Giverny en automne

il faut l’admettre, c’est le tourisme de masse. A 10 heures, les groupes sont déjà là et les parkings sont pleins. Des Asiatiques, surtout. Heureusement, ils sont discrets, mais on ne peut pas se mentir, ils sont très nombreux. La foule envahit la rue Claude Monet. De toute façon, en fait de rue de village, la rue Claude Monet est une enfilade de magasins de souvenirs, de cafés, de restaurants, le tout, il est vrai, très joliment restauré et fleuri.

Dans la maison de Monet, le tumulte est grand. On se presse, on se bouscule. On photographie sans trop savoir quoi pourvu qu’on figure sur la photo.

L’Atelier de Monet

C’est une maison de campagne, avec un atelier très vaste – une grange transformée sans doute-, une grande cuisine jaune, des faïences bleues, une importante collection d’estampes japonaises…

Mais le jardin est stupéfiant. Même en automne ! Et heureusement la foule est moins compacte.

Une fois passés les arbres entourés de minuscules cyclamens, l’allée centrale, couronnée d’arceaux est le miroir des tableaux de Monet. D’abord l’impression de profusion : une surabondance d’asters, de cosmos, de dahlias, de coreopsis, les dernières roses, des capucines qui débordent sur le chemin.

Sous ce soleil qui semble devoir briller toujours, on pourrait croire à une floraison sans fin. En fait, ce sont les fleurs d’automne qui sont là dans un jardin des quatre saisons savamment composé par le peintre-jardinier Mirbeau, évoque Monet. Quand il ne peint pas, le peintre jardine « en manches de chemise, les mains noires de terreau, la figure halée de soleil, heureux de semer des grains dans son jardin éblouissant de fleurs » (L’Art dans les deux mondes, C’est l’automne).

Le long des allées, le regard isole un dahlia d’un jaune lumineux sur le feuillage sombre,

Le Jardin de Monet. Le dahlia jaune

D’autres orangés incendient brusquement les buissons environnants. Et puis notre œil revient à un cadrage d’ensemble pour s’émerveiller des couleurs à foison, des fleurs hautes qui font une jungle de toutes les couleurs.

Il faudra revenir au printemps, au temps des tulipes, des myosotis et des iris. Peut-être que le jardin sera bleu et rose comme le montre un tableau du musée d’Orsay et comme le raconte Aragon dans Aurélien. « Elle vit les fleurs bleues. A leur pied, la terre fraîchement remuée. La petite allée vers la maison Le gazon clair. Et d’autres fleurs bleues. Elle s’appuya à la grille et se mit à rêver. Si l’on pouvait, en soi, quand les fleurs vont se faner, les arracher tout de suite, et en remettre d’autres ? Changer la couleur du cœur pendant la nuit… demeurer toujours à cet instant de la floraison parfaite… oublier… ne pas même oublier… ne pas avoir à oublier ».

Giverny. Le jardin bleu à Orsay

La silhouette du vieux Monet presque aveugle hante le roman d’Aragon. Dans ce jardin, on l’imagine moins comme un chef d’école que comme un sage, un maître de l’art de vieillir loin de l’agitation politique du monde.

Un petit chemin passe sous la route et permet de rejoindre l’étang des nymphéas. Une rive est doucement en train de passer au rouge.

L’autre bordée de bambous est restée verte et noire. On a installé là deux barques pour qu’on puisse imaginer des femmes en chapeau pêchant à la ligne sur la rivière.

Pour qui se penche sur l’eau, une végétation mystérieuse fait monter du fond de l’étang des couleurs qui ne fanent jamais.

Notre chef de chœur, Hugues Reiner a loué une maison-atelier rue Claude Monet. Il a invité ceux qui pouvaient à venir répéter. Dans le jardin arrière, on a dressé une table, apporté des chaises. L’herbe est tondue de frais.

Bientôt, il y a un déjeuner composé et servi par Hugues Reiner, qui affronte un déjeuner pour 30 comme s’il faisait ça depuis toujours. On rit fort. On s’interpelle. On apprivoise les prénoms des nouveaux…. Et maintenant, chut ! On se regroupe autour du piano. On répète. Je ne sais pas si nous chantons mieux, mais c’est un moment de partage émotionnellement fabuleux. On est très reconnaissants à Hugues de savoir inventer de pareilles rencontres.

De temps à autre, un touriste attiré par le chant entre dans la cour, passe la tête et nous prend en photo. Comme une attraction touristique de plus !

On est le 7 octobre. C’est le début de l’automne. Est-ce que c’est l’automne ? Il fait 27 degrés et les gens sont en T-shirts ?

– C’est la fin des saisons, a dit l’un de nous.

– C’est peut-être la fin, du monde, mais ça a des côtés plaisants. Ne boudons pas notre plaisir.

Aragon, Louis, Aurélien II, Paris, Folio II 526

Mirbeau, Octave 1891, Claude Monet et Giverny, Paris, Séguier (Carré d’art)

11 réflexions sur “Giverny en automne

  1. Ah je t’envie d’être si près de Giverny ! je ne l’ai vu qu’en une saison et j’aimerais bien y retourner ! Je ne sais pas si aux répétions vous chantiez juste mais moi personnellemnt j’ai vu des canards… A + !

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    • Pas de canards. Quelques poules dans le jardin d’un café… Quand j’habitais dans le Sud et que je venais à Paris, j’en profitais pour courir les expositions et les concerts. Mes amis parisiens finissaient par avouer qu’ils avaient manqué peinture et musique parce qu’ils pensaient avoir des mois devant eux .

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  2. En automne ou au printemps ce qui frappe dans le jardin de Giverny c’est la diversité et le foisonnement de la végétation.
    Souvenir peut être de Monet pour concevoir son jardin d’un séjour qu’il vient de faire à Bordighera , il y découvre l’extraordinaire luxuriance du jardin Morano qui mêle toutes sortes de plantes dont il remarque  » pourtant tout cela a été planté « 

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    • Merci pour la référence au jardin Morano. Le plus spectaculaire pour moi, c’est la taille des fleurs qui envahissent l’espace formant des bandes colorées et réduisant au minimum la perspective. Le jardinage change la peinture et vice-versa.

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  3. Vous me donnez envie de relire Aurélien… « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. » Merci pour votre article. Je reviendrai certainement par ici. Bon week end.

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    • Merci beaucoup. Ce qui m’a touchée dans ces quelques lignes d’Aragon c’est l’analogie déconstruite des fleurs du jardin et des couleurs du cœur : l’élément floral offre à la vue une fête toujours recommencée ; l’oubli impossible empêche de maintenir l’intensité affective et n’offre au cœur qu’un jardin désolé !

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