En flânant sur les bords de la Marne entre Joinville et Champigny, on remonte les années jusqu’à l’époque des canotiers, des villas à la normande et des guinguettes.
La lavandière de Créteil
Avant, le milieu du siècle, la Marne était moins fréquentée bien que Victor Hugo raconte une aventure galante avec une lavandière… dissimulant fort peu sous la grâce du rythme du battoir et des rappels mythologiques ce qu’on soupçonnerait aujourd’hui d’être de la drague répréhensible
Sachez qu’hier, de ma lucarne,
J’ai vu, j’ai couvert de clins d’ yeux
Une fille qui dans la Marne
Lavait des torchons radieux.
Près d’un vieux pont, dans les saulées,
Elle lavait, allait, venait ;
L’aube et la brise étaient mêlées
À la grâce de son bonnet.
[…] Elle accrochait des loques blanches,
Je ne sais quels haillons charmants
Qui me jetaient, parmi les branches,
De profonds éblouissements.
Ces nippes, dans l’aube dorée,
Semblaient, sous l’aulne et le bouleau,
Les blancs cygnes de Cythérée
Battant de l’aile au bord de l’eau.
Des cupidons, fraîche couvée,
Me montraient son pied fait au tour ;
Sa jupe semblait relevée
Par le petit doigt de l’amour.
On voyait, je vous le déclare,
Un peu plus haut que le genou.
Sous un pampre un vieux faune hilare
Murmurait tout bas : casse-cou !
Je quittai ma chambre d’ auberge,
En souriant comme un bandit ;
Et je descendis sur la berge
Qu’une herbe, glissante, verdit.
Je pris un air incendiaire,
Je m’ adossai contre un pilier,
Et je lui dis : – « Ô lavandière !
(Blanchisseuse étant familier)
« L’oiseau gazouille, l’agneau bêle,
Gloire à ce rivage écarté !
Lavandière, vous êtes belle.
Votre rire est de la clarté.
«Je suis capable de faiblesses.
Ô lavandière, quel beau jour !
Les fauvettes sont des drôlesses
Qui chantent des chansons d’amour.
«Voilà six mille ans que les roses
Conseillent, en se prodiguant,
L’amour aux cœurs les plus moroses.
Avril est un vieil intrigant.
« Les rois sont ceux qu’adorent celles
Qui sont charmantes comme vous ;
La Marne est pleine d’ étincelles ;
Femme, le ciel immense est doux.
« Ô laveuse à la taille mince,
Qui vous aime est dans un palais.
Si vous vouliez, je serais prince ;
Je serais dieu, si tu voulais. » –
La blanchisseuse, gaie et tendre,
Sourit, et, dans le hameau noir,
Sa mère au loin cessa d’ entendre
Le bruit vertueux du battoir.
Les vieillards grondent et reprochent,
Mais, ô jeunesse ! Il faut oser.
Deux sourires qui se rapprochent
Finissent par faire un baiser.
Je m’ arrête. L’ idylle est douce,
Mais ne veut pas, je vous le dis,
Qu’ au-delà du baiser on pousse
La peinture du paradis.(1865, Choses écrites à Créteil)
L’ïle Fanac à Joinville-le-Pont
La Marne devient accessible aux Parisiens en 1858 avec l’inauguration du chemin de fer qui partait de la Bastille via l’actuel Viaduc des Arts et desservait Nogent-sur-Marne, Joinville-le-Pont et Saint-Maur-des Fossés avant de rejoindre la ligne de l’Est à Verneuil.
Des familles modestes débarquaient le dimanche pour venir flâner au bord de la Marne. Maupassant, Zola… ont décrit ces moments où se côtoyaient employés et canotiers. Voici la Denise d’Au Bonheur des dames qui accompagne une amie et son amoureux sur l’île de Fanac où nous allons aujourd’hui :
Ils s’intéressaient à la vie de la rivière, aux escadres d’yoles et de norvégiennes, aux équipes de canotiers qui la peuplaient. Le soleil baissait. Ils retournaient vers Joinville, lorsque deux yoles, descendant le courant et luttant de vitesse échangèrent des bordées d’injures, où dominaient les cris répétés de « caboulots » et de « calicots ».
– Tiens ! dit Pauline, c’est monsieur Hutin
– Oui, reprit Baugé, qui étendait la main devant le soleil, je reconnais l’yole d’acajou… L’autre yole doit être montée par une équipe d’étudiants. Et il expliqua la vieille haine qui mettait souvent aux prises la jeunesse des écoles et les employés de commerce.

Aujourd’hui, l’île est un espace sans voitures, On voit de loin l’Ecole municipale des Arts, une belle demeure de la fin du XIXe construite à l’imitation du Moyen Age avec de jolies tourelles ornementales. Le bâtiment abritait autrefois le restaurant Julien où Denise et ses amis sont allés dîner.


Les canotiers ne se battent plus, et chacun peut s’inscrire dans les clubs de sport présents un peu partout.

