Le Marais juif (2) : des Hospitalières- Saint-Gervais au jardin des Rosiers

Sur la place des Hospitalières Saint-Gervais, à côté du restaurant Chez Marianne, on trouve une école. Elle a été installée sur une partie de l’ancien marché des Blancs-Manteaux, à l’emplacement du Pavillon de boucherie, et la façade est toujours décorée de deux têtes de bœufs en bronze (réalisées en 1819).

Tête de boeuf par Edme Gaulle (1762-1841), 1819DSC05565

Ancienne fontaine à  la tête de boeuf de l’ex marché des Blancs-Manteaux, par Edme Gaulle (1762-1841).

L’enseignement mutuel ; l’école pour tous ; la rafle du Vel d’Hiv

Je dois être une des rares personnes à m’intéresser aux inscriptions des façades  « Ecole primaire communale de jeunes garçons israélites – mode mutuel  –  fond municip. juin mdcccxliv ». « Asile, Ecole primaire communale de jeunes filles israélites – mode mutuel  –  fond municip. juin mdcccxliv ». La pierre garde la mémoire d’un moment  de l’histoire, de ces établissements et plus largement la mémoire d’un épisode de l’histoire de l’enseignement en France.

Asile Ecole Primaire Communale de Jeunes Filles Israéelites. Mode mutuelDSC05566

Fronton de l’ancienne Ecole Primaire Communale de Jeunes Filles Israélites (Mode Mutuel)

Après le concordat, qui organise les relations entre l’Etat et ceux qu’on appelle alors les Israélites, le consistoire obtient le droit d’ouvrir des écoles autour d’un programme qui faisait une place à l’hébreu. Une première école de garçons ouvre en 1819 qui accueille environ 80 écoliers. Pour les filles, l’école s’ouvre en 1822. Quelques années plus tard, des difficultés financières conduisent le consistoire à se tourner vers la Mairie de Paris et à demander que les écoles soient reconnues et financées comme écoles communales, tout en conservant leur spécificité confessionnelle, ce qui sera accepté à condition que le programme soit étroitement contrôlé et que le recrutement des maîtres obéisse aux règles fixées par les autorités. En 1844, sont édifiées deux écoles laïques pour accueillir les jeunes gens de la communauté juive, les garçons d’un côté, les filles de l’autre. Contrairement aux autres écoles, elles étaient fermées le samedi, jour de shabbat, et ouvertes le jeudi, jour de congé partout ailleurs. Il n’y avait pas d’instruction religieuse et la confession juive n’était demandée ni aux enseignants ni aux élèves.

Quant à la désignation de « mode mutuel », c’est un terme opaque, qui perdure  comme une couche ancienne qu’on aurait oublié d’effacer (de fait, c’est le propre des sociétés de laisser affleurer quelques strates du passé pour mieux se réinventer). « Mode mutuel » renvoie aux solutions imaginées au 19ème siècle pour scolariser la population pauvre. En Angleterre, un pasteur anglican Andrew Bell (1753-1832) puis un quaker, Joseph Lancaster (1778-1838), avaient entrepris de décomposer les éléments de la lecture et du calcul en éléments simples que des élèves un peu plus avancés (les moniteurs) pouvaient faire répéter à leurs camarades. Grâce à ce procédé, des écoles encadraient des centaines d’enfants sous la conduite d’un maître unique. Le souci d’économie concerne aussi le matériel : les tableaux de lecture et d’arithmétique remplacent les livres; les carrés de sable fin, puis l’ardoise,  permettent de s’exercer aux premiers tracés de caractères et d’économiser ainsi le papier. En France, la méthode est diffusée par La Société d’encouragement pour l’industrie nationale, fondée en 1801, qui avait pour but de favoriser la Révolution industrielle, mais qui croyait aussi aux vertus émancipatoires de l’instruction. La Société disposait d’un journal pédagogique et de liaison qui comporte 20 volumes, le Journal d’éducation. (L’immeuble qui abritait la société se voit toujours place Saint-Germain). Victor Hugo, parmi beaucoup d’autres  s’était enthousiasmé pour l’enseignement mutuel, efficace, au moins pour les apprentissages élémentaires :

