Avant le confinement : de Saint-Germain-en-Laye à Conflans-Sainte-Honorine

Cette balade qui peut faire de 16 à 20 kilomètres selon les chemins empruntés permet de passer d’une branche à l’autre du RER A

A la sortie de la gare de Saint-Germain-en-Laye, c’est tout de suite le château et la majestueuse terrasse de Le Nôtre, fréquentée à cette heure par les sportifs, les parents avec leurs enfants, les chiens avec leurs maîtres. Une fois dépassé le château du Val, il reste peu de promeneurs. Plus de chiens, plus de propriétaires de chiens. La dernière personne qui nous a parlé avait, a-t-elle dit, 81 ans et s’apprêtait à refaire le chemin de Compostelle.

« – Vous pouvez vous aussi, vous avez de la marge ! Et puis c’est la meilleure façon d’oublier son âge, je vous assure ! » … Après, commence l’avenue de La Muette, une tranchée à travers une forêt de troncs, de branches, de silence et de beaux nuages épais. Saint-Germain davantage que Versailles a été la demeure des rois de France. François Ier a fait tracer l’allée rectiligne qui mène à la Muette pour faciliter le galop de ses chevaux.

Quand les nuages recouvrent le soleil, l’air froid glace les mains, puis le vent les pousse ailleurs, le soleil revient et l’air s’attiédit.

De loin en loin, le sous-bois couvert de feuilles sèches abrite de petits coussins de mousse d’un vert lumineux qui ont colonisé la moindre anfractuosité. Je ressens cette présence double : des arbres réduits à leur structure de bois décoloré et la mousse qui projette sa couleur intense sous la lumière. Je ressens cette juxtaposition comme quelque chose de troublant sans pouvoir aller plus loin que poser des couples d’opposés : la taille majestueuse des arbres et la beauté de miniature des mousses, le dessin et la couleur, la vie et la mort.

Marcher apprend la patience, surtout dans ces allées droites où le but, à l’horizon, paraît reculer tant la distance à parcourir de Saint-Germain à Conflans diminue lentement. Quand le chemin va-t-il s’achever ? Encore un kilomètre… encore un kilomètre… et cette impression de ne pas avancer. Vers la fin, pourtant, on aperçoit les silhouettes de cavaliers qui se dessinent sur le fond jaune d’un bâtiment. Elles passent et repassent indéfiniment, comme si un metteur en scène recommençait la même scène de cinéma parce que les bois de haute futaie vont de pair avec des chevaux et des cavaliers fondus en silhouettes mémorielles. A notre approche, les cavaliers s’évaporent à la façon des fantômes.

Nous arrivons à la voie ferrée. Les ponts sont des frontières : en enjambant celui-ci, dont les parapets sont remplis de graffitis, nous nous retrouvons en banlieue. 

Forêt de Saint-Germain-en-Laye. Route de la Muette. Le pont sur la voie ferrée
Pavillon de la Muette en travaux

Le bâtiment jaune est le Château de la Muette, rendez-vous de chasse construit pour Louis XV. Le pavillon est emballé comme un Christo. En fait, ce n’est pas un happening du grand empaqueteur redescendu du Paradis, seulement un chantier de rénovation avec son inévitable tas de tôles rouillées.

Après le pavillon, les bois recommencent, moins profonds et parcourus par les joggers et les VTT. Certains arbres sont marqués par des signes bleu, vert pomme, rose verticaux qui ont sûrement un sens. Evidemment, ce ne sont pas des marques identitaires de forestiers inspirés par les taggeurs du pont mais les consignes incompréhensibles transmises par la peinture demandent d’aller consulter le code de l’ONF.

Voici l’étang du Corra, en fait une sablière qui a fonctionné de 1929 à 1976. L’eau provient des épandages d’eaux usées, rejetés par la station d’épuration de Paris. Elle n’est pas assez sûre pour que la baignade soit autorisée.

Etang du Corra

L’interdiction de longer la rive fait la joie des canards, cormorans, foulques, hérons et cygnes, nombreux comme partout dans la région parisienne. Sur une petite plage à laquelle on peut accéder, il y a une bande d’oiseaux regroupés qui se chamaillent beaucoup. Le cygne gonfle ses plumes et fonce sans crier gare sur une oie bernache.