Voici l’écusson de Nogent-sur-Marne, mais l’île Fanac abrite elle aussi une société nautique de la Marne pour apprendre l’aviron et un club de kayak « Joinville Eaux Vives » car le kayak a remplacé les yoles.

On accède à l’ile par un petit pont et on en fait le tour en suivant un chemin boueux. Comme il fait trop froid pour les pêcheurs et pour les piqueniqueurs, les visiteurs ne viennent pas. L’endroit est merveilleusement tranquille. Rien n’en trouble la quiétude.
Certaines maisons sont minuscules ; d’autres plus cossues.




Trois marches de pierre descendent au bord de l’eau. Concession à la modernité les canots sont en plastic.

Au bout de Fanac, la vue sur le pont de l’autoroute A4 avec son trafic incessant rappelle que ce coin est un miracle anachronique, une « réserve » qui a subsisté on ne sait trop comment.

Canal de Polangis
De l’autre côté du grand pont, nous longeons le quai de Polangis jusqu’au restaurant du Petit Pont.

Les bords du canal de Polangis sont plus ordinaires que les rives de Fanac, bien que subtilement harmonieux. Il paraît que ce canal trop étroit pour les péniches a été percé en 1886 pour permettre aux Parisiens d’amarrer leurs canots. A nouveau, le calme est total. De rares passants tous accompagnés d’un chien remontent la rue. Entre les deux rives pavillonnaires, l’eau est immobile. Il y a un canot à l’attache. Les branches des saules ont été sévèrement rabattues et les broussailles des jardinets ont les couleurs ternes de janvier.

Fragment de passé enchâssé dans la ville avec le silence de janvier, l’eau vert bronze, le canot, les jardinets, la tache verte d’une fausse pelouse.

Un arbre décoré de boules de gui et l’unique cormoran qui se balance sur la plus haute branche. Rien d’autre.

En 1906, Pathé avait installé à Joinville une grande usine de produits photographiques. Les studios Joinville furent ouverts en 1910 sur l’actuelle avenue du Général Gallieni. Les films de l’entre-deux guerre y ont souvent été tournés. Et c’est en souvenir de ce cinéma populaire que la passerelle qui traverse le canal s’appelle La Belle Equipe de Julien Duvivier (1936), film emblématique des guinguettes et du Front Populaire : cinq copains gagnent au loto et décident de placer ensemble l’argent pour construire une guinguette. Une femme cependant aura raison de leur amitié.
Il semble malheureusement qu’il n’y ait pas de suite aux studios Joinville.

Nous revoici sur le quai de Polangis qui nous ramène vers la voiture. Une péniche passe.

L’air est glacé. On poursuivra une autre fois vers les restaurants et les bals qui sont fermés en raison du Covid, mais j’ai aimé voir ces enclaves enfoncées dans le territoire du Grand Paris, comme des espaces réservés pour les derniers des Mohicans et les imaginer plus secrets qu’ils ne le sont sans doute quand l’été est là.
http://www.joinvillelepont.eu/2014/11/joinville-le-pont-et-le-cinema-debut-du-xxeme-siecle.html
Merci Sonia!
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Chez vous, dans l’Ouest, ça n’est pas mal non plus !
Amitiés
Sonia
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Merci pour ce beau texte de Hugo. Une très belle promenade au bord de ces cours d’eau. Étonnante aussi, si près de Paris, de quoi envier les riverains ! De plus vous profitez du calme,et de l’hiver, et du confinement. Et nous de l’effort de ramer !
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Cette Marne hivernale où on rentrait la tête dans nos anoraks pour nous protéger du froid n’a pas grand chose à voir avec la Marne des guinguettes et du bronzage, mais elle était solitaire et romanesque !
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Je veux bien être courtisée de cette charmante façon, par Victor
Encore et Encore
Merci de nous emporter
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Ah ! Tu fais bien de distinguer « faire la cour » et agresser. Hugo est entreprenant, mais la blanchisseuse se laisse séduire ; elle est consentante, et, du moins dans le récit qu’en fait Hugo, le désir est partagé.
Sonia
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Atmosphère, atmosphère…
Saison de l’absence, cette promenade d’hiver un peu mélancolique se prête bien à l’évocation de mondes disparus , grâce aussi au talent de conteur de Sonia.
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Bonjour et merci pour ce gentil commentaire. Cette fois, tout le mérite revient à Victor Hugo et à Zola. Il n’y a pas de meilleure résurrection que celle que procurent les livres. Ils font lever à chaque pas les ombres du passé.
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C est chez moi!
Hugo est un génie littéraire mais avec les femmes ce n est pas si clair. Au temps de Metoo il serait peut être montré du doigt?
J adore cette promenade en bord de Marne je me choisi une maison ou une autre
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quelle chance de vivre dans cet endroit magique où passé et présent s’imbriquent de si jolie façon. Moi aussi, je ne peux m’empêcher de me choisir des maisons un peu partout (Ces maisons sont parfaites puisque je n’ai pas à les entretenir, juste à les regarder) !
Sonia
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