Regarde. Ils vont s’apprendre, en d’aimables leçons,
Ces signes variés qui peignent tous les sons.
Au milieu d’eux se place, en sa chaire mobile,
Leur Aristarque, armé de son sceptre fragile ;
Vois-les, près d’un tableau, sans dégoûts, sans ennuis,
Corrigés l’un par l’autre, et l’un par l’autre instruits ;
Vois de quel air chacun, bouillant d’impatience.
Quand son rival s’égare, étale sa science ;
Ce soir il s’ornera d’un ruban bien acquis,
Et son regard dira : c’est moi qui l’ai conquis. (AVANTAGES DE L’ENSEIGNEMENT MUTUEL.

L’enseignement mutuel suscite cependant l’opposition de l’église catholique soucieuse d’exercer une surveillance étroite sur les enfants. Et puis, la méthode venait de pays protestants ! Elle est marginalisée peu à peu.

Alain Wagneur. Des milliers de places vides30102018

En juillet 1942, la Rafle du Vel D’Hiv, menée par les policiers parisiens touche durement les enfants de l’école. À la rentrée scolaire du 1er octobre 1942, il n’y a que 4 élèves juifs présents…  165 enfants juifs avaient disparu. Alain Wagneur, dans un beau livre intitulé Des milliers de places vides raconte son enquête quasi policière pour savoir comment le directeur de l’école, Joseph Migneret (1888-1949), avait fait sa rentrée devant des classes vidées de leurs élèves. Ses réactions, le directeur ne les a pas communiquées aux autorités scolaires, et plus généralement, Alain Wagneur n’a trouvé aucune trace dans les archives de répercussions suscitées par ces arrestations ni chez les instituteurs ni chez les autorités. L’institution scolaire reste muette. Cependant Alain Wagneur rend hommage à Joseph Migneret qui s’est engagé activement dans la Résistance, fabriquant des faux papiers, cachant des enfants dans un appartement qu’il loue 71 rue du Temple. Son nom est inscrit parmi les 2 693 « Justes de France » sur le monument de l’Allée des Justes (entre la rue Geoffroy L’Asnier et la rue du Pont Louis-Philippe). Une plaque rappelle aussi son action : « À Joseph Migneret, instituteur et directeur de cette école de 1920 à 1944, qui, par son courage et au péril de sa vie, sauva des dizaines d’enfants juifs de la déportation. Ses anciens élèves reconnaissants »

Le jardin des Rosiers – Joseph-Migneret

Le jardin dont l’entrée se situe au 10 rue des Rosiers (jardin des Rosiers) porte aussi le nom de Migneret. On y accède par un petit passage couvert. Quand les ateliers ont périclité, leurs cours ont été réunies et plantées.

A l’entrée une plaque porte les noms des enfants arrêtés pendant l’occupation.

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Aujourd’hui, on y trouve un espace tranquille à l’ombre de vieux arbres, des pelouses où les enfants peuvent jouer, et un carré que les habitants du quartier viennent cultiver. Quand on avance, le jardin fait un coude : un grand figuier rampant fait face à un marronnier centenaire. Nous avons rencontré un mordu de ces figues qui nous a raconte qu’en été, il vient faire provision de fruits et qu’il verrait volontiers le figuier devenir l’emblème de Paris, tant les fruits sont doux.

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Le figuier noueux du Jardin des Rosiers-Migneret

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A l’ombre du marronier. Jardin des Rosiers

Un vol de moineaux s’abat sur un arbuste. Les passereaux se font rares à Paris, mais ici, ils trouvent des plantes qui n’ont pas été traitées. Un panneau se vante d’ailleurs que le sol où est planté le figuier abrite tout un peuple d’insectes et d’araignées.

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Au fond du jardin, on voit la haute cheminée de la Société des Cendres fondée en 1859 et qui a fonctionné jusqu’en 2002 (un des vestiges du Marais ouvrier).

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Cheminée de l’ancien atelier des Cendres, vue depuis le Jardin des Rosiers

L’usine traitait les déchets des bijoutiers et des pellicules argentiques pour en extraire les métaux précieux. En 2014, Uniqlo a acquis le bâtiment désaffecté et a conservé comme décor pour son magasin, la cheminée, la verrière ;  les fours et les meules sont exposés au sous-sol.

