Les vœux.
Le premier sens de vœu qui figure dans Le Petit Robert est la « promesse faite à une divinité, à Dieu, en remerciement d’une demande exaucée ». On montrait sa gratitude, en promettant d’être chaste pendant des années, de renoncer à la richesse, d’édifier une chapelle ou une église. Les vœux, c’étaient aussi les serments que prononçait un religieux avant de s’engager. Ces sens ont quasi disparu.
Nos vœux de janvier, qu’ils soient inscrits sur des cartes dites justement cartes de vœux ou qu’ils restent virtuels, concernent des bienfaits à venir : nous souhaitons que la santé, la prospérité, l’amour, le travail… embellissent les vies de nos correspondants. Si les changements de vocabulaire signalent des remaniements dans nos croyances, voilà une marque de la déchristianisation de nos sociétés.
Mais qu’est-ce que c’est que cette drôle d’action qui passe entièrement par le langage puisque nous n’avons pas l’intention d’agir pour améliorer la fortune ou la santé de nos correspondants, ou plutôt puisque notre action reste entièrement verbale et que nous disons seulement que nous espérons que le destin ne malmène pas trop ceux que nous aimons bien. De plus, il y a belle lurette que nous avons, du moins la plupart d’entre nous, cessé de communiquer avec un ciel compatissant chargé de conjurer le mauvais sort ; nous ne croyons pas qu’un souhait puisse transformer de façon magique la situation et pourtant nous envoyons des vœux à tout notre entourage.
Est-ce que nous répétons des coutumes anciennes, sans y croire, avec l’indulgence qu’on a pour les traditions (comme nous accrochons à nos portes des couronnes de bienvenue, comme nous posons des lentilles sur de la ouate humide pour qu’elles aient grandi au seuil de la nouvelle année, comme nous mangeons des grains de raisin pendant que s’égrènent les douze coups de cloche de minuit le 31 décembre), avec l’indulgence que l’on a pour les croyances des enfants, le père Noël, le lièvre de Pâques, la petite souris ?
Nous savons que l’efficacité magique des vœux est une illusion, que l’on est sans protection face aux menaces de l’avenir et qu’il n’y a personne à implorer et pourtant nous marquons la frontière de la nouvelle année, (Dans les chansons russes, ce seuil est très concret : le nouvel an apparaît à la porte. Il frappe à la fenêtre et pénètre dans la maison ! et comme tout nouveau venu, il peut tout changer. Le passage de l’an appelle à la réinvention de la vie).
Cependant, la répétition ne va pas sans métamorphose. On envoie moins de cartes de vœux. Celles-ci accompagnaient la scolarisation de masse, les débuts de la société de consommation, la démocratisation des années d’après-guerre. Elles étaient l’occasion de renforcer les liens distendus dans les familles (c’était le rôle des femmes d’écrire aux parents un peu éloignés à qui on n’avait pas grand-chose à dire afin de « maintenir le contact »). Aujourd’hui, le téléphone portable facilite tellement les échanges qu’il n’est plus besoin de réaffirmer l’unité familiale à date fixe. D’autre part, Internet fourmille de sites dédiés qui fournissent des messages préfabriqués « originaux ». Il suffit de cliquer pour envoyer des vœux tout frais qui se gardent bien de répéter les formules consacrées.

Cartes de voeux au Bon Marché
Les cartes qu’on trouve dans les magasins sont souvent des objets décoratifs, bibelots destinés à rester quelques temps sur une étagère et il y a moins de choix.

Carte de voeux.
Envoyer des vœux est peut-être un « acte de langage », mais son étrange efficacité n’est pas là où elle dit qu’elle est : les vœux ne mettent plus en relation avec des divinités. Ils permettent plutôt d’éprouver un bref moment de communion avec des êtres humains : « Je ne suis pas (encore) renvoyé à la solitude puisque je suis le destinataire de tous ces voeux, alors même que ma vie professionnelle s’est arrêtée, que le nombre de correspondants commence à diminuer ! » et pour les plus jeunes : « mon carnet d’adresses est bien rempli. J’ai de multiples correspondants au-delà du cercle familial. Me voici au cœur d’un réseau ».
Cette année, les vœux que je reçois sont étrangement précautionneux : En vieillissant, nos amis sont désabusés. Ils se résignent à faire deux parts dans leur vie : celle de la désolation politique et celle de l’amour de leurs proches. « Que la catastrophe nous épargne pour cette année et nous laisse encore le loisir de vivre en paix », ou encore dans sa version espagnole, « A pesar de todo ». Ils se rabattent donc sur le triplet santé, prospérité, amitié, ou encore curiosité, énergie, vitalité.
Le médium
Un de nos amis que j’appellerai Martin a raconté l’histoire suivante : « Cet automne, j’ai vécu une étrange expérience à laquelle je ne m’attendais pas du tout. J’ai toujours été un homme rationnel, un cartésien qui n’était pas prêt à renoncer à ses convictions.
J’étais avec une jeune femme. Il bruinait et nous sommes entrés dans un troquet de la Butte aux Cailles pour nous protéger. Les tables étant toutes occupées, nous nous sommes dirigés vers le comptoir pour prendre un café en attendant que des places se libèrent.
Des clients étaient déjà là accoudés et l’un d’eux s’est brusquement adressé à moi : « Toi aussi tu es né sous le signe de la Vierge. Pour un musicien, ce n’est pas si mal ». Il a ajouté : Tu as connu une grande crise, mais tu vas la surmonter. A partir de février, tu entreras dans un nouveau cycle ».
