il y a déjà deux jours que Myriam m’a prévenue :« Les petits grèbes sont nés mais les parents ne les portent pas encore sur le dos ce qui est un spectacle fascinant mais il faudra te dépêcher pour les voir cette année parce que cela ne dure que quelques jours. »
Malgré le froid vif et un emploi du temps serré, nous prenons le chemin de béton qui longe le lac après la préfecture de Créteil où se trouve la demeure des grèbes. Le temps a changé tout à coup. Il fait froid et le ciel est très nuageux.


Les roseaux bougent au vent, à deux pas des immeubles.

Pourtant, malgré le retour de l’hiver, les naissances se sont accélérées et en longeant la rive, on ne compte plus les nids occupés. Ces oisillons hirsutes sont-ils des foulques ?

Les vedettes sont les grèbes : nous avons rencontré deux personnes qui, nous croisant un peu avant notre destination, nous ont hélés : « Ils sont nés. Ils sont nés ! Avec votre appareil, vous avez une chance de les prendre en photos ! » Seulement, si le couple de cygnes qui a construit son nid contre le quai se borne à siffler quand le regard insiste trop, les grèbes restent cachés derrière le rideau des roseaux.

De surcroit, la mère qui flotte sur l’eau grise sans avancer cache les oisillons sous son aile. Il faudra revenir dans quelques jours pour voir les petits se promener sur son dos.
Mais pourquoi donc étais-je si contente à l’idée de voir des grèbes huppés ? Pas seulement pour les aigrettes élégantes, les plumes rousses et le bec allongé, pas seulement parce que les petits montent sur le dos des adultes et partent ainsi en promenade, mais parce qu’entendant parler des grèbes de Créteil, j’avais l’impression d’avoir rendez-vous avec un souvenir archaïque. Ce souvenir ancien m’est revenu soudain. Le nom grèbe se détache sur le fond des lectures d’enfance à présent presque oubliées. Parmi les albums du Père Castor si bien illustrés par Rojan, j’ai lu les aventures de Plouf, Le Canard Sauvage qui vivait sur un étang, entouré d’oiseaux amicaux dont les petits Grèbes en habits rayés. C’est un étrange plaisir de retrouver les premières évocations de petits fragments de réalité arrachés au passé.

Le Petit Grèbe, c’est aussi le titre d’une nouvelle farfelue d’Haruki Murakami, légèrement angoissante comme souvent dans cette œuvre. Après avoir erré dans de longs couloirs, le narrateur tombe sur un gardien chargé d’annoncer les visiteurs, qui lui demande le « mot de passe ». S’il ne trouve pas la réponse, alors qu’on ne la lui a pas communiquée, le narrateur ne pourra pas se rendre à un rendez-vous professionnel important pour lui. Pour aider le nouvel Œdipe, le portier donne des indices : le mot a rapport avec l’eau, il comporte 5 lettres, commence par un G et ne se mange pas. Le narrateur propose « Grèbe » aussitôt refusé, mais il insiste et maintient qu’il n’y a pas d’autre solution à l’énigme. Il élève tant la voix que le gardien finit par se laisser fléchir et l’annonce.
« Ne laisse pas quelqu’un te dire ce qu’est la vérité, semble dire Murakami. Rebelle-toi et tu sortiras du cauchemar ? ». Cependant le récit ne s’achève pas là. Il nous emmène dans le monde tout aussi loufoque de la personne qui reçoit le héros. Même s’il a les attributs extérieurs d’une sorte de directeur d’entreprise bien ancré dans le quotidien (montre, fauteuil de cuir, lunettes), ce dernier est le petit grèbe. On ne saura pas si c’est le narrateur du premier épisode qui le voit désormais comme un grèbe ou si le directeur est un grèbe qui se tient à la frontière de la réalité et de l’imaginaire…
Même sans le savoir, je transporte avec moi ces motifs rencontrés dans les livres les plus inattendus. Il n’est pas besoin que ces livres appartiennent à la littérature. Ma bibliothèque imaginaire garde dans ses rayonnages des phrases, des images, des mots. Tout à coup une rencontre les fait réapparaître et je m’aperçois que ces souvenirs dormants m’accompagnaient depuis des années.
joli, cet essai autour du thème du grêbe! Dommage que le temps ait été hivernal, le beau temps est revenu!
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Et puis, mère et enfant (je n’en ai vu qu’un) sont restés planqués derrière les roseaux tout le temps de notre visite. Il aurait fallu s’installer patiemment pour une heure au moins. c’est égal. c’était vraiment charmant de voir le petit -en pyjama rayé – installé sur le dos de sa mère et essayant d’imiter ce qu’elle faisait en plongeant la tête dans l’eau.
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