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Magasin de la marque Uniqlo, rue des Francs-Bourgeois. La cheminée de l’Atelier des Cendres a été conservée

Après l’attentat de Pittsburg (octobre 2018)

Longtemps, les juifs américains sont venus visiter l’Europe pour contempler, effarés et soulagés, toutes les traces laissées par les persécutions, l’inquisition, les humiliations de l’ancien régime, les pogroms de l’Est, l’affaire Dreyfus, la fureur nazie… Les attentats musulmans étaient le dernier épisode d’une longue série et ils se demandaient pourquoi leurs coreligionnaires restaient en France au milieu des Arabes, au lieu de rejoindre l’Amérique défendue par la barrière infranchissable de l’océan Atlantique. Les plus conservateurs se réjouissaient des positions du président Trump qui s’était spectaculairement rapproché d’Israël, ce qui leur donnait l’impression d’une protection supplémentaire. Bref  ! Quelle que soit la politique d’Israël et quel que soit l’appui que les Américains fournissent à Netanyaou, ils étaient hors de portée des antisionistes. Mais voici qu’un antisémite, adepte des armes à feu, a fait un carnage dans une synagogue de Pittsburg. Nos amis américains ne comprennent rien à ce qui leur arrive ; ils sont obligés de se rappeler que l’antisémitisme « traditionnel » de l’extrême droite est toujours meurtrier et ils ne comprennent pas plus que nous les raisons d’une haine récurrente contre des personnes si semblables à ceux qui les détestent.

 

Wagneur, Alain, 2014,  Des milliers de places vides, Actes Sud, coll. « Le Préau ».

http://www.ajpn.org/juste-Joseph-Migneret-1978.html

Branca Sonia, (1980), « Principes et théorie de l’enseignement du français à l’école mutuelle sous la Restauration », Le français aujourd’hui n° 49, 85-96 ; ° 50, 95-108.

Brody Jeanne, « L’école de la rue des Hospitalières-Saint-Gervais, pratique religieuse et école laïque », Archives juives 26/2, 2e semestre 1995, pp. 49-60.

 

Jardins et balcons de Paris

Les Jardins d’Orient à l’Institut du Monde Arabe

Je suis allée voir l’exposition de l’Institut du Monde Arabe sur les jardins orientaux, et je suis malheureusement arrivée en retard. Mon amie m’avait attendue si longtemps que j’ai un peu sacrifié le début de l’exposition pour la rejoindre. J’ai quand même appris que les Occidentaux doivent l’essentiel de leur art des jardins au monde oriental. C’est à Babylone, non loin de l’actuelle Bagdad, vers 600 ans avant JC, que tout aurait commencé. Pour plaire à sa femme, qui regrettait les collines boisées de son enfance, le roi Nabuchodonosor aurait fait édifier une montagne artificielle, couverte d’arbres sur son sommet et ses terrasses latérales. Des machines hydrauliques, qui ont suscité l’admiration jusqu’à aujourd’hui permettaient de monter l’eau de l’Euphrate jusqu’aux terrasses. L’exposition suggère que cette origine est douteuse et qu’il faut aller chercher en Perse les premiers systèmes d’irrigation efficaces. J’ai cru comprendre que la vis d’Archimède avait été inventée par ces Perses quelques siècles avant la date officielle. En tout cas, le monde des religions du Livre n’a cessé de rêver aux jardins d’Orient puisque le mot Paradis voulait simplement dire ‘jardin’ en ancien persan.

1000 ans plus tard, on propose encore des représentations des jardins de Babylone comme celle d’Athanasius Kircher.Athanasius Kircher. Jardins de Babylone

Et je me souviens d’Henri Salvador qui chantait dans mon enfance :

Voir les jardins de Babylone

Et le palais du Grand Lama

Rêver des amants de Vérone

Au sommet du Fuji-Yama …

C’est donc d’Orient que sont venus nos jardins médiévaux découpés en quatre par des allées en croix et leurs plates-bandes en carrés. C’est en Orient aussi qu’on a pris l’habitude d’enclore de beaux jardins décorés de fontaines. On les retrouve, chez nous, associés au culte marial. Des roses, des lys, et une vierge sage gardée entre les murailles, son missel à la main ou son enfant dans les bras. Au XVIIème siècle, les parcs à la française jouent avec des perspectives grandioses, sans commune mesure avec les jardins du Moyen Age, mais les architectes ont conservé le goût oriental pour des compositions géométriques, disposées autour de pièces d’eau. Bassins et fontaines sont toujours l’âme de nos parcs.

