Dans la bulle temporelle de la Maison des Chartreux à Brives-Charensac

Vous vous souvenez qu’il y a deux mois, nous avions tourné en rond dans la zone commerciale du Puy parce que nous cherchions à rejoindre la voie rapide pour Blavosy et que la bretelle de raccord, indiquée par notre GPS (mal actualisé) était entre temps devenue impraticable. Au bout d’un parking, une rue en sens interdit interdisait de passer. Un tour pour rien, un deuxième tour, une dispute conjugale, l’impression d’être entrée dans un sketch de Raymond Devos avant de renoncer et de repartir pour une boucle dans le Puy.

L’autre jour nous sommes repassés par Le Puy pour une halte sur le trajet de Marseille et nous avons réservé un hôtel au dernier moment… Incrédules, un peu désappointés, mais riant pourtant de la cocasserie de la situation, nous nous sommes retrouvés sur ce même parking de Brives-Charensac où nous avions tourné fin mai, au milieu des enseignes La Halle aux Chaussures, Cuisinella, Mr Bricolage, Storistes de France… Nous nous attendions donc à un vague « Formule 1 », inévitable dans un pareil endroit (étonnamment cher quand même, mais à 19 heures, un 13 juillet, nous n’avions pas de solution de rechange).

Motif d’énervement supplémentaire : le GPS nous renvoyait avec obstination vers le fameux sens interdit, lequel n’avait pas bougé. C’était comme un film qu’on aurait rembobiné pour le faire recommencer à son point de départ. Le GPS indiquait la maison à 100 mètres, si et seulement si on remontait la Rue Saint-Vosy, ce que le panneau empêchait de faire…  Outrepassant l’interdiction, nous sommes allés prudemment jusqu’à un immeuble où une courette permettait de se garer même si l’aire était sûrement réservée aux habitants. Nous avons alors aperçu le numéro 6 inscrit sur un portail de pierre en face de l’immeuble. C’était là : 6 rue Saint-Vosy.

J’ai sonné. Une jeune femme à dreadlocks et doux sourire est venue ouvrir. Je suis entrée dans un grand jardin d’ombre qui échappait aux regards derrière ses murs. Gingko, hêtres, mélèze, pruniers… Était-ce l’effet de la fraîcheur après le long trajet sous un soleil de plomb, il m’a semblé que les bruits avaient disparu et que je me trouvais dans un lieu voué à la solitude et à la méditation ? (Pas trop d’austérité cependant, car des tables et des chaises étaient disposées un peu partout et j’ai aperçu une piscine sous une tonnelle de fer forgé, protégée des feuilles et des insectes par des parois de verre. Se baigner là, ce serait comme se baigner dans une serre.)

Une clairière dans le jardin de la Maison des Chartreux

Le jeune homme qui a pris le relais de la fille aux mèches a expliqué que la Maison était un reste d’une chartreuse de la fin du 17e siècle. L’établissement dépérissait quand la Révolution est arrivée. La dispersion des religieux n’a pas dû être dramatique car en 1789, la chartreuse comptait seulement dix moines… dont certains logeaient en ville. Sa réaffectation comme papeterie a dû l’endommager davantage que le vandalisme attribué aux révolutionnaires.

L’essentiel du bâtiment, racheté par le diocèse accueille aujourd’hui un lycée privé et cette maison où 4 à 5 moines pouvaient vivre en commun a été acquise par les parents de nos hôtes qui l’ont restaurée et meublée…

Voilà ! nous sommes voués au sens interdit de la rue Saint-Vosy, mais nous savons qu’en franchissant un simple portail de pierres nous quittons le parking minable d’une société de consommation exténuée pour nous trouver dans le monde ancien qui nous attend, intact.

̶  Si vous ne voulez pas reprendre votre voiture, vous pouvez dîner dans la ville. Presque en face du parking, il y a une cantine asiatique, avec sushis, nems… achetés surgelés et réchauffés au micro-ondes… 400 mètres plus loin en montant sur le coteau, un restaurant vietnamien. C’est la mère de famille qui prépare les plats. Sa cuisine est délicate et fraîche…

Nous sommes repartis sur l’artère qui dessert la zone. En traversant, il fallait faire attention aux files de voitures des employés qui se hâtaient pour rentrer chez eux. Comme promis, à mi-pente, les trois lanternes du restaurant vietnamien se balançaient dans le vent. Nous avons très bien mangé en regardant un planisphère accroché près de notre table. L’Ile de Pâques (Easter Island) paraissait perdue au bord de la carte. Quand nous sommes revenus sous la lumière impersonnelle des réverbères de la zone commerciale, les automobiles ne passaient plus. Tout était tranquille aussi dans le jardin de la Maison des Chartreux. Les lumières qui s’allumaient au fur et à mesure de notre avancée étaient celles des contes où des mains apparaissent tenant des flambeaux pour éclairer les couloirs d’un palais enchanté. Au premier étage, la bibliothèque et le salon se sont pareillement éclairés.

Dans l’actuelle bibliothèque, l’ouverture correspond à un ancien passe-plat

Comme j’hésitais à rester, un petit duc a commencé à chanter dans la nuit.

Au petit déjeuner, la jeune-femme a dit qu’elle venait de Turquie, le jeune homme a raconté que son père, plombier venu lui aussi de Turquie, s’était mis peu à peu à rafistoler de vieilles demeures. La famille s’était lancée pour faire revivre cette maison d’hôtes. Avec du travail et de l’entraide, on peut réaliser ses rêves. La volonté, c’est le pilier d’une bonne vie, a-t-il conclu.

­̶  Le restaurant vietnamien aussi tourne sur des étrangers, a dit, l’un de nous. Toute la famille s’y met. Il n’est pas question de 35 heures ou de vacances. Le restaurant est plein.

Le matin était encore frais et l’eau de la piscine n’était pas chauffée. L’air tiède de la serre faisait cependant oublier le froid. Je me serais volontiers attardée, mais les autres m’ont rappelé la longue route à faire.

Nous avons franchi à nouveau les portes du temps. Le 18e siècle et le 21e siècle ont permuté et nous nous sommes retrouvés sur la route traversante qui mène à la nationale.

4 réflexions sur “Dans la bulle temporelle de la Maison des Chartreux à Brives-Charensac

  1. Pour un guidage efficace, installe sur ton smartphone, une application GPS, type Waze ou Google Maps, c’est actualisé en temps réel , c’est redoutable pour ne pas se perdre
    Bises

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  2. D’accord, Christophe, merci du bon conseil, mais outre le fait qu’il faut apprivoiser une nouvelle application, avec Waze, plus de coïncidences magiques ! Plus de voyages dans le temps (ou plutôt, il n’y aura plus que des voyages organisés) !
    J’espère que vous allez bien. Il semble que la Corse soit pour le moment un des rares endroits où la chaleur reste supportable!

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