Il s’agit d’une promenade d’après-midi, que l’on peut faire sans voiture en prenant un petit train très commode à Montparnasse, ce qui permet d’éviter les bouchons du dimanche soir. Le trajet jusqu’aux Essarts-le-Roi dure à peu près une heure. On est encore très près des tours, des parkings, des supermarchés, des zones industrielles, des territoires urbanisés, et pourtant si loin… C’est comme avec un kaléidoscope. Tout à coup, la présence de la métropole s’efface et apparaît la France des petits villages et des bois. Entre l’aller aux Vaux-de-Cernay, le tour du parc et le retour, il faut compter environ 15 kilomètres.
Un kilomètre pour traverser les Essarts et voici la forêt où alternent des boqueteaux de chênes, de hêtres et de pins. Des fondrières au milieu du sentier, obligent à surveiller où on met les pieds pour éviter la boue spongieuse qui colle aux chaussures après une semaine de pluie, mais très vite le sol devient moins humide. D’ailleurs des rigoles captent les eaux de pluie et les guident jusqu’aux ruisseaux du vallon.
Les sous-bois sont envahis de fougères brûlées par l’automne. De temps à autres des feuilles déjà rougies, mais lumineuses aux rayons du soleil.
Il n’y a pas beaucoup de promeneurs et tous échangent un bonjour selon la politesse qui veut qu’on s’ignore en ville, mais qu’on se salue en forêt.
Le chemin forestier enjambe le ru de Cernay qui descend, comme un torrent de montagne, jusqu’au fond de la vallée. Plus loin, les blocs de pierre font leur apparition, accompagnés par les grands hêtres au mouvement de racines si particulier, tournant autour des pierres avant de s’enfoncer sous terre. Ça et là, les amoureux n’ont pu s’empêcher d’entailler les troncs pour imprimer leur marque.
Puis le chemin butte sur le haut mur qui entoure le domaine. il faut le contourner pour parvenir à l’entrée où attend la guichetière. Le dimanche, pour 20 euros, les visiteurs peuvent visiter le parc et goûter à partir de 15 h. 30 d’une boisson à leur convenance et d’une assiette de pâtisseries. Va pour le forfait !
Sur une rive de l’étang des Vaux de Cernay, la forêt pousse jusqu’au bord ; sur l’autre, un pré remonte en pente douce. Ce lieu humide est sans doute souvent brumeux en novembre, mais aujourd’hui c’est une journée miraculeuse.
Le vallon fait partie des lieux où, comme on dit, « le temps s’arrête ». Il est fait pour ceux qui restent là, tranquillement, à regarder la faible brise qui ride la surface de l’étang, les reflets qui se brouillent et se recomposent ; c’est un endroit où tout est calme et en même temps animé en permanence de minuscules mouvements. Il permet de marquer un arrêt jusqu’à ce que toute pensée se dissolve, que la tranquillité revienne et qu’on se sente appartenir au monde.
Un troupeau d’oies bernaches a pris possession du pré vert, se prélasse sur la rive et retourne à l’eau dans un grand bruit d’ailes lorsque quelqu’un approche un peu trop.
Si l’on se retourne, on voit l’imposante abbaye et les vestiges d’une église. Celle-ci n’a pas été détruite lors de la Révolution, mais par un des propriétaires, pressé de récupérer les pierres, et qui a tout simplement mis une bombe afin d’économiser le prix des ouvriers. La baronne Charlotte de Rothschild (1825-1899) a conservé la ruine pittoresque à l’état de ruine, et rebâti un hôtel particulier à partir des vestiges de l’ancienne abbatiale cistercienne. En 1988, le lieu a été vendu et transformé en hôtel-restaurant.
Accrochée à un mur intact, une stèle où des moines semblent bien prier, mais où deux chiens très profanes se disputent un os dont on espère que ce n’est pas un tibia du mort.
A 15h 30, nous nous affalons dans les fauteuils rembourrés du salon de thé. La pièce est pleine de familles et d’habitués qui sont venus en voiture. A côté de notre table, une femme blonde à la poitrine rebondie, vêtue d’une sorte de blouse tyrolienne. Elle est fraîche et rose et surtout préoccupée de se montrer à son compagnon en costume (qui le voit bien). Avec le couple, un autre monsieur rubicond. Le brouhaha m’empêche d’écouter ce qu’ils disent. J’entends quelques fragments « – Alors il l’a quittée ? » et plus tard « Tout leur est dû ! » (qui sont ces leurs ? Les migrants ? Les Jeunes ? Leurs enfants qui ne se décident pas à travailler ?).
Une jeune fille entre lentement, juchée sur des talons de 15 centimètres ; une autre passe en manteau de fourrure. Evidemment, nos chaussures de marche et nos jeans fatigués détonnent. Nous sommes les seuls à n’être pas endimanchés.
Un pianiste joue Frank Sinatra pour un monsieur qui se prend pour un crooner. On rit des serveurs maladroits qui ont besoin d’être deux pour apporter solennellement à la tablée du fond un biberon d’eau sur un plateau, alors que les visiteurs assoiffés les appellent de tous les coins du salon. Des personnes d’âge mur feuillettent des livres. De loin, on ne parvient pas à savoir s’il s’agit d’un club de lecteurs ou de promeneurs qui se renseignent sur l’abbaye. Ceux qui sont en villégiature sont sans doute ailleurs. Ils attendront le départ des visiteurs du dimanche pour réinvestir le salon de leur hôtel de charme. Malgré la description emphatique, le fameux goûter se compose d’un gâteau assez bon, mais que nous n’avons pas choisi, et de deux madeleines. Qu’importe ! Le restaurant est accueillant et nous nous attardons.
Pourtant, il faut repartir car le bleu du ciel vire au mauve et nous devons retraverser le bois avant la nuit. Pour ne pas refaire le tour du domaine, nous repartons par la route qui longe l’étang des Vallées, jusqu’à l’embranchement du chemin forestier. Avec la fatigue, la dernière pente vers le plateau paraît bien escarpée et pourtant nous accélérons, car il faut traverser encore de grands champs avant d’entrer dans le village.
Le soleil est déjà couché quand nous rencontrons une joggeuse qui court seule vers les bois noirs dans la direction opposée à la nôtre. Lorsque nous nous retournons pour la suivre des yeux, le chemin est désert. Est-ce qu’elle n’a pas peur d’être attaquée, étranglée au bord du champ de betteraves ? Plus loin, nous rattrapons deux jeunes gens qui se hâtent pour rentrer chez eux. Hakim et son copain, passionnés par l’histoire, racontent avec enthousiasme le passé des Essarts, le nom qui renvoie aux défrichements des moines, l’histoire compliquée d’un village qui a appartenu au duché de Bretagne puis au roi de France. Leur plaisir est contagieux, mais ils nous quittent au seuil de leur lotissement. Au bout de la rue, il n’y a plus aucun passant et bien qu’une boulangerie soit encore ouverte, les derniers clients arrivent en voiture, se garent devant la porte achètent leur baguette et redémarrent aussitôt. Le silence reprend possession de la rue vide.
Il passe un train par heure pour Paris. Comme nous avons de la chance nous avons attendu cinq minutes.
Merci de la jolie promenade matinale ..
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Merci ! Merci ! Et je m’aperçois que j’ai oublié d’écrire que les hêtres de cette balade sont plus majestueux que ceux que l’on croise à Fontainebleau. Le sol humide leur convient bien, sans doute !
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il faudrait que je me décide , un jour, à venir m’y promener (de Paris, en transport en commun) … 😀
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