Le métier de conducteur de bus, traditionnellement masculin s’est ouvert aux femmes. La RATP recrute désormais des femmes ou des hommes bien sûr quelle que soit leur origine ethnique. C’est pourquoi une affiche du métro montre une jeune femme d’origine non-européenne, radieuse, le volant d’un bus entre les mains. Ainsi les femmes qui passent dans les couloirs ne pourront pas se dire « Ce métier n’est pas pour moi ! ». Cette opportunité d’emploi s’adresse aussi à elles : « Moi aussi je peux le faire ! ».
Le texte qui accompagne l’affiche est ainsi rédigé : « Devenez conducteur de bus ». Les néo-féministes prétendent que les femmes sont invisibilisées par le genre masculin. Les lectrices ne se sentiraient pas concernées par un tel message. Selon les militantes de l’écriture inclusive, il faudrait écrire avec un point médian quelque chose comme conduct.eur.rice afin d’abréger la lourde coordination, « Devenez conducteur ou conductrice ».
En réalité, la solution du point médian gênerait, voire empêcherait la lecture pour la plupart des passants. D’une part, le point sert habituellement à séparer les phrases. Cette habitude de lecture fondamentale, installée depuis le cours préparatoire, est perturbée par des points qui interrompent quelque chose qui n’est pas une phrase. Une autre habitude de lecture est de séparer les mots par des blancs. Or conduct.eur.rice vaut comme l’abréviation de trois mots (conducteur, ou, conductrice). Pis encore, les tronçons isolés par des points n’ont aucune fonction sémantique ; par exemple « rice » n’a aucun sens en français. Enfin, habitué à faire correspondre des lettres et des sons, un lecteur ordinaire va avoir tendance à lire « conducteurice ».
Utiliser la coordination que le lecteur est invité à rétablir produit par ailleurs un effet étrange : la présence du masculin ET du féminin donne l’impression que conducteur n’est pas tout à fait le même métier que conductrice. Soit on devient conducteur, soit on devient conductrice, comme s’il s’agissait d’activités distinctes. Des années de luttes féministes pour conquérir le droit d’occuper tous les postes de travail en tant qu’être humain se trouvent ainsi niées. (Bien évidemment, quand il s’agit de s’identifier on n’est pas tenu au générique et il est tout à fait banal de dire : « je suis conductrice »)

Le concepteur de l’affiche en est sagement resté à l’orthographe reçue, considérant que dans le contexte le masculin générique était sans équivoque : conducteur englobait évidemment les femmes et les hommes. Pour les grincheux, il a ajouté H/F entre parenthèses (ce qui montre qu’il existe toute sorte de moyens discursifs de souligner des intentions, sans perturber la langue écrite).
Conclusion ? C’est en contexte qu’il faut juger du caractère équivoque ou non d’un message. Pour promouvoir l’égalité professionnelle, l’affiche clairement féministe de la Ratp n’a pas besoin d’une graphie ostentatoire.