les Tuileries

Je ne remarquais pas la plupart des sculptures dans les espaces publics. Il a fallu que des partisans de la cancel culture (culture de l’annulation) demandent l’enlèvement du monument de Colbert installé devant l’Assemblée Nationale pour que je réalise que ces effigies ne sont pas que décoratives, qu’elles ont une signification. Colbert a certainement préparé le Code noir qui a donné un cadre juridique à l’esclavage dans les Antilles, même si celui-ci a été promulgué en 1685 après sa mort. La demande d’annulation se comprend du point de vue de ceux qui vivent dans la mémoire douloureuse de l’esclavage (on n’imaginerait pas de statues de Pétain sur nos places publiques, quand bien même il a été célébré pour son rôle en 14-18, et les rues Pétain ont été rebaptisées).  Mais cette demande heurte la majorité des Français qui adhèrent à la vision positive de ce qu’a apporté l’Etat et qui resituent le Code Noir dans un contexte où l’esclavage était répandu bien au-delà de l’Europe.. En obtenant qu’on enlève la statue de Colbert, les militants effaceraient aussi la mémoire du grand homme d’Etat qui a unifié l’ensemble des lois du royaume. En mai 2020, des statues de Schoelcher l’abolitionniste de la IIe République ont été détruites par des militants martiniquais, furieux qu’on célèbre un blanc et non les luttes des esclaves martiniquais qui s’étaient à plusieurs reprises révoltés contre leur servitude. Posant des mémoires irréconciliables, ils veulent oublier le rôle que des blancs ont joué dans la fin de leur martyre… Là, mon incompréhension est totale. Il faut penser seulement en termes de race, d’origine et de sang. pour parler ainsi. Dans ma jeunesse, on attribuait ces réactions à l’extrême droite.

En tout cas, ces luttes mémorielles font que je regarde mieux ce que célèbrent les monuments qui peuplent les jardins publics.

En décembre, maintenant que les arbres commencent à perdre leurs feuilles, qu’il n’y a presque personne dans les allées, le parc des Tuileries est un jardin de statues. Il fait froid, nous irons voir les cavaliers de la Concorde et les Maillol du Carrousel une autre fois. Notre promenade nous mène seulement du bassin de l’Octogone au bassin rond à hauteur de la station de métro des Tuileries.

Je n’avais pas pris la mesure de la diversité des sculptures qui sont regroupées. Il y a celles qu’on attend dans un jardin à la française, des dieux et des nymphes… On trouve aussi les héros tourmentés de sculpteurs du 19e, les monuments aux hommes politiques, tous les courants de l’art du 20e siècle néoclassique, abstrait, ludique…

Diane à la biche

Cette Diane élégante est l’œuvre de Guillaume 1er Coustou (1677- 1746), frère cadet de Nicolas et père de Guillaume Coustou (fils), eux aussi sculpteurs de renom. Après un séjour (assez agité) à Rome où il finit par déserter l’Académie de France, Guillaume revient à Paris, est admis à l’Académie royale de peinture et de sculpture, et, comme son frère en deviendra par la suite directeur. Il travaille alors pour les commandes officielles de Louis XIV.

Dans les allées latérales, on trouve (malheureusement engrillagées pour des travaux d’hiver) de jolis moulages d’Apollon et de Daphné des deux frères (Guillaume1er pour Daphné et Nicolas pour Apollon). Je m’étonne que les jeunes féministes qui se réclament de me too ne demandent pas le déboulonnage de cette représentation d’une tentative de viol : Apollon touché par une flèche d’Eros tombe amoureux de Daphné. Celle-ci, touchée par une flèche de plomb n’a que dégoût pour lui. Elle se sauve :

