Maquis
Dès que ça a été possible, nous sommes partis vers la Corse, délicieuse au printemps : le maquis est en fleurs et les parfums sont déjà si puissants que la moindre brise les apporte par bouffées.

La Corse sauvage des bords de mer, c’est le maquis ; le maquis, c’est la Corse. D’ailleurs, ce nom commun, entré dans le français au 18ème siècle, vient du corse machja que les étymologistes font remonter au latin macula (ils expliquent que le paysage est comme tacheté par les arbustes) ou à mucchiu, le ciste, une composante essentielle du maquis. Au printemps, les plantes les plus griffues n’ont pas trop poussé : peu de ronces et de salsepareilles. Un dédale d’arbousiers, de bruyères arborescentes, de myrtes et de lentisques pistachiers et surtout des cistes en fleurs.
Cette végétation est parcourue de sentiers qui ne mènent nulle part et que l’on emprunte au hasard avec le plaisir de se perdre en l’absence de points de repères. C’est évidemment « pour de faux », puisqu’il suffit de descendre pour retrouver la mer et puisque la zone commence seulement à repousser après un incendie, mais on a le temps de se raconter les histoires de ceux qui « prenaient le maquis ». Le français a plusieurs mots pour désigner le fait de se réfugier dans la nature pour échapper aux autorités. Cependant, le succès de maquis et de maquisards se comprend quand on se promène dans cette végétation. Dès que les arbustes grandissent, ils constituent des tunnels de verdure où aucun gendarme, ni hélicoptère ne peut trouver les fugitifs qui se cachent. De là, maquis a été employé pour désigner ceux qui résistaient aux autorités. On parle du maquis du Vercors pour désigner les maquisards. Quand le mot a acquis son nouveau sens, pendant la dernière guerre, il était encore chargé des connotations du maquis, à la fois refuge protecteur et milieu hostile, à la végétation rocailleuse et peu pénétrable.
Quand le vent s’arrête, une pluie froide et têtue détrempe les chemins. C’est un paradis pour les fleurs de rocailles. Au milieu d’une piste, de minuscules iris ont réussi à écarter la terre et à éclore.

Toujours ce plaisir à sentir la force qui pousse la nature. Ils sont d’un bleu magnifique. On se penche. On les regarde.
Ambivalence de l’Herbe de l’Ascension
Près du village de T., on peut escalader de grandes plaques de granite, fleuries de plantes grasses d’un rouge pourpre, des sedum pourpiers, je crois (sedum moronense, confirme la flore ).

La vieille cousine à qui nous racontons notre promenade nous dit : « Ah ! vous êtes allés à Cupulatta (cupulatta, c’est la tortue en corse et peut-être que l’endroit se confondait avec une tortue géante portant les enfants juchés sur son dos). Quand j’étais petite, l’école était tout près. On se retrouvait là à la sortie des classes. » Elle ajoute : « Aujourd’hui, c’est trop tôt pour cueillir l’herbe de l’Ascension. Il faut attendre le jeudi à l’aube, se lever dans la nuit, ramasser les plantes avec les racines et les ramener avant le soleil levant. Quand j’étais jeune, on les accrochait au mur dans les maisons, la tête en bas : si les tiges se redressaient et si les fleurs s’ouvraient pour la Saint Jean, on était protégés du malheur pour toute l’année… Attention ! le sort s’inversait si le soleil était déjà levé, ou si la plante dépérissait. »
Le lendemain, on déjeune avec des cousins de la montagne. « On a hésité à vous apporter l’Arba di Ascinzioni.
̶ Vous avez bien fait ! Papy nous envoyait toujours en ramasser, mais une année, les tiges ne sont pas remontées et notre chien a commencé à dépérir, et puis il est mort. Depuis, on n’y va plus ! »
Je comprends mal comment a pu perdurer cette coutume. Bien sûr, nous avons gardé beaucoup de traditions liant le destin de l’homme et les forces de la nature, à commencer par la coutume des sapins de Noël. Ce n’est pas l’irrationalité qui m’intrigue, plutôt le risque qu’on acceptait de prendre il y a encore quarante ans. Pourquoi ramener chez soi une plante magique, tellement ambivalente qu’elle peut vous faire du mal au lieu de vous protéger ?
Et puis je me dis que ces actes magiques ne sont pas si éloignés de notre rapport à la médecine. Les médicaments sont efficaces. Ils peuvent aussi faire du mal. Dans mon enfance, on s’accommodait des effets négatifs et on se réjouissait des vaccins qui permettaient d’éradiquer des maladies mortelles ou très invalidantes. Aujourd’hui, on dénonce vigoureusement la duplicité des thérapeutiques au nom du principe de précaution. Cela me fait penser aux échecs du vaccin Astra Zeneca ou aux mise-en-garde de certains contre les vaccins à ARN messager. Les pouvoirs publics peinent à convaincre les citoyens d’accepter quelques morts au bénéfice de l’immunité collective ! Des « vaccino-sceptiques » nombreux dénoncent l’orgueil imprudent d’apprentis sorciers inventeurs de médicaments qui se révèleront des poisons.
Les bulimes cannibales
Il avait plu toute la nuit. Le matin, des grappes de sortes d’escargots à coquilles coniques avaient envahi le jardin. J’avais déjà vu des coquilles vides d’un rose pâle et je croyais que des enfants avaient ramassé sur la plage et abandonné des bulots. D’ailleurs l’extrémité des « coquillages » était abimée. C’est sans doute pour ça qu’ils avaient été jetés.
Mais j’étais confrontée à un grand rassemblement de bulots limaceux qui s’agglutinaient en particulier contre les murets. Les coquilles étaient plutôt couleur de terre, c’est pourquoi je n’ai pas vu tout de suite l’étendue du problème, mais bientôt, je n’ai plus vu qu’eux.

