Les hommes qui tirent la langue. Cinq mascarons parisiens

Peu à peu les Parisiens partent, soulagés pour un moment que le Front national ne soit pas (encore ?) aux affaires. Les jeunes gens qui rêvaient de ressusciter 1936 ont disparu (A chaque époque les Français vont chercher une référence ancienne à leur envie de changement. En 1789, les discours des Romains ont fourni le modèle historique… La Commune en appelait à 1789,  les années 2000 ont essayé de ressusciter le programme de la Résistance, Mélenchon a fait une belle OPA sur 1936 avec ce nom de Nouveau Front populaire, mais le goût de la commémoration résiste mal aux vacances. Les étudiants se sont dispersés en attendant la rentrée).

Il n’y a que les monuments qui subsistent au centre de la ville de pierre voulue par Haussmann.

Quand j’ai commencé ce blog il y a bientôt dix ans, j’ai bien aimé flâner le long des rues en levant les yeux et découvrir les mascarons, étonnée par l’engouement des architectes pour ces têtes sans corps(https://passagedutemps.com/2016/02/28/les-immeubles-de-la-fin-du-19eme-siecle-atlantes-mascarons-et-fleurs-des-champs/). En ce moment je collectionne ceux qui tirent la langue.



En architecture, un mascaron ou masque (de l’italien mascherone dérivé augmentatif de maschera, masque), est un ornement que l’on trouve souvent apposé sur la clé de voûte (ou le linteau) d’une fenêtre ou d’une porte. On les trouve aussi sur des piliers, comme les mascarons du Pont-Neuf  et sur les fontaines: comme ceux que Rodin a sculptés pour le parc de Sceaux.

Parc de Sceaux : deux mascarons d’Auguste Rodin

Pendant l’Antiquité, la fonction du mascaron était d’empêcher les mauvais esprits de pénétrer dans la demeure grâce à des figures grimaçantes. Quand les Français empruntent la chose et le terme à l’italien, le mascaron n’a plus qu’une fonction ornementale, même si la tradition du grotesque perdure.

 Certains propriétaires se sont cependant commandé un visage orné de lauriers à la hauteur de leur importance.

Une tête noble. Boulevard Raspail

D’autres ont voulu un portrait idéalisé de la personne qu’ils voulaient honorer :

Hôtel de Beauvais. Un mascaron représentant la reine Anne d’Autriche

Cependant le mascaron, conformément à son origine est souvent difforme, grimaçant. Victor Hugo décrivait ceux du pont-Neuf comme des : « cauchemars pétrifiés sous la main de Germain Pilon » (Hugo, Notre-Dame de Paris,1832).

Rien d’étonnant donc à voir des mascarons tirer la langue. J’en ai photographié quatre. Il y en a sûrement d’autres.

Ceux de la rue de Madrid et de la rue Joseph Bara ont de petites oreilles de satyre : tirer la langue est sans doute pour eux une invite sexuelle.

Mascaron du 5 rue Joseph Bara

Mascaron du 27 rue de Madrid

Le sculpteur de la rue du Rendez-vous est moins habile peut-être, mais cela rend le personnage encore plus frappant : sa bouche grande ouverte laisse sortir une grosse langue qui descend jusqu’à son cou au risque de le faire vomir. L’effort lui donne un air anxieux qui rend bien énigmatique le sens de la scène.

Au fait, je n’ai pas rencontré de femme qui tirait la langue !

L’image de celui qui tire la langue n’est pas figée. Rue des Jeûneurs, c’est un petit jeune homme joufflu au visage encadré de jolies boucles. A quoi, à qui peut-il donc tirer la langue ? Peut-être à une sorte de Célimène qui ne voulait pas de lui ? Le geste de séduction s’est transformé en mépris.

11 rue des Jeûneurs

Et j’oubliais le satyre du Pont Neuf qui invite les passantes à jouer avec lui.

En voici cinq pour le moment et je vais quitter Paris pour un moment. Merci à ceux qui en trouveront d’autres !

Deux références :

https://lindependantducoeurdeparis.blogspot.com/2020/07/mmclvii-un-mascaron-assez-facetieux-au.html

https://passagedutemps.com/2016/02/28/les-immeubles-de-la-fin-du-19eme-siecle-atlantes-mascarons-et-fleurs-des-champs/).

4 réflexions sur “Les hommes qui tirent la langue. Cinq mascarons parisiens

  1. Merci Sonia, pour ce billet original et souriant. Depuis que je l’ai lu je guette moi aussi les mascarons de Turin: pas encore trouvé ceux qui tirent la langue. Ils sont tous austères, suivent des standards traditionnels, ils sont stéréotypés, à savoir ils sont comme on s’attend qu’ils devraient etre. Mais je continue la recherche. Au plaisir de lire le prochain billet, et merci pour le travail que vous faites, et pour les ouvertures (de connaissance, de curiosité, d’esprit) que vous nous donnez

    mariagrazia

    J’aime

    • C’est un billet écrit dans la démoralisation à cause du spectacle que donnent les politiciens professionnels depuis les élections. C’est moi qui avait envie de leur tirer la langue… et j’ai trouvé ces masques qui s’en chargeaient à ma place. !

      Nous sommes en Normandie pour l’été. Les gens que nous croisons tiennent des discours proches du rassemblement national où reviennent l’insécurité (explosion du trafic de drogue), la peur du prosélytisme religieux, le rejet des réglementations tatillonnes… Que fait-on pour ces gens ?

      Bon été quand même

      Sonia

      J’aime

Répondre à Miriam Panigel Annuler la réponse.