« La fuite rehausse encore sa beauté. Mais le jeune dieu, renonce à lui adresser en vain de tendres propos et, poussé par l’Amour lui-même, d’un pas vif, il suit la nymphe à la trace en redoublant de vitesse. Quand un chien des Gaules a aperçu un lièvre dans une plaine découverte, les deux courent, l’un pour saisir sa proie, l’autre pour sauver sa vie ; le premier, sur le point de happer le fuyard, il espère déjà le tenir, et le museau tendu, il serre de près ses traces ; l’autre, ne sachant s’il va être pris, se dérobe aux morsures et esquive la gueule qui le frôle. Ainsi le dieu et la vierge, sont poussés, l’un par l’espoir, l’autre par la crainte. Lui cependant, porté par les ailes de l’amour, est le plus prompt et n’a pas besoin de repos, déjà il penche sur le dos de la fugitive, et de son haleine effleure les cheveux épars sur son cou. Elle est à bout de forces, livide, et, dans sa fuite éperdue, vaincue par la fatigue, elle dit en regardant les eaux du Pénée : « Viens mon père, viens à mon secours, si vous les fleuves, avez un pouvoir divin. Délivre-moi en me transformant, détruis la beauté qui m’a faite trop séduisante. » une mince écorce entoure son sein délicat, ses cheveux se changent en feuillage, ses bras en rameaux ; ses pieds tout à l’heure si agiles, adhèrent au sol par des racines incapables de se mouvoir ; la cime d’un arbre lui sert de tête ; de ses charmes il ne reste que l’éclat (Ovide- 1- 522-577) »

Daphné et Apollon

Les artistes ont rendu la course folle des protagonistes en penchant leurs corps selon de grandes lignes obliques, Apollon tendant le bras vers sa proie, Daphné jetant en avant deux bras implorants. L’ensemble est un petit miracle d’équilibre aidé par deux troncs d’arbre. Cependant la grâce sensuelle de ces très jeunes gens est telle qu’on n’imagine pas qu’Apollon soit un violeur en puissance, ni Daphné une proie terrifiée.

C’est encore Guillaume Costou qui représente l’été sous les traits de Cérès, une des saisons qui ornent le bassin octogonal.

Cérès ou l’Eté

En face voici L’Hiver encapuchonné et tout renfrogné, qui se chauffe les mains à un brasero. Jean Raon, (1631 -1707) qui a travaillé principalement à Versailles en est l’auteur. Le marronnier lui fait une belle couronne dorée

Au reste la hauteur des piédestaux et leurs yeux sans prunelles les isole.

Tuileries. L’Hiver de Jean Raon

Finies l’élégance, le caractère modéré ! Voici une mode naturaliste, impressionnante quand il s’agit à nouveau d’une de ces scènes de rapt si fréquentes dans l’art occidental. Laurent Honoré Marqueste (1848-1920) a rendu la force sauvage du centaure Nessus, à la fois par la torsion du cheval et par la main qui se crispe sur la Déjanire éperdue que l’homme cheval est en train d’enlever (1892).

L’Enlèvement de Déjanire par L. H. Marqueste (1848-1920). Détail

Les rôles sexuels de l’homme et de la femme sont plus explicites que pour la légende de Daphné. Animalité et emploi de la force pour l’homme ; passivité pour sa vicime.

L’Enlèvement de Déjanire par L. H. Marqueste (1848-1920)

Hélas ! La statue est bien abimée. La patte gauche du pauvre centaure n’est plus qu’un moignon et laisse passer un bâton qui fait plutôt mauvais effet.

Voici dans un bosquet un monument à Perrault charmant, grâce à la joyeuse ronde des petites filles qui entourent le piédestal et à l’humour du chat. Gabriel Edouard Baptiste Pech l’a sculpté entre 1903 et 1908.

Gabriel Edouard Baptiste Pech 1903. Monument à Perrault
Le Chat botté, son collier de souris et son gros rat à la ceinture. Monument à Perrault

L’Etat honorait le conteur aimé des enfants, mais aussi celui qui avait plaidé pour que le jardin de Nôtre reste accessible au public.  Colbert, contrôleur général des Finances, s’inquiétait des dégâts que le « peuple » pouvait causer au jardin (décidément Colbert joue à nouveau le rôle du grand seigneur dur aux petites gens). Perrault comme il le rapporte dans ses mémoires s’est opposé à lui en lui assurant  que les visiteurs respectaient le jardin :