L’exposition présente aussi les échanges entre les arts, les ornements des tapis et des vêtements reprenant les broderies de verdure des jardins. Elle expose d’admirables images du jardin Majorelle de Marrakech avec sa profusion de cactus, yuccas et palmiers adossés à des murs bleus intenses ; elle montre des peintres qui revisitent la tradition des miniaturistes…

D’où vient ma légère déception ? Du côté minimaliste des explications, peut-être. Une photo montre un certain Gabriel Veyre, étendu sur une chaise longue, les yeux clos. L’art de la sieste ? Une nonchalance décadente ? Ce n’est pas à l’IMA que j’en ai appris davantage. Il a fallu que je me branche sur Internet pour trouver quelques renseignements sur ce photographe amoureux  du Maroc. Un peu plus loin, des images de femmes dans les jardins de l’Islam, voilées, dévoilées, entre elles, avec un ou deux hommes… Mais où sont-elles exactement ? A Téhéran, en Arabie Saoudite, au Maroc ? Les légendes des photos ne l’indiquent pas. On dirait que pour la commissaire de l’exposition tout s’équivaut et qu’elle construit une représentation unifiée, forcément trompeuse de la place des femmes dans ces pays.

Déception aussi en ce qui concerne le « jardin évènement » qui devait apporter l’Orient à Paris. Orangers, palmiers, roses et fleurettes sont là, mais la luxuriance n’est pas au rendez-vous. Il est vrai que nous sommes devenus difficiles et que les jardineries nous ont habitués à une profusion de couleurs et d’odeurs. Le Truffaut du quai de la Gare rivalise très bien avec l’Institut du Monde Arabe. Il regorge de plantes d’intérieur et d’extérieur, de fleurs de soleil et d’ombre, potagères ou décoratives ! Soyons patients. A l’Institut du Monde Arabe, les fleurs vont pousser pendant l’été. En attendant, nous avons docilement pris la passerelle pour voir l’anamorphose de François Abelanet et puis nous sommes repartis dans Paris.

Anamorphose. Exposition Jardins d'Orient IMA

Anamorphose. Exposition Jardins d’Orient IMA

La grande olivaie

Les Parisiens sont assez riches pour fleurir leurs balcons. Ils y sont encouragés par les pépiniéristes bien sûr, mais aussi par les écolos qui leur répètent que les plantes des balcons favorisent les insectes pollinisateurs et enclenchent un processus vertueux assurant une ville verte aux générations futures. Que planter ? Les plantes de balcon, c’est un peu comme les prénoms des enfants. En 2016, Louise et Léo ont remplacé Emma et Nathan. Sur les balcons, les géraniums et les pétunias ont reculé devant les lavandes, les lauriers et les oliviers. Pourquoi ? Battage des catalogues peut-être ? Envie de se souvenir de la Méditerranée à Paris ? Besoin de voir du vert en toute saison ? En tout cas, Paris doit être aujourd’hui la plus grande olivaie de France. En attendant que des ethnobotanistes mettent en ligne une enquête sur les balcons parisiens, voici quelques images de cette mode du Sud.

Palmier. Bl Saint-Germain

Palmier au croisement Saint-Germain, rue des Bernardins

L'olivier et le cactus. Rue des Bernardins 5e

L’olivier et le cactus. Rue des Bernardins 5e

Mais les lauriers-roses battus par la pluie n’ont pas le parfum funèbre et sucré des étés de Provence

rue Michelet. lauriers roses

rue Michelet. lauriers roses

et un olivier, c’est d’abord un tronc millénaire qui a connu l’empire romain, résisté à la sécheresse, survécu aux incendies et pas ces arbustes nains, ces bonsaï de balcons. Qu’est-ce qu’une olivaie sans les rafales de vent qui rebroussent les feuilles grises et leur donnent la couleur de l’argent ?