La place de Fürstenberg

La place Fürstenberg est un endroit paisible et mélancolique qui contraste avec l’agitation de Saint-Germain situé juste à l’arrière de la rue de l’Abbaye. A Saint-Germain, il y a surtout des touristes. Ceux qui remplissent les Deux Magots et le Flore sont persuadés qu’ils participent à l’effervescente du Paris littéraire, ceux qui les regardent s’arrêtent un instant pour faire des selfies. Place de Fürstenberg, tout est silencieux. Après 5 heures, de rares passants traversent la rue vide ; ils n’osent pas parler fort. Pourtant on n’a pas l’impression que l’endroit est habité par des fantômes. Les boutiques luxueuses des magasins de tissu sont prospères. Pierre Frey remplit ses vitrines d’étoffes pastichant toutes les époques. J’aime surtout des étoffes à décor d’arbres de vie avec des animaux se glissant entre les branches d’arbres vert pâle ; Manuel Canovas, rue de l’Abbaye, a rempli une vitrine d’oiseaux exotiques et de fleurs extravagantes de couleurs vives, qui évoquent les belles promeneuses à chapeau à plume qui vivaient à Paris un siècle auparavant.  Je regarde d’autres vitrines, velours, passementeries… Au numéro 7, on trouve La Compagnie Française des Poivres et des Epices.

Lorsqu’on vient de la rue Jacob, l’axe principal monte légèrement vers un terre-plein central où poussent trois paulownias entourant un lampadaire à 5 branches. Au fond, le palais abbatial de style Louis XIII avec son décor de briques et de pierre, ses larges fenêtres.

Cette place n’a pas de banc public. On ne fait qu’y passer.

Rue de Fürstenberg. Au fond la façade du palais abbatial

D’ailleurs, cette place, paraît-il, n’est pas une place, mais une voie un peu élargie dont le nom est celui d’un cardinal qui fut nommé abbé de saint-Germain à la toute fin du 17e siècle.

Que reste-t-il de cet abbé Fürstemberg ou Fürstenberg ? Quand j’étais adolescente le nom de Fürstenberg m’évoquait surtout les robes portefeuille créées par Diane de Fürstenberg et des photos des revues de mode (Elle, Vogue, Paris Match). En ce temps-là, je faisais mes classes chez les coiffeurs, qui m’apprenaient ce qu’était la Jet Society. Sur les  photos, on voyait Diane rire aux éclats entre deux cavaliers servants. Vers la fin de sa vie, elle rappelait pourtant parfois le passé tragique de sa mère, déportée à Auschwitz et Ravensbrück, et ses années grises de pensionnat en Suisse où elle avait rencontré, puis épousé le prince Egon de Fürstenberg, Elle s’appelait alors Diane Halfin. Quand le mariage se rompit, elle obtint de conserver le nom de Fürstenberg. Il n’y a rien de plus trompeur que les noms, surtout pour les femmes. Plus de Halfin, pas de Diller, du nom du second mari de Diane de Fürstenberg. Fürstenberg, c’était quand même une carte de visite si le vent de l’histoire tournait à nouveau. Il avait belle allure ce nom, montagne des princes, avec le son emphatique des consonnes allemandes. C’était aussi un beau nom pour la haute couture. A ce propos, les féministes font remarquer que couturière n’est pas le féminin de couturier. La première coud des robes, alors que le second est un artiste qui les invente. Personne ne dirait grande couturière. On est obligé de tourner et de dire créatrice de mode.

Evidemment, avant d’avoir consulté  Wikipédia, je ne savais rien de Guillaume-Egon de Fürstenberg, né en 1620. Sa vie me semble assez caractéristique d’une époque où un noble faisait indifféremment carrière dans l’armée ou dans l’église. Guillaume-Egon était né dans une ancienne famille de la noblesse souabe. Son père était un général de l’armée impériale. Lui-même, après avoir grandi avec le prince Maximilien Henri de Bavière dont il était l’ami intime, devint soldat au service de la France, avant d’entrer en religion. Il était et resta un agent de la France, qui servait la politique de Louis XIV dans l’Empire. Il était suffisamment fin politique pour mener des missions à Vienne ou auprès des princes allemands. Son grand succès fut la signature d’un traité d’alliance entre la France et le prince-archevêque de Cologne en vue de la guerre de Hollande. Enlevé en 1674 sur ordre de l’Empereur, il est emprisonné à Vienne, échappe à l’exécution, et ne sera libéré qu’en mai 1679, après la signature du traité de Nimègue.

