On voulait marcher le long du canal de l’Ourcq de La Villette à Bobigny ou plus loin, mais très vite il s’est mis à pleuvoir, une pluie de décembre froide et insistante.
Au début, on aimait tout, la Géode, le Zénith et les pelouses de la Villette. Mais peu à peu, on est entrés dans le gris de la pluie et on s’est mis à maugréer contre les pantalons humides et les pieds froids.
Et toi, tu t’es enroué à force de dire que tu étais en colère, que les usines, les ateliers, les entrepôts avaient tous fermé. Les Grands Moulins de Pantin (beaux comme une cathédrale industrielle) étaient devenus un centre de la banque BNP Paribas. 3000 salariés y travaillent, mais ce ne sont plus les mêmes personnes. Les briques blondes ont été nettoyées, le beffroi est magnifique; il n’y a plus besoin d’ouvriers et les chômeurs tournent en rond dans leur banlieue. « Place aux joggeurs », disais-tu avec amertume.
Et tu me montrais les bâtiments en ruine, les hangars délaissés, l’ancien bâtiment des douanes, en attente de réhabilitation. « Saloperie de réhabilitation. On va en faire une agence de publicité ». En attendant, le bâtiment est entouré d’un linceul pour éviter la chute de décombres et tu imagines les retraités qui viennent pour regarder le vide là où il y avait du travail.
Moi je te montrais les graffes. Un peu plus loin, quelqu’un a tracé à la bombe « Avouez qu’il y a des couleurs ». Malgré la pluie et le ciel triste. Il avait raison.
Toi, tu me montrais les voitures désossées, les carcasses brûlées. « Il ne doit pas faire bon traîner ici la nuit. Mais puisqu’il n’y a plus de travail, plus de classe ouvrière fière d’elle-même, que peut-on dire aux dealers qui font vivre leurs familles et gagnent plus en une semaine que les fonctionnaires du coin en un mois ? ». Au mieux, les familles ne savent pas. Plus vraisemblablement, elles ne veulent pas savoir d’où vient l’écran plat qui trône au salon.
Je te disais. « Regarde. Les graffeurs vont mieux que toi. Ils ne se lamentent pas. Ils répandent leurs noms de code, Zebur, Kebular, Raffi et ils écrivent partout de petites phrases ironiques : « Méfiez-vous des apparences » » .
Et tu me disais. « La boboïsation a plus d’un tour dans son sac. Les mairies organisent des Croisières Graff et des promenades ccompagnées par des « médiateurs »».
Le Module De Zeer, Le Cyklop, Jace, Levalet, et tant d’autres vivent de leur art (tant mieux pour eux). Mais ne me parle plus de protestation…
Au bord de l’eau, malgré la pluie et les pantalons mouillés, le canal inutile est bien joli.