Les révélations qu’on venait de me faire ne pouvaient pas avoir été préparées à l’avance : je n’avais jamais rencontré cet homme et ses compagnons. Je n’avais jamais mis les pieds dans cet endroit où personne n’avait entendu parler de moi, et nous avions seulement eu le temps de prononcer les phrases indispensables pour commander nos cafés. On ne pouvait pas lui avoir indiqué mon signe du zodiaque et ma profession.
Le garçon vida son verre, salua ses amis et s’en alla, sans ajouter un mot. Je demandais à ses compagnons qui il était.
– C’est un médium, répondit l’un d’entre eux, comme si c’était normal de m’annoncer que les esprits existent, qu’ils savent tout de nous et qu’ils confient des bribes de nos histoires à des jeunes gens qui trainent dans les cafés.
J’ai toujours été un homme rationnel, et je n’ai pas su que faire de cet autre monde qui s’était tellement rapproché. Je n’ai plus rencontré le jeune homme, bien que je me sois approché plusieurs fois du café. Quelquefois, il me semble que la conversation a été une illusion et pourtant la rencontre s’est vraiment passée comme je viens de la raconter. Quelquefois je me dis que quelqu’un quelque part sait tout de moi ».
Pourquoi le médium s’était-il adressé à notre ami. Il n’avait rien demandé en échange de son savoir qui avait l’air complètement désintéressé. Que voulait-il ? Peut-être seulement exister aux yeux de ses amis qui admiraient ses pouvoirs. Est-ce qu’il avait rencontré Martin par hasard ? Mais sait-on ce qu’est le hasard ?
L’aube de l’année à la Butte-aux-Cailles
Nous sommes retournés sur la Butte-aux-Cailles. On découvre cette colline abrupte qui domine le boulevard Blanqui une fois passée la voûte de l’escalier Atget, juste en face du métro Corvisart. Une fois traversé l’immeuble on est ailleurs : une volée de marches et déjà le parfum d’un figuier, l’anse d’un jardin cerné par les immeubles. Sur la butte, proprement dite, il n’ya que de petites maisons car le terrain, réputé fragile, ne supporterait pas les fondations des grands immeubles.
La Butte aux Cailles a un joli nom qui fait penser aux oiseaux des champs, mais elle le doit à un certain Caille, propriétaire d’une vigne, plantée sur ce coteau au XVIe siècle. De la butte à Caille, à la Butte-aux-Cailles, il suffisait d’ajouter un s. Elle réapparaît dans l’histoire pendant la Commune de Paris quand les « Fédérés commandés par Walery Wroblewski repoussent par quatre fois les troupes versaillaises » (24 et 25 mai 1871). (Wikipédia) Chaque année l’Association des Amis de la Commune de Paris commémore ces deux jours-là. On a donné le nom de la commune à une place. Aux batailles mémorielles a succédé là aussi un tourisme de la mémoire.
Je crois bien que Le Temps des cerises a été composé par Jean-Baptiste Clément en souvenir d’une infirmière de la Butte, tombée sous les balles des Versaillais. Aujourd’hui, c’est un nom de café !
La rue des Cinq Diamants est un haut lieu bobo. Mais quelque chose demeure de l’esprit d’insoumission parmi les jeunes gens qui opposent leur envie de vivre l’instant présent à ceux qui leur disent d’économiser leurs forces, et de chercher sérieusement du travail. Ils vont donc chez Gladines, ou chez Mamane manger comme dans une cantine (les tables étant collées les unes contre les autres on ne peut que fraterniser avec ses voisins). Quand il n’y a vraiment plus de place, ils se retrouvent au Passage des artistes. Il y a tant de monde qu’on patiente dehors, un verre à la main. On est donc toujours sûr de rencontrer quelqu’un.
Quant on sort du restaurant, on peut arpenter les rues pavées Paulin Mery et rue Gérard, photographier les oeuvres de street art…Dans ce haut lieu de l’art de rue, j’aime surtout les pochoirs de Miss-Tic, qui signe d’un pseudo féminin, redoublant les images qu’elle installe un peu partout dans le quartier, et qui la montrent en belle jeune femme charnelle, chasseuse d’hommes sans culpabilité.
Les images sont toujours accompagnées de calembours qui déconstruisent les stéréotypes, tout en racontant des histoires de cœur. Tantôt la belle est une séductrice féministe affirmant fort son droit au désir : « Alerte à la bombe » « Il fait un temps de chienne ».
Tantôt elle s’interroge : « Le masculin l’emporte, mais où ?»,
ou bien joue des à peu près phonétiques : « Le temps est un serial qui leurre »
Lorsqu’on est un habitant de la Butte, on va remplir des bouteilles d’eau à la fontaine de la place Paul Verlaine (l’eau qui sort d’un puits artésien profond de 582 mètres est la plus pure de Paris et il y a toujours quelqu’un qui vient se ravitailler). Lorsqu’on habite à la Butte, on va à la piscine de la Butte, une des plus anciennes de Paris (1924), dont les bassins seont alimentés en eau naturellement chauffée à 28°C par un puits artésien.
Les courageux poussent jusqu’à la rue Barrault : au numéro 22, de petites maisons rappellent le souvenir des Russes qui pouvaient vivre dans ce quartier modeste. Rue Daviel, c’est la Petite Alsace avec ses pavillons à colombage et surtout la Villa Daviel. Jadis, des demeures pour les ouvriers. A présent hors de prix.
On reviendra au printemps pour voir les glycines et les roses mousseuses… Aujourd’hui, Paris est encore plus sombre que le jour où notre ami a rencontré le médium. Mais c’est égal la pluie emporte dans les caniveaux les derniers débris des mauvais jours. Il suffit d’attendre février et tout ira bien.
Suffira-t-il d’attendre février ?? Y.
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Avec la pluie et le vent , l’air du temps est plus pur aussi . . .
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