La résolution me parut bien rude et fâcheuse pour tout Paris. Quand il fut dans la grande allée, je lui dis : « Vous ne croiriez pas, Monsieur, le respect que tout le monde jusqu’au plus petit bourgeois, a pour ce jardin. Non seulement les femmes et les petits enfants ne s’avisent jamais de cueillir aucune fleur, mais même d’y toucher ; ils s’y promènent tous comme des personnes raisonnables. Les jardiniers peuvent, Monsieur, vous en rendre témoignage : ce sera une affliction publique de ne pouvoir plus venir ici se promener, surtout à présent que l’on n’entre plus au Luxembourg [1] ni à l’hôtel de Guise. »

Ce que confirment les jardiniers

« Il y vient, lui répondis-je, des personnes qui relèvent de maladie, pour y prendre l’air ; on y vient parler d’affaires, de mariages et de toutes choses qui se traitent plus convenablement dans un jardin que dans une église, où il faudra à l’avenir se donner rendez-vous. Je suis persuadé, continuai-je, que les jardins des Rois ne sont si grands et si spacieux, qu’afin que tous leurs enfants puissent s’y promener. »

Et le jardin reste accessible à tous.

Déjà 1909. Le monument en marbre à Waldeck-Rousseau, du même Laurent-Honoré Marqueste (1848-1920)  auteur du Centaure, comprend un buste et un groupe d’ouvriers accompagnés de la République

Monument à Waldeck-Rousseau. Marqueste

Pierre Waldeck Rousseau est à l’origine de la loi relative à la liberté des associations professionnelles ouvrières et patronales votée le 21 mars 1884, dite loi Waldeck-Rousseau. Il soutient aussi des lois sociales : le 30 mars 1900 est promulguée une loi qui rréduit le temps de travail des femmes et des enfants. Le 30 septembre, il soutient une nouvelle loi Millerand-Colliard qui abaisse à onze heures la durée du travail journalier pour les hommes et à 60 heures la semaine de travail. C’est pourquoi, des ouvriers sont représentés au pied du monument. Les codes de la représentation sont assez drôles. Des nus antiques pour les ouvriers et une toge à la romaine pour P. Waldeck-Rousseau.

La sculpture moderne est moins militante à première vue. L’acteur Jean-Paul Belmondo a offert deux statues néo-classiques de son père, Paul Belmondo : Apollon et Jeannette aux formes épurées, aux corps luisants dans le jour qui décline.

Apollon et Jeannette de Paul Belmondo

On va plus vite car le froid s’accentue. Le temps de s’arrêter dans cette partie couverte du bois pour trois personnages en bronze du sculpteur Etienne Martin (1913-1995) créés en 1967 qui ont été installés en 2000. Ils sont non figuratifs et pourtant étrangement vivants, massifs et très présents.

Trois personnages. Etienne Martin 1967

En cherchant bien dans les racines de L’arbre aux voyelles de Penone, on doit pouvoir reconnaître la forme de lettres. Le O est le facile à trouver. Après ça se complique.

L’Arbre aux voyelles. Penone

En tout cas, ce tronc qui traîne est un beau pied de nez à l’esthétique des jardins à la française. Un arbre déraciné, ça fait plutôt désordre… et puis contrairement aux êtres éphémères qui peuplent les jardins, l’arbre métallique, même abattu, ne disparaîtra pas.

2 réflexions sur “Jardin de statues. Les Tuileries

  1. Cancel culture et enlèvement de statues + confinement et musées fermés, on prête plus attention aux statues qui faisaient partie tellement du paysage urbain qu’on ne les voyait plus. Comme quoi, la pandémie a du bon : on ouvre les yeux dans des lieux archi-connus

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  2. Oui ! A quelque chose malheur est bon.
    Je crois que nous avons seulement traversé deux autres périodes récentes de destruction des statues. Vichy bien sûr, à moitié pour se débarrasser des symboles gênants, à moitié pour récupérer les métaux et la Révolution où des patriotes voulaient faire table rase du passé, comme les militants « décoloniaux » d’aujourd’hui. J’aime bien la réponse de L’abbé Grégoire dans son Rapport sur les destructions opérées par le Vandalisme et les moyens de le réprimer (31 aout 1794 !

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