Certes, ils avaient l’air engourdis, peu actifs. J’aurais pu cohabiter avec eux tranquillement s’ils n’avaient pas été si nombreux et si je n’avais eu la désagréable sensation du crissement des coquilles explosant sous les pieds pendant que j’inspectais le jardin. Leur prolifération était cauchemardesque. J’ai fait ce qu’on fait à présent : taper sur un moteur de recherche escargots longs, Corse…et je suis tout de suite tombée sur les bulimes tronqués, « espèce invasive autour de la Méditerranée ». Tronqués, parce que le cône qui protège ces bestioles se casse de lui-même lors de la croissance, peut-être pour ôter un peu de poids à la coquille.

J’ai appris qu’ils étaient omnivores avec une prédilection pour les escargots et les limaces. Les Anglais les appellent d’ailleurs Snails Destroyers. Ils s’attaquent peu aux plantes et ne grimpent pas aux arbres et les agriculteurs les utilisent parfois pour se débarrasser des escargots. (De fait, je n’en vois pas beaucoup au jardin). Malheureusement, les bulimes croquent aussi les vers de terre, pourtant bien utiles.
J’en ai ramassé quelques centaines que j’ai noyés dans de l’eau savonneuse sur les conseils d’une voisine, mort cruelle, je dois dire, mais les bulimes qui se nourrissent préférentiellement d’espèces proches m’apparaissent un peu comme des gastéropodes cannibales. Je n’aimerais pas rencontrer des gisements de bulimes géants !
Thievant Claire, Desideri Lucie, Michel, Albin, 2000, Almanach de la mémoire et des coutumes : Corse, Paris, Albin Michel
Trésor de la langue française (entrée maquis)
Bulime tronque, Wikipédia
Ma chère Sonia
Que de choses apprises dans cet article qui sent si bon les fleurs des sentiers!
Merci beaucoup
Marie
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Je ne désespère pas de vous voir un jour partager une Corse sans touristes
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S’il est vrai que l’on reconnaît la Corse, les yeux fermés, rien qu’à son odeur, celle du maquis…
C’est tout le monde méditerranéen qui ressurgit, qui appelle tant d’images, de sensations , de réminiscences , ce monde qui me touche infiniment parcequ’il est le lieu originel de notre culture.
En suivant vos pas, Chère Sonia, sur les sentiers corses…
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Oui, nous avons au moins ça en commun avec Napoléon qui sentait son pays avant d’y avoir mis les pieds.Dorothy Carrington parle aussi très bien de son arrivée à Ajaccio et des senteurs du maquis qui lui parvenaient apportées par la brise. Malheureusement, il y a moins d’immortelles. Je crois qu’elles sont systématiquement ramassées.
La Corse du Sud est riche en vestiges préhistoriques, mais assez étrangère au monde grec et latin. Elle est longtemps restée pauvre et rebelle, même si Ajaccio fait exception.
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Quel bel article! Il me donne envie de partir tout de suite me promener dans le maquis. Nous serons en Corse le 5 juin pour 3 semaines. Le livre que tu cités est il facile à trouver ?
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Merci Myriam,,
Le livre est épuisé (je ne l’ai pas). Restent les bibliothèques, en particulier la Bibliothèque Nationale qui, je crois, va rouvrir. Où allez-vous en Corse. Il y a tant de paysages et de villages différents
Allez-vous vous déplacer ?
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Merci pour la référence à Dorothy Carrington que je ne connaissais pas.
Quel livre en français sur la Corse est disponible ?
Il est vrai que les anglais sont souvent les plus fervents amoureux des pays du sud.
Quand je pense au monde méditerranéen, je pense moins à l’histoire qu’à certains types de paysages, à l’été, à l’odeur des plantes, de la chaleur, à la mer à la lumière surtout .
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Dorothy Carrington est une femme merveilleuse : journaliste, mais aussi (surtout) pionnière de l’archéologie corse et passionnée d’ethnologie insulaire. Elle découvre la Corse en 1948 et finit par s’y installer. Nous avons pu acheter il y a deux ans la traduction française de The Granite Islan, a Portrait of Corsica. Le titre français est La Corse (éd. 2008) chez Arthaud
Elle raconte à merveille ses rencontres avec les habitants de l’intérieur, paysans, sorcières, poètes… et bien sûr le choc éprouvé à la vue des statues primitives de Filitosa. Son livre est à la fois lointain (une Corse d’avant le tourisme) et proche : le dernier chapitre évoque les autonomistes !
Et bien sûr, c’est une île complètement méditerranéenne !
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