Que la France est belle ! De l’abbaye de Fontfroide à Saint-Lizier

Que la France est belle ! Hasard du mariage d’une nièce où je voulais aller contre les avis de la faculté, nous avons pris des chemins de traverse pour revenir de Corse, passant à travers les Corbières par la route de Montpellier et de Narbonne, avec un arrêt trop court à l’abbaye de Fontfroide, puis traversant le pays cathare pour aller rendre visite à des amis.  

L’abbaye de Fontfroide dans la paix des collines

Tout semble à l’arrêt quand nous arrivons à une heure. Oliviers gris et cyprès noirs sont immobiles dans la chaleur. Le ciel n’a plus de couleur ; il faut quand même monter le chemin pour arriver à l’abbaye.

La montée vers l’abbaye de Fontfroide

Elle a été fondée par quelques moines bénédictins en 1093, mais c’est quand elle est intégrée à l’ordre cistercien vers la moitié du 12e siècle qu’elle prend son essor, devenant un haut lieu de lutte contre les cathares. Au 14e siècle, l’un de ses abbés, Jacques Fournier, est d’ailleurs élu pape sous le nom de Benoît XII. L’abbaye de Fontfroide est actuellement la propriété des descendants de Gustave et Madeleine Fayet à qui l’on doit le maintien en France de ce monument que des Américains voulaient racheter. Gustave Fayet, financier et vigneron, est un peintre symboliste plus qu’estimable, ami et collectionneur de Gauguin et d’Odilon Redon.

Les cyprès symbolistes de Gustave Fayet

Il restaure l’abbaye qu’il décore en faisant appel à ses amis (Des travaux ralentis par l’épidémie empêchent, hélas, le simple visiteur de voir les panneaux conçus par Odilon Redon pour la bibliothèque et le musée consacré à ses œuvres).

Nous ne resterons pas assez longtemps pour comprendre dans ses détails la structure de l’abbaye, bien qu’un des intérêts de Fontfroide soit d’avoir conservé l’ensemble du domaine, ce qui permet de mesurer l’importance du monastère.

Au reste, l’art cistercien est un art « pauvre ». Église, cloître, bâtiments conventuels sont très peu ornés. Leur beauté repose sur un grand sens des proportions et sur la présence, partout sensible de la nature. On en retrouve les principes ailleurs. Voici par exemple le cloître, bâti de la fin du 12siècle au début du 13e, avec pour les parties basses les chapiteaux à décor de feuillages caractéristiques de cet art.

Cependant l’austérité s’atténue un peu quand, à la période suivante, on ajoute de grands oculi, des galeries de pierre et aujourd’hui, la splendeur des glycines cramponnées aux colonnettes.

Ce ne sont pas seulement les proportions qu’on admire à Fontfroide, ce sont aussi les initiatives des restaurateurs. Par exemple, en place des verrières grises de l’église, Gustave Fayet introduit les vitraux colorés de son ami René Billa. Il fait orner la grande salle qui ouvre sur la cour Louis 14 de grilles en fer forgé au motif de pampres.

La cour Louis XIV et les grilles en fer forgé

Et dans la colline où sont reconstitués des jardins de simples, on est tout à coup accueilli par un petit Bacchus rondouillard.


L’angelot grassouillet du parc

L’enfant grassouillet du parc

Bien qu’arrivé tardivement, ce gourmand joufflu, qui sert une grappe de raisins sur son coeur, rappelle que les abbayes cultivaient la vigne et que les moines étaient de bons vignerons et sans doute de bons buveurs.

A Saint-Lizier (Ariège)

Vous connaissiez Saint-Lizier ? Vous saviez que c’était un puissant évêché et que le palais de l’évêque était énorme ? Moi non ! La ville pourtant ne manque pas d’ancienneté. Elle a reçu le titre de cité romaine au deuxième siècle après Jésus-Christ, est devenue évêché au début du 4e siècle et a pris ensuite le nom de son deuxième évêque, Lizier de Couserans, canonisé sous le nom de Saint Lizier. De son origine gallo-romaine, elle conserve une disposition double : la ville haute et la ville basse. Au sommet, un ancien oppidum, les habitants ont installé une place forte. C’est là que les évêques ont construit leur palais, malheureusement fermé. Nous nous rabattons sur la ville basse, sa cathédrale, ses toits de tuiles qui vont du brun au rose, en passant par toutes les nuances de l’ocre cuit et recuit au soleil.