Reproduction trouvée sur le sitehttps://maisoncardinalfurstemberg.com/fr/page/histoire-appart-hotel-5-etoiles-paris.16227.html

Le 8 juin 1682 il est nommé évêque de Strasbourg. En 1684, il intervient dans la résolution du conflit entre le prince-évêque de Liège et les bourgeois de cette cité et obtient en échange la gestion du château de Modave. Il rêve à une nomination d’archevêque à Cologne, mais trop proche des Français, il se heurte aux princes allemands unis contre Louis 14. Sa partie perdue, il retourne en France. Il devient abbé non résident de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés en 1697, agrandit le palais épiscopal, installe écuries et logements pour les domestiques sur l’emplacement de la place qui porte son nom, ce qui évite aux occupants de passer par l’abbaye pour entrer et sortir.

Du palais proprement dit, on voit la jolie façade rose de la rue de l’Abbaye. Il abrite aujourd’hui des centres de formation rattachés à l’Institut catholique de Paris.

6 rue de Furstenberg, un passage voûté mène à l’entrée du musée Eugène Delacroix où le peintre, qui devait décorer la chapelle des Saints-Anges, s’était installé en 1857, abandonnant la rue Notre-Dame-de-Lorette. Tuberculeux, Delacroix  souhaitait finir ses œuvres, mais il était trop las pour faire chaque jour un long trajet depuis la rive droite. Aussi fut-il heureux de trouver un logement calme et aéré, avec jardin, relativement proche de Saint-Sulpice. Il obtint un bail de quinze ans, avec l’autorisation de construire un atelier à condition d’en soumettre au préalable les plans. Le 21 août 1861, la chapelle des Saints-Anges fut ouverte au public. Deux ans plus tard, Delacroix mourait. Sa dernière demeure est devenue un musée national en 1971. Je me souviens d’avoir lu à l’ombre dans une sorte de jardin de curé paisible tout un après-midi d’été étouffant.

Delacroix à Saint-Sulpice. Lutte de Jacob avec l’Ange (détail)
Héliodore chassé du temple. Delacroix. Saint-Sulpice

La place n’a pas changé… Ah si, quand même ! Ses quatre paulownias, presque aussi célèbres que les deux Testaments ou les dix commandements, ne sont plus que trois. Lorsqu’en 2023, la mairie de Paris a annoncé qu’il fallait couper le plus âgé qui risquait de tomber, les riverains bataillèrent en vain contre la mairie qu’ils accusaient de ne pas avoir suffisamment entretenu l’arbre centenaire.

Est-elle davantage menacée, la place ? Je ne crois pas. Elle est trop célèbre, mais il suffirait qu’un café branché s’installe pour détruire ce petit royaume.

MAYEUL Aldebert, « La mairie de Paris abat cinq arbres dans le 6e arrondissement, pour «préserver la sécurité des usagers» [archive] », sur lefigaro.fr, 29 juillet 2023.

CHÂTELLIER, Louis, « Guillaume Egon de Fürstenberg », in Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, vol. 12

FURSTENBERG Guillaume Egon de – Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace

4 réflexions sur “La place de Fürstenberg

  1. La place de Furstenberg est pour moi un lieu familier, j’ai habité tout près, rue de Seine.

    C’est le musée Delacroix qui en fait tout particulièrement le charme avec son jardin qui est resté cet havre de paix voulu par le peintre amoureux de la nature et des fleurs.

    Il y a des lieux comme ici qui suscitent la mémoire , je me prends à rêver à l’ombre de Baudelaire dans les escaliers venu peut être rendre visite à son ami, aux peintres, Monet et Bazille qui se sont installés quelque temps au dessus de l’atelier de Delacroix. Bazille y a peint un de ses ateliers  » L’Atelier de la rue Furstenberg « 

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    • Chère Phrygane,
      Bien sûr, il y a l’atelier dans un coin de la place. Je n’en ai pas parlé parce qu’il est lié pour moi au bel été, un jour de grand soleil dans le jardin fleuri… alors que notre dernière promenade a eu lieu en décembre par un temps « parisien » quand on se demande s’il fera beau un jour. Mais tu as raison. Je vais y retourner.

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