Le hasard des réservations a fait que nous avons vu successivement Les Puritains de Bellini au Théâtre des Champs-Elysées, puis Nixon in China à la Bastille.
On ne peut pas assister à des spectacles plus contrastés.
Les Puritains au Théâtre des Champs-Elysées

Le livret des Puritains de Calo Pepoli est indigent :
Elvira est la fille d’un partisan de Cromwell. Elle va cependant épouser son amoureux Lord Arthur Talbot, un partisan des Stuart, grâce à l’intervention de George Valton, frère de son père.
L’amoureux éconduit, le jaloux Riccardo, déclare qu’il ne pourra assister au mariage car il doit convoyer une prisonnière d’État. En échangeant quelques mots avec cette dernière, Arturo comprend qu’il s’agit d’ Henriette d’Angleterre (Enrichetta), destinée à être décapitée sur ordre de Cromwell. Elvira, par jeu, a posé son voile de mariée sur le front d’Enrichetta, Arturo décide soudain de faire évader la reine dissimulée sous le voile de sa fiancée. Riccardo reconnaît sa prisonnière malgré son déguisement. Comprenant le parti qu’il peut tirer de la situation pour épouser Elvira, il laisse Arturo s’enfuir avec sa prisonnière. Le chœur des Puritains maudit la trahison d’Arturo et Elvira perd la raison persuadée d’être abandonnée.
La voici délirante, convaincue d’être attendue à l’église par son bien-aimé (Quella voce sua soave … Vien diletto in ciel). Telle une Ophélie italienne, elle court les bois en chantant un vieil air qu’elle partageait avec Arturo, Cinta di fiori. Celui-ci, qui a échappé à ses poursuivants, lui répond soudain. A peine réunis et à peine Elvira a-t-elle retrouvé la raison, qu’ils sont surpris par des soldats. Il ne leur reste qu’à mourir ensemble (Alto là ! Fedel drapello !). Soudain, des trompettes résonnent pour annoncer une fin encore plus invraisemblable : les Stuarts ont été vaincus et Cromwell a prononcé une amnistie afin de rassembler les deux factions ce qui permet à Arturo et Elvira de se marier sans délai.
Elvira est une version « modérée » de toute une série d’héroïnes écrasées par la société qui contrarie leurs amours. Ses proches et les Puritains admirent de façon obsessionnelle sa pureté (comprendre qu’elle est vierge et fidèle), pureté qu’incarne son soprano stratosphérique qui s’arrête juste avant que la note se change en cri de souffrance. Si son mariage échoue, cette chaste jeune fille n’a d’autre choix que la folie ou la mort, seules issues envisageables pour échapper à l’enfermement familial et clanique.
De mise en scène, il n’était pas question au Théâtre des Champs Elysées qui donnait l’opéra en version concert. Il ne restait que le chant, mais nous sommes chez Bellini. Stendhal (qui n’appréciait qu’à moitié Bellini) évoquant des compositeurs du 18e siècle comme Cimarosa, écrivait que certains compositeurs « inventaient en mélodie » ([1829, 1997], 502) : Les Puritains sont inventés en mélodies. L’œuvre est une succession d’airs magnifiques, le plus souvent mélancoliques, avec des phrases qui s’étirent, qui s’étirent indéfiniment. J’ai grandi avec La Callas qui me mettait les larmes aux yeux en chantant Rendetemi la speme (« Rendez-moi l’espoir ») comme une invitation personnelle à trouver une dernière jouissance dans un chant éperdu.
Jessica Pratt chante avec moins d’intensité, cependant son agilité vocale exceptionnelle fait merveille dans cette musique qui trouve son chemin entre illusion et égarement. Elle est si sûre d’elle, que je n’ai pas ressenti l’angoisse qui accompagne souvent l’écoute de ces airs sidérants où les sopranos risquent de rater la note suraiguë de leur vocalise.
Nixon on China

Nixon in China, c’est tout l’inverse. La musique répétitive de John Adam n’est pas mal du tout et Gustavo Dudamel dirige impeccablement une partition aux rythmes périlleux, mais j’aurais du mal à l’écouter sans l’appui des paroles et de la mise en scène. Le livret politique et psychologique d’Alice Goodman est intelligent, ironique sans être manichéen ; la mise en scène de Valentina Carraso, un régal.
En 1971, la Chine invite Nixon pour rompre son isolement. L’équipe de ping-pong américaine avait amorcé ce rapprochement en faisant une tournée en Chine un peu auparavant (et perdu son match 13/0 ce qui est rappelé dans l’opéra). C’est pourquoi le prologue montre une partie au ralenti avec deux pongiste un bleu pour les Etats-Unis, un rouge pour la Chine.

Nixon (Thomas Hampton), sa femme, (Renée Fleming), et Kissinger atterrissent dans un grand avion-aigle et sont accueillis par les dirigeants dans un salon-bibliothèque où les livres ne sont que des trompe-l’œil. Les vrais livres sont au niveau inférieur, invisibles pour les invités. Ils servent en fait de combustible pour chauffer la résidence. Pendant que Mao cherche à discuter philosophie avec Kissinger, un intellectuel est battu dans ce sous-sol.
Pat Nixon visite une fabrique d’éléphants en verre, elle rencontre les gens dans une ferme de cochons, une école. La mise en scène qui utilise des figurines de carton avertit que tout ceci est un simulacre… Pat chante son émerveillement d’être en Chine et rêve d’un avenir pacifique « This is phophetic ». C’est un air magnifique que Renée Fleming chante avec simplicité et avec une émotion communicative ! Elle se promène dans un parc suivie par l’affectueux dragon rouge de l’Opéra de Pékin. La femme de Mao, Jiang Qing, offre alors une représentation de son opéra révolutionnaire que Pat Nixon trouve atroce. Jian Quing remet les choses à leur place à coups d’aigus tranchants. La vérité, c’est l’affrontement brutal entre les deux peuples.

La dernière partie s’ouvre sur le témoignage d’un professeur du conservatoire de musique de Pékin, torturé et emprisonné pendant la Révolution culturelle. Les Américains sont pour leur part représentés par des images des bombardements du Viet Nam, ce qui relativise évidemment la comédie du rapprochement que chaque dirigeant jouait au premier acte.
Les tables de ping-pong sont renversées. Les couples présidentiels ne dialoguent plus. Chacun des vieux dirigeants regrette sa jeunesse auprès de sa femme. Mao, soudain vêtu d’une chemise hawaïenne, rêve de pêcher des petits poissons dans une rivière du Hunan. Nixon, réconforté par sa femme, se souvient d’avoir toute une nuit attendu la mort lors des bombardements japonais. Ce sont des gens normaux, faillibles et pourtant ils ont changé l’histoire.
Il n’y a que le sage Chou-en-Laï (Xiaomeng Zhang) pour se demander à la fin « De tout ce que nous avons fait, qu’y a-t-il eu de bien ? »

J’ai donc vu mon premier opéra contemporain politique.
r esmusica.com/2023/04/01/entree-remarquee-de-nixon-in-china-a-bastille/
Stendhal, [1829, 1997], Promenades dans Rome, Paris Folio Classique.