Nous restons peu de jours. Or, en 2017, nous avions vu une partie de la collection de Sergueï Chtchoukine à Paris où nous ne manquons pas d’impressionnistes, de Matisse et de Picasso. En revanche, nous ne connaissons pas l’art russe. Pour nous, entre Roublëv et Kandinsky, il n’y avait personne. Aussi, nous optons pour la galerie Tretyakov du nom du généreux amateur d’art qui a donné sa collection à sa ville en 1892. Ce musée en contient au moins deux, les salles consacrées aux icones et celles qui portent sur la peinture des 18e et 19e siècles.
L’art des icônes
Notre visite commence par les icônes apparues en Russie au 12e siècle, avec la religion orthodoxe. Les couleurs qui sont restées brillantes et intactes sous la couche d’huile de lin sont dans l’ensemble d’une harmonie chaude et simple.
Plus étonnant par rapport à mes vagues clichés sur les images mystiques, le côté surtout décoratif de certains détails comme dans cette icône où le plaisir de superposer chevaux et casques pointus est évident.

L’icône de la Trinité (peinte vers 1410) est une des icônes célèbres d’Andreï Roublev dont le sujet est l’hospitalité offerte par Abraham à trois archanges, mais dont la composition, qui multiplie les parallèles avec le Nouveau Testament, représente l’unité de La Trinité et une méditation sur ce que signifie l’Eucharistie.

La sérénité qui caractérise la scène se retrouve dans beaucoup d’images, en particulier dans la représentation du Christ, qui est ma préférée. Ce Christ est peint sans souci des proportions, son cou est « trop » puissant, son nez « trop » étiré », le bas de son visage immense. Les couleurs se fondent dans l’ôcre du fond.

Et pourtant le visage rayonne ; il est étonnamment apaisé (apaisant ?).
Peintres réalistes ; les Ambulants
L’essentiel du musée est consacré à la peinture du 18e au 20 e siècle. Trétyakov était un autodidacte, c’est peut-être pour cela qu’il a été capable de soutenir les peintres qui voulaient rompre avec les sujets mythologiques de l’Académisme. Je m’ennuie cependant devant la peinture de genre qui a l’air de sortir de vieilles demeures provinciales, même si parfois le regard critique du peintre retient. Une des œuvres les plus connues de Fedotov qui date de 1851 et s’intitule Fiançailles d’un major ressemble à une nouvelle misogyne de Tchekhov. Tout y est : la fille minaude en robe de mariée ; le futur mari s’ennuie à la porte. Il l’a sûrement épousée pour sa dot. Le père à l’arrière-plan, en sobre costume de marchand, est la clé de ce mariage d’argent.

Les Russes ont l’air d’adorer Vassily Ivanovitch Sulikov (1848-1916), un peintre d’histoire. Ils vous racontent l’Exécution des Streltsy qui se sont rebellés en 1698 contre le tsar Pierre alors que ce dernier se trouvait hors de Moscou. Quand Pierre revint, il les punit sévèrement, coupant même personnellement la tête de certains d’entre eux…. Cette peinture est connue de tous, comme chez nous Bonaparte au pont d’Arcole, ou Le Radeau de la Méduse. Voici La Boyarine Morozova, arrêtée en 1671 parce qu’elle soutenait le mouvement des vieux croyants (Elle tient deux doigts levés, montrant ainsi l’ancienne forme du signe de la croix).

A côté de la grande fresque aux multiples personnages, quelques esquisses permettent d’apprécier le talent de portraitiste de Sulikov.

Des visiteurs contemplent les héros slaves peints par Viktor Vasnetsov… A vrai dire, ison art rappelle l’art des illustrateurs de contes… mais on ne plaisante pas avec des figures tutélaires de l’histoire russe !
Mes peintres préférés sont les « ambulants ». En 1860, douze peintres rompent avec l’idéalisme classique et rejoignent le mouvement réaliste européen à peu près à l’époque où les musciens créent le groupe des cinq autour de Rimsky-Korsakov. Cette rupture est guidée par un projet politique libéral. Les artistes veulent émanciper le peuple, développer sa conscience critique. Le nom de peintres ambulants provient du nom de la « Société des expositions artistiques ambulantes, créée en 1870, qui organise des expositions itinérantes, dominera la vie artistique pendant une trentaine d’années.
Parmi eux, Vassili Perov est un des plus critiques. Il a peint une troïka, c’est-à-dire un attelage de trois chevaux. Dans son tableau, trois enfants remplacent les chevaux et qui tirent d’énormes barils dans le froid de l’hiver.

Bien qu’il ait été un peintre officiel de l’armée, Vassili Verechtchaguine représente la guerre dans toute son horreur dans Les Vaincus : les autorités (le sabre et le goupillon) contrastent violemment avec les pauvres morts laissés sans sépulture. La peinture est au service de la protestation humaniste.

J’ai surtout aimé la peinture de paysage. Chichkine montre avec une technique minutieuse, la terre gorgée d’eau, de mousses blanches épaisses, les grands troncs de simples résineux formant une forêt profonde qui mène vers l’obscurité. Dépassant l’illusion référentielle, il suggère un lieu où le temps ne passe pas ou bien c’est un autre temps. L’espace qu’on devine illimité se prolonge autour de l’image.

Avec Ivan Konstantinovitch Aïvazovski, peintre de la mer, le hors cadre entre à nouveau dans le cadre du tableau. J’aime la hardiesse avec laquelle sa représentation de la Mer Noire s’en tient au jeu des vagues dans une mer sans limite. La ligne à l’horizon, presque imperceptible, ne pèse rien par rapport à la représentation des forces de la nature.

Savrassov s’attache aux jeux de lumière dans de simples hameaux. L’ombre projetée d’une église, la présence des corbeaux, viennent donner un sens un peu plus complexe à ses tableaux.


Je découvre aussi Philippe Maliavine, créateur d’une série intitulée « Floraison de femmes russes ». Né en Russie, il est mort à Nice en 1940. Je n’ai vu d’abord que ses couleurs éclatantes et j’ai cru pénétrer dans une salle de peintures abstraites, mais vers le haut du tableau émergent les visages des paysannes.

Grabar fait sentir en une toile ce que représente l’éveil de la nature pour les Russes.

Ses bouleaux encore plongés dans l’hiver annoncent le retour à la vie.
Bonjour Sonia!
J’ai trouvé cette visite fantastique ! Que de superbes toiles vous nous faites découvrir ! J’ai particulièrement aimé celle de Maliavine et de Aisavovsky bien que celles de Savrassov sont loin de me laisser indifférent: difficile de faire un choix en fait 🙂
Aisavovsky me rappelle certains tableaux vus dans le petit musée de Theodosia en Crimée ou j’ai pu voir pas mal de marines admirables. Merci beaucoup pour ce partage.
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