Le cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois

Les œufs rouges

« Il n’y a rien de plus important que de maintenir les rites m’avait dit une amie slave. » Elle était en train de teindre en rouge des œufs de Pâques en les faisant cuire dans une décoction de pelures d’oignons. Elle avait ajouté : « Les rites, c’est une affaire de femme. »

J’avais répondu en souriant : « Surtout quand on ne croit ni à Dieu, ni à Diable. »

Mais très sérieusement, elle avait repris : « C’est quand on cesse de s’en soucier que finit l’impression d’exil et moi, je ne veux pas oublier. On peut se sentir bien chez vous, votre liberté, vos cafés, vos grands trottoirs pour flâner. On peut oublier comment c’était chez nous avant, et puis quand même fêter la Saint Nicolas et les fêtes de Pâques ». Un peu avant Pâques, elle faisait provision de peaux fines d’oignons jaunes (ou rouges pour une couleur plus sombre). « Si tu veux une couleur vive, tu en mets beaucoup, sinon vingt-cinq doivent suffire. On laisse mijoter trente, trente-cinq minutes. Puis la décoction repose toute la nuit. on sort les pelures et on met les oeufs à cuire, jusqu’à ce qu’ils soient durs ». L’amie est morte et plus personne n’est là pour les rites. C’est peut-être pour ça que j’ai suivi Marianne qui voulait visiter le cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois, où les Russes ont un carré réservé depuis 1927.

Le plus grand cimetière russe de l’étranger

La princesse Vera Mestchersky avait fondé à Sainte-Geneviève une maison de retraite pour les émigrés russes âgés, qui fatalement décédaient au bout d’un moment. On les enterrait dans le cimetière communal situé presque en face de la maison de retraite. Au fil des ans, des Russes de toute l’Europe de l’Ouest ont cherché à avoir une sépulture dans ce village et, aujourd’hui, environ douze mille personnes d’origine russe sont enterrées là. Les visiteurs errent parmi les tombes en cherchant les noms les plus connus, cinéastes comme Andreï Tarkovski, comédiennes comme les sœurs Poliakjoff (Odile Versois et Hélène Vallier), familles nobles, dont certaines très célèbres comme la famille Troubetskoy. Plusieurs de ces nobles avaient sauvé leur fortune, mais beaucoup étaient habillés comme des malheureux et subsistaient en conduisant des taxis, comme n’importe quel migrant pakistanais du 21e siècle.

On trouve aussi des monuments funéraires et des carrés militaires de l’Armée impériale russe et des Armées Blanches russes, avec entre autres le carré des cosaques du Don, devenus soldats du Tsar. Persécutés sous Staline, ils rejoignirent les forces d’Hitler… aussi je ne sais trop qui sont ceux qui sont célébrés à Sainte-Geneviève.

Les itinéraires de Google Maps sont tellement efficaces qu’on ne peut plus se tromper pour s’y rendre depuis Paris. Il faut enchainer trois RER, et traverser en bus une banlieue où s’enchaînent de petits pavillons en meulière et des immeubles de quatre à cinq étages. Tout est tellement pareil qu’il faut des noms pour distinguer la Grande Charmille du Parc ou la Résidence du Parc d’avec les logements de l’avenue Duclos et de la rue Rosa Luxembourg, noms qui témoignent de la couleur politique communiste de la municipalité.

Enfin, le car nous dépose devant le cimetière. Aujourd’hui, l’église orthodoxe de la Dormition de la Mère de Dieu est fermée.

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Mais on peut se promener dans un charmant jardin « à la russe » : bouleaux, ifs, épicéas par centaines, pins qui se mêlent aux tombes orthodoxes surmontées de petits bulbes bleus ou dorés.

J’ignorais que les sépultures russes étaient à la fois aussi simples et aussi raffinées avec des niches de verre renfermant des bougies, ou des icônes, et des croix orthodoxes qui rappellent les croix de Lorraine (une petite traverse pour l’inscription qu’a fait accrocher Ponce Pilate, une pour clouer les mains du Christ, un appui pour les pieds en bas ; cependant la traverse est oblique).

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Parfois un œuf peint pour symboliser l’espoir de la résurrection.

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Le ciel est gris et les fleurs ne poussent pas en janvier, mais il y a  les fruits rouges de l’églantier.

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Beaucoup viennent pour voir la tombe du grand danseur Noureev qui a l’air recouverte d’un tapis oriental rouge, bleu et doré, en fait, une mosaïque conçue par le décorateur Enzo Frigerio, compagnon de Noureev.

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Au-delà, commence, le cimetière français, désolant comme souvent par son absence d’arbres, mais on peut rester dans la partie russe, image reconstituée de la patrie perdue. On peut rester dans le jardin apaisant jusqu’au moment où le soir tombe et où il faut regagner la ville.

2 réflexions sur “Le cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois

  1. Merci de cette promenade émouvante, mais n’avez vous pas trouvé désolant l’etatd’abandon de nombre des tombes?
    Savez vous aussi qu’elles sont souvent recouvertes de terre et non d’une pierre tombale, pour que l’ame puisse s’envoler….

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