Villages de la Casinca
En Corse, les plus beaux villages sont dans le Nord, plus prospère que les terres du Sud. Loreto di Casinca et Penta sont deux de ces villages de moyenne montagne qui dominent la plaine non loin de Bastia.
Du côté de la montagne, les villageois avaient cherché des pentes douces pour cultiver des jardins en encorbellement,

Penta di Casinca
mais ils avaient choisi des à- pic vertigineux pour se protéger des pillages et des razzias venus de la mer.

Penta : maison et roc entrelacés
Les rues sont souvent tordues, entrecoupées par des passages en tunnel, bordées par des maisons de schiste à petites fenêtres. Parfois les murs se mêlent à la roche.

Penta. La maison de schiste
Ces villages sont pleins de monde l’été, mais ils ne sont pas défigurés par le tourisme. La chaleur du jour enferme les gens à l’abri des maisons. Les jeunes se retrouvent sous les platanes de la place. Dans les cafés, on parle corse et les consommations sont encore incroyablement bon marché. Le 15 août, on fête la Vierge dans les plus petites chapelles.
Si on vous donne l’adresse de François Albertini, charcutier-éleveur à Loretu, courez-y ! La coppa sera chère, mais elle sera fabriquée avec la viande des porcs qui fourragent en liberté dans les bois de châtaigniers. Vous la goûterez puisqu’on peut manger à la plancha viande et légumes de saison et vous serez convaincus. Un berger viendra peut-être parler avec vous : « j’ai choisi ma vie. 300 chèvres. Pas davantage pour qu’on me foute la paix avec les règlements. Si on me laisse travailler, j’accepte la vie comme elle va. Une bonne année. Une moins bonne. Le gel. Le manque de pluie. Un incendie, mais ça repousse. Pourvu que j’aie le nécessaire, j’ai les collines, le soleil, l’automne, le froid et le chaud. Je ne me plains pas et je n’envie pas votre abondance. Au contraire. Je m’inquiète des dégâts que produit votre capitalisme. Allez, j’y vais. il faut que rentre les chevreaux!»
Quand vous repartirez pour le bord de mer, vous considèrerez d’un autre œil les richesses du monde d’en bas.
Le plastique partout
La pollution plastique défigure les plages, disons-nous. Certes, le plastique est un fléau, mais c’est aussi le compagnon de notre modernité. Je sais bien qu’on pense surtout aux millions de sacs et d’emballages qui se retrouvent un peu partout et je ne peux que me réjouir de leur interdiction, mais le plastique est plus largement un compagnon de nos vies de touristes et il accompagne un changement dans nos goûts.
A l’ombre d’un bois de pins, des amis ont accroché des hamacs, disposé des fauteuils de jardin et des jeux d’enfants. On a beau jurer qu’on adore le naturel, le contraste accroche le regard : les pins, gris, noirs, blancs, bruns ont les couleurs du chic naturel bourgeois. Leurs troncs sont constitués de plaques que la lumière fait luire comme des écailles, tandis que l’ombre y dessine des lignes noires qui remontent jusqu’à la ramure.
Les couleurs des objets en plastique sont franches. Nulle part, on ne trouve dans la nature un vert anis aussi intense que le vert des fauteuils et cette couleur est lisse sans rien qui arrête le regard.
C’est surtout sur la plage que déferlent le jaune, le vert pomme, le rouge des parasols.
Le matin, la plage est déserte et l’eau paraît dormir, mais après dix heures, le golfe se remplit de touristes qui plébiscitent les parasols multicolores et les jouets en plastique des enfants. Ces produits industriels bon marché leur permettent même d’emporter un salon sur le sable.
et de se payer des sièges régressifs qui n’ont plus de forme, ou plutôt à qui seuls le poids d’un corps donne une forme.
Adieu au royaume de l’enfance
Au moment de quitter le village, frappé par la vieillesse, ce qui demeure c’est la poésie paradoxale qui s’en dégage. Jardins à l’abandon, maisons qui commencent à se délabrer, ce monde disparaît sous un implacable soleil avec l’eau qui commence à manquer, l’incendie qui menace… Ça dit de façon émouvante notre fragilité et donne envie de relire l’Ecclésiaste.
Tout l’été, on a entendu parler de l’eau qui manquait et on soupiré à chaque coup de mistral. Pourvu qu’un fou ne mette pas le feu. Pas de pluie depuis quatre mois. A Pâques, pourtant, les arbres du bord trempaient dans l’eau et à l’aplomb de l’arrête rocheuse de Vacca Morta, là où le maquis s’entrouvre, on voyait le lac d’un bleu paisible, plein à ras bord.
Cet été, il est presque asséché. Quatre mois sans pluie : mille souches noires qu’on ne s’est pas donné la peine d’arracher lors de la construction du barrage émergent comme des fantômes. Elles ramènent le souvenir de la forêt abattue dans le creux de la vallée.
Elles sortent de la vase. Elles sont hérissées, lugubres et ne se désagrègent pas.
Une vieille cousine était venue pour dire au revoir. Chaque été depuis son mariage, elle avait emmené son mari américain dans l’île pour célébrer son appartenance à la grande famille. Au village, elle se sentait encore la petite fille d’un homme respecté qui avait travaillé dur pour accumuler des biens et qui était devenu quelqu’un. Elle aimait raconter la vie de ce grand-père, comment il restait l’été pour s’occuper des champs dans la plaine dangereuse où sévissait la malaria, puis comment il faisait 20 km le soir pour rejoindre sa femme et ses huit enfants à l’Ospedale, le village d’altitude. Est-ce qu’il lui arrivait seulement de dormir ? A peine arrivé, il s’occupait à bâtir sa deuxième demeure de granite. Par ailleurs, il avait installé un peu partout des cabanes de pierre sans fondation et sans mortier pour abriter ses outils ou accrocher la charcuterie. Dans un des murs, à l’extérieur, il y avait toujours une pierre plate enchâssée à l’horizontale qui permettait de poser une cruche d’eau à l’intention de celui qui passait par là. Ces maisons, qu’on appelait des maisonnettes, bâties selon une technique venue du fond des temps, sont encore debout. Leurs murs n’ont pas bougés. Même quand il a fallu restaurer les toits et que le béton a massacré l’encadrement d’une porte, elles ont gardé leur charme. Mais les champs sont retournés au maquis ; les vaches trop maigres ne rapportant pas grand-chose, il n’y a plus d’éleveurs et la famille a cessé d’entretenir et d’exploiter les chênes-liège.
La vieille cousine avait essuyé une larme et dit « Vous étiez les plus gentils », puis elle était remontée dans sa voiture. La scène était bouleversante parce qu’elle achevait un cycle. Ils savaient qu’ils ne se reverraient pas et qu’il n’y aurait bientôt plus personne pour se souvenir d’une vie paysanne qui n’existe plus dans le golfe.
Merci de ce voyage et belle naration, dans un très joli pays
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