Un canard qui paraissait paisible se dresse soudain au-dessus de l’eau, bat frénétiquement des ailes, se jette sur un congénère qui s’en va à peine plus loin. L’oie bernache de tout à l’heure s’élance à son tour et s’arrête aussi vite comme si elle avait oublié qui était son adversaire.

Nous laissons ce petit monde à ses guerres Au reste, l’état général des bords de l’étang est un peu triste : personne ne ramasse les déchets, ni ne se soucie d’entretenir le grillage qui protège les berges.

Ensuite, il faut oser traverser une route passante, puis s’enfoncer dans un lotissement et parvenir à la passerelle pour piétons et vélos qui permet de passer la Seine en évitant le périphérique. Cette piste, je le découvre, est aussi un morceau de « l’avenue verte » qui permet d’aller à Londres à vélo en prenant des chemins buissonniers. La carte qui couvre 470 kilomètres de parcours est disponible dans les offices de tourisme du tronçon. https://www.avenuevertelondonparis.com/

Le pont de Conflans

Depuis la rive, on aperçoit une statue de Saint Nicolas placée contre une pile du pont principal. Le saint, qui est aussi patron des bateliers, bénit les trois enfants placés dans une barque et non pas dans le saloir du boucher.

Dans ma famille parfaitement athée on chantait la complainte des trois petits enfants qu’un terrible boucher avait dépecé et « mis au saloir comme pourceaux » pour vendre leur chair. Saint Nicolas au bout de sept ans venait visiter le boucher. Celui-ci, impressionné par son hôte, voulait lui faire honneur :

 Entrez, Entrez Saint Nicolas,

Il y a d’la place, il n’en manqu’pas

Il n’était pas sitôt entré

Qu’il a demandé à souper. 

Le saint invite le boucher au repentir et ressuscite les enfants qui n’ont aucun souvenir de l’épreuve :

 Le premier dit : « J’ai bien dormi ! »

Le second dit : « Et moi aussi ! »

Et le troisième répondit  :

 Je croyais être en paradis ! » (Chansons du Valois dans Les Filles du feu, http://les.tresors.de.lys.free.fr/poetes/gerard_de_nerval/nerval/les_filles_du_feul.pdf , p 211)

Sur le pont de Conflans, l’artiste avait sculpté une version plus ancienne de la légende : les jeunes garçons sont des matelots menacés par la noyade qui sont sauvés par le saint. C’est parce que le bateau des marins a été confondu avec le tonneau de salaison d’un boucher que l’histoire s’est appliquée à des glaneurs. Voilà, en tout cas, pourquoi Saint Nicolas est le patron des marins et des mariniers  Je me demande si la nouvelle génération reconnait encore  Saint Nicolas ? J’ai dû chanter le cantique des trois petits enfants à l’école, sans que personne n’y trouve à redire. Nos « identités » s’accommodaient de l’histoire évidemment catholique du pays et nous avions plaisir à apprendre ces vieilles chansons si simples et si terribles. Elles contribuaient à la fabrique de l’identité française, comme Joseph Bara qui avait crié « Vive la République » et Pasteur qui avait osé vacciner contre la rage. Je n’avais pas l’impression que je n’étais plus moi-même parce que j’apprenais la culture du pays où je vivais

Vue de Conflans depuis le pont Saint Nicolas

Un temps d’arrêt pour la jolie vue sur Conflans, centre de la batellerie d’Ile de France. Avec ses couleurs tendres et ses bords de Seine, le vieux village sort d’un tableau impressionniste, D’ailleurs on peut longer les quais de la Seine jusqu’à Chatou. en essayant de reconnaître les paysages de Sisley, de Monet ou de Renoir. Ce sera une autre fois, cette promenade étant la dernière avant le nouveau confinement qui nous limite à dix kilomètres. Impossible aussi d’accéder au Musée de la Batellerie de Conflans afin de comprendre en détail le fonctionnement d’une écluse et d’un ascenseur à bateaux.

On longe les péniches. Des mariniers  reviennent en voiture du supermarché et chargent de gros cartons dans leurs péniches. D’autres discutent : « ça, ils ne peuvent pas nous l’enlever, notre air ! ». Dans l’air, justement, les drapeaux flottent comme des cerfs-volants.

Un mât à Conflans

Cinq heures. C’est l’heure des jeunes gens qui courent pour attraper qui leur bus, qui le RER et nous aussi nous nous hâtons avec eux pour rentrer avant le couvre-feu.

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