Bastia 2023

Bastia est bâtie sous une montagne à l’entrée d’une anse étroite. La mer et les pentes abruptes de la Serra di Pignu empêchent tout étalement urbain. Seule la route de la plaine orientale en direction du sud a vu se développer la zone commerciale et les lotissements qui accompagnent désormais toute ville française.

C’est pourquoi Bastia a gardé sa belle allure de cité méditerranéenne. La ville basse est serrée autour du port. La ville haute, autour de la citadelle.

Y entrer par l’Aldilonda

Pour les piétons, l’idéal est de se garer à la plage située à l’entrée de la ville et d’emprunter la passerelle de l’Aldilonda (au-dessus de l’eau), construite au pied des remparts de la citadelle, qui permet de contourner la ville haute. Les promeneurs marchent sur la mer en écoutant le clapot des vagues qui bat doucement sous leurs pieds. Ils avancent entre l’à-pic de la citadelle et les jetées du front de mer que les autorités renforcent contre les tempêtes. 

L’arrivée sur le vieux port est ravissante. Jadis, quand le ferry de Marseille accostait, nous apercevions une ville pauvre et délabrée. Aujourd’hui, les vieilles façades ont été presque toute réhabilitées et repeintes aux couleurs du soleil, roses, ocre, jaune, rouges.

Bastia. Arrivée par l’Aldilonda

S’y promener

Derrière le port, c’est un dédale  de ruelles commerçantes. Le visiteur peut dénicher des épiceries qui vendent des produits AOP à des prix raisonnables. Il entre dans les librairies, se régale de glaces. La vaste place Saint Nicolas, bien dégagée, est un endroit idéal pour prendre un verre. Les églises de confréries sont restaurées. Jeune, je ne jurais que par l’art médiéval et je détestais ce que j’appelais l’excès baroque. J’ai changé et j’ai appris à aimer la lumière  à la fois sombre et dorée des églises, les statues surmontées d’angelots entourées de guirlandes où luisent des fleurs d’or.

Très haut au-dessus des têtes, la reine des cieux flotte sur son nuage ; le bleu lumineux de son manteau illumine la voûte.

Monter à la citadelle

Les jardins et l’escalier Romieu se trouvent en contrebas du Palais des Gouverneurs et du bastion Saint Charles. Un escalier grandiose se divise en deux avant de se réunir sur un petit palier pour repartir à l’assaut de la colline.

Escalier Romieu

Il a été imaginé par l’architecte bastiais Paul-Augustin Viale entre 1871 et 1874. La rampe qui monte jusqu’à la ville haute traverse un jardin méditerranéen. Un pin déploie son panache dans le ciel⁰. Il fait bon.

Un pin au jardin Romieu

La ville haute permet de comprendre le nom de Bastia, « poste fortifié ». La bastia, tour de guet, a été édifiée en 1380, par le gouverneur génois Leonello Lomelline, puis  rapidement transformée en citadelle. Il est trop tard pour visiter le palais des gouverneurs (1480) qui est aussi un musée d’histoire de la ville et l’oratoire de la Confrérie de Sainte-Croix est fermé pour réparations.

Mais le chemin de ronde est accessible. Malheureusement, la concentration de slogans xénophobes y est impressionnante.

Inscriptions et conflits identitaires

Ils sont encore plus visibles d’être peints en noir sur l’ocre des murs tout juste repeints. Le rejet s’exprime tantôt en corse (Populu corsu svegliati, peuple corse, réveille-toi), tantôt en anglais (French go home) !  plus rarement en français. Les conflits identitaires sont symboliquement racontés par les écritures urbaines : alors même que le français domine le corse dans les conversations qu’on entend dans les rues, le corse écrit s’impose comme la promesse d’un avenir où il aura supplanté le français tout en s’accommodant de l’anglais universel.

La colère s’exerce contre les « Français » et les Arabes, des étrangers sommés de déguerpir, ce qui ne manque pas de piquant lorsqu’on sait que l’île vit largement des minima sociaux dispensés par l’Etat français et du tourisme (39 % du Produit intérieur brut, selon l’Insee avec une clientèle touristique qui vient du continent pour 66%). Il y a bien sûr un énorme problème de logement en Corse (comme à Paris ou en Bretagne), mais les propriétaires corses participent joyeusement au développement des locations à la semaine, ce qui fait exploser les prix de l’immobilier…. L’appât du fric est aussi irrésistible et général là qu’ailleurs.

Je m’inquiète moi aussi de vivre dans une France où le fléau de la drogue se répand, entraînant insécurité, violence, argent sale ; le peu d’action des pouvoirs publics me rend furieuse,… mais ce ne sont pas « les Arabes », mais « des Arabes » qui tiennent les filières : la demande d’intervention contre les dealers ne saurait justifier l’appel au lynchage de personnes non pour ce qu’elles font mais pour ce qu’elles sont.

La chrétienté dont se réclament les graffiteurs (Corsica terra cristiana) est aussi douteuse qu’inquiétante. Les églises sont vides à Bastia comme à Paris, mais on en appelle à débarrasser la ville de ceux qui ne sont pas de la bonne religion, alors qu’on sait où les identités fantasmées et le rejet des « autres » mènent les peuples.

Combien sont-ils derrière ces slogans ? Il suffit d’un individu et d’un pot de peinture pour une campagne de bombage.

– Ne fais pas attention dit l’amie. Moi je ne fais pas attention. Ce sont des petits couillons qui ne doivent même pas avoir de barbe au menton.

– Je ne m’emballe pas, mais personne ne se presse pour effacer les inscriptions…

Il est vrai que je peux opposer à ces messages haineux, la conversation avec un voisin polonais qui a beaucoup bourlingué avant d’arriver à Porto-Vecchio. Il vit là depuis dix ans, n’a jamais été regardé avec suspicion par personne, s’entend bien avec ses voisins : « En arrivant ici, je me suis dit. Ça y est, j’ai trouvé ma place ! ». Il est celui qui travaille dur et avec qui on échange volontiers. Il est de ce pays qu’il a choisi. Sa petite fille qui joue avec les gamins du quartier n’a pas de doute. Elle est corse.

2 réflexions sur “Bastia 2023

Laisser un commentaire