Saint-Lizier et la tour tolosane de la cathédrale

Les belles demeures, les ruelles couvertes et les fontaines témoignent de ce que Saint-Lizier était un pôle de vie raffiné. Las ! Ici comme dans bien des petits bourgs, les commerces ferment et les habitants partent.

La fontaine et la maison aux volets clos

Ici, la ville n’est pas entièrement morte. On voit renaître des raisons d’espérer.  Le Couserans est un terroir de beaux marbres. Le plus beau de ces marbres, qui porte le nom solennel de « grand antique noir », se trouve à la carrière d’Aubert non loin de Saint-Lizier dans la commune de Moulis. Exploité depuis l’Antiquité, il a notamment servi à décorer Sainte-Sophie à Istanbul, l’hôtel Roosevelt aux États Unis, et à Paris les Invalides. Après une période d’inactivité, l’entreprise italienne Escavam a relancé l’exploitation. Pour le moment, le marbre est traité en Italie et les Français semblent avoir perdu la main, (ou bien ils coûtent trop cher), mais qui sait ?

Les blocs, extraits d’une fosse boueuse,  grossièrement équarris, sont ensuite alignés avant d’être exportés.

Alignement de blocs dans la carrière de marbre d’Aubert (photo J.-M. B.)

Le marbre brut montre une surface accidentée : la profondeur du noir se creuse sous les éclats de couleur blanche créant des structures tourmentées, comme si les collines du Lez, véritables objets gigognes, renfermaient à leur tour l’image de montagnes, de vallées, de gouffres, de glaciers étincelants.

Grand antique Noir : l’esquisse d’un paysage

Certaines dalles m’évoquent les peintures-papiers froissés d’Hantaï où le blanc brille d’autant plus qu’il jouxte le noir.

Tout près coule le Lez, comme un ruisseau de conte, avec son petit pont de pierres et ses eaux tantôt claires et vives, tantôt troubles et calmes.

Les bords du Lez

C’est là que j’ai rencontré mon premier martin-pêcheur. Il est passé devant moi. Je ne l’ai pas vu tout de suite, mais quand notre ami a signalé l’oiseau, j’ai tourné la tête à temps pour apercevoir une tache de lumière bleue.

Pendant ce temps, notre ami parlait de sa passion de photographe. Arrêté devant quelques galets, il racontait comment en augmentant le grossissement, de petites pierres de torrent qui n’avaient l’air de rien devenaient des planètes, comment quelques friselis dans l’eau se faisaient chevelures, ailes, vapeurs irisées, flammes, motifs ondoyants.

C’est fascinant de passer des carrières d’où l’on extrait des marbres faits pour les palais, les églises, les tombeaux des puissants aux bords des ruisseaux où d’humbles cailloux inutiles révèlent leur splendeur grâce au regard du photographe.

A Saint-Lizier, les nuages nous ont rattrapés. Ils étaient entassés derrière la montagne et tout à coup ils ont dévalé sur la vallée effaçant le relief. De grosses averses ont commencé à tomber. Le mariage aurait lieu sous la pluie, donc à l’intérieur… Mais pourquoi y aller ? Et bien parce que notre santé de septuagénaires n’est pas notre priorité absolue. Nous lui préférons  les plaisirs (sages) de nos vies et c’est un plaisir vif de participer au remariage de cette nièce après quelques années difficiles. Me voilà seule de notre génération du côté de sa lignée paternelle et je crois que notre présence lui importe.

Au début de la maladie, je me suis confinée (en rechignant un peu) parce qu’on nous demandait d’être solidaires des médecins submergés. Cette maladie nouvelle était inquiétante ce qui justifiait des précautions extraordinaires. D’ailleurs, il m’en reste quelque chose. Aujourd’hui, je me lave les mains plus systématiquement qu’avant et j’ai arrêté d’embrasser mes amis !

Mais la Covid n’est pas la peste. On voit bien qu’elle n’est pas très contagieuse (la fête de la musique n’a pas fait exploser les chiffres des hospitalisations) ; les hôpitaux ne sont plus débordés. La maladie tue peu, à présent qu’on sait mieux la traiter (1 à 2% des malades, le plus souvent déjà malades). Un peu plus que la grippe, moins que le cancer.

Ceux qui ont des raisons d’être inquiets peuvent évidemment renoncer à toute vie sociale et se calfeutrer chez eux. C’est leur choix respectable, mais faut-il demander à toute la population de vivre en état de semi-confinement ? La mélancolie des vieux dans les EHPAD a détruit leur vie aussi sûrement que le virus et je ne crois pas qu’on puisse sommer la jeunesse de se priver longtemps de sorties, de danse, de concerts, de flirts insouciants et aggraver une crise économique qui s’annonce déjà redoutable pour leur tranche d’âge.

Bref ! Nous ne renoncerons pas à la joie d’être ensemble. Nous nous testerons cependant au retour ou nous attendrons quinze jours pour ne pas propager le virus et contaminer des amis.

Bibliographie:

http://www.escavamar.com/fr/notre-carriere.php

4 réflexions sur “Que la France est belle ! De l’abbaye de Fontfroide à Saint-Lizier

  1. Petite précision, Sonia, St Lizier n’est pas dans l’Ardèche mais dans l’Ariege qui, il est vrai, est un département méconnu au fin fond de la France, tout près de l’Espagne.
    C’est un département qui, outre les richesses qu’offre une nature encore préservée, possède quelques grands sites préhistoriques comme le Mas d’Azil, site éponyme d’une culture préhistorique, l’azilien, connue notamment pour ses galets peints. La plus célèbre découverte de cette grotte c’est le propulseur dit « faon aux oiseaux « chef d’œuvre du Magdalenien.
    D’autres grands lieux préhistoriques dans l’Ariège , plus éloignés de St Lizier, les grottes ornées de Niaux et de Bedeilhac.
    Tout près, cette fois, de St Lizier, la petite commune de Montesquieu-Avantes possède trois grottes, propriétés privées, qui ont gardées leurs trésors intacts, en particulier, les célèbres bisons sculptés dans l’argile du Tuc d’Audoubert.
    Une autre petite précision pour ne froisser aucune susceptibilité locale la carrière de marbre Grand Antique à Aubert se situe sur la commune de Moulis.
    Ces précisions administratives n’enlèvent rien au charme littéraire et aux références esthétiques du texte…
    Merci Sonia et bravo d’avoir su saisir avec autant de justesse et en si peu de temps l’esprit des lieux et le sens de la recherche du photographe en quête de galaxies aquatiques au bord des eaux du Lez…

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    • Oups ! Ce sont toujours les plus grosses bêtises qu’on ne voit pas. Ardèche s’écrit tout seul sous mes doigts, mais l’Ariège et ses trésors deviendront sûrement plus familiers. En tout cas, merci à la lectrice qui a permis d’améliorer le texte. Quant à l’esprit des lieux, je dois tout à mes guides. Je suis contente si le photographe ne s’estime pas trop trahi… et j’attends le nouveau blog avec les photos de Jean et les mots de Danièle.

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  2. Alignements de blocs dans la carrière de marbre d’Aubert …( Ce n’est plus St Lizier)
    Pour rendre à ce lieu ce qui lui revient.
    Pardon, Sonia, pour ces précisions tatillonnes !

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  3. Où l’on voit combien une bonne lectrice est utile (et pardon pour être si peu attentive. Il a suffi d’une petite recherche sur Internet pour que je découvre d’ailleurs que le nom de Moulis était associé régulièrement à la carrière d’Aubert…depuis fort